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TA Orléans, jugement n°2004560 du 25/01/2022 (Nicolas Marty c. DDPP41)

Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que le nom des personnes employées par les établissements et des inspecteurs et inspectrices. L’identité des établissements et les non-conformités ne doivent pas être occultées, sauf dans le cas d’un commentaire précis explicitement lié à la sécurité d’un établissement spécifiquement.

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2004560 du 25 novembre 2021, le tribunal, avant de statuer sur la requête de M. Nicolas Marty tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du préfet de Loir-et-Cher en tant qu’elle refuse la communication des dates, des numéros des rapports, du nom des établissements, du contexte des inspections et de passages entiers de commentaires figurant dans les trois rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques V8 » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à cette direction de communiquer ces documents en y rendant apparentes les occultations, a ordonné un supplément d’instruction tendant à la production par le préfet de Loir-et-Cher de ces documents au seul tribunal, sans aucune occultation mais avec indication des occultations jugées nécessaires.

Les trois rapports d’inspection établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher ont été produits par le préfet de Loir-et-Cher et enregistrés au greffe du tribunal le 26 novembre 2021, sans que communication de ces documents soit adressée à M. Marty, conformément aux motifs du jugement avant dire droit du 25 novembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme xxx, vice-présidente, pour statuer sur le litige en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de Mme xxx ;
– les conclusions de Mme xxx, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. En réponse à la demande de communication que lui a adressée M. Marty, le préfet de Loir-et-Cher a transmis à l’intéressé par voie électronique, le 3 décembre 2020, trois rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques V8 » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher après avoir occulté un certain nombre d’informations y figurant. Par un jugement n° 2004560 du 25 novembre 2021, le tribunal, avant de statuer sur la requête de M. Marty tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du préfet de Loir-et-Cher en tant qu’il refuse la communication des dates, des numéros des rapport, du nom des établissements, du contexte des inspections et de passages entiers de commentaires figurant dans ce rapport et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à l’administration départementale de communiquer ce document en y rendant apparentes les occultations, a ordonné un supplément d’instruction tendant à la production par le préfet de Loir-et-Cher de ce document au seul tribunal, sans aucune occultation mais avec indication des occultations jugées nécessaires.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 de ce code : « Ne sont pas communicables : (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / (…) ». Selon l’article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle ; / (…) /3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice (…) ». Enfin, l’article L. 311-7 de ce code dispose : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».

3. En premier lieu, après avoir pris connaissance des rapports non occultés transmis par le préfet de Loir-et-Cher, il est constant qu’aucun motif ne s’oppose à la communication du numéro de ces rapports, des dates des inspections ainsi que du contexte dans lequel sont intervenus ces contrôles.

4. En deuxième lieu, le préfet de Loir-et-Cher soutient que la communication des rapports litigieux est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes au sens du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration en raison des risques importants de représailles de la part de certaines associations d’activistes pour la protection animale à l’encontre d’établissements détenant des animaux sauvages ou domestiques, ces risques étant, selon l’administration, accrus lorsqu’il s’agit d’établissements réalisant des expérimentations animales. Toutefois, en se bornant à faire état d’éléments généraux qui soit concernent un autre département, soit se rapportent à des actions sans lien avec les expérimentations menées sur les animaux, le préfet ne caractérise pas, en l’espèce, l’existence d’une menace avérée pour la sécurité des locaux et des biens ainsi que pour celle des personnes physiques y exerçant une activité professionnelle en cas de divulgation, notamment, de l’identité des établissements en cause, de leur lieu d’implantation, des espèces d’animaux concernés ainsi que de la nature et de la gravité des non-conformités relevées tant au plan technique qu’administratif. En revanche, s’agissant du rapport établi par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher en septembre 2019, le commentaire figurant dans la rubrique A1202 relative au système de contrôle des conditions d’alarme de l’établissement parait devoir être occulté pour des raisons de possible atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes.

5. En troisième lieu, ni le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal ni la perception négative des salariés exerçant au sein de ce type d’établissement, invoqués par l’administration dans ses écritures en défense, ne permettent de regarder les personnes morales qui mènent des expérimentations sur les animaux et les personnes physiques qui exercent leur activité professionnelle dans de tels établissements comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

6. En dernier lieu, le préfet de Loir-et-Cher soutient que la communication des rapports porterait atteinte au secret des affaires au sens du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dès lors que de nombreuses mentions contenues dans les rapports d’inspection litigieux font état de références techniques, de méthodologies propres aux établissements de ce type ainsi que de procédés scientifiques et de médicaments utilisés. Toutefois, il ne ressort pas des rapports, et n’est au demeurant pas démontré, que la communication des informations demandées, lesquelles concernent, outre les éléments d’identification des établissements, des commentaires se rapportant notamment à la conception générale des locaux et aux autorisations de projets ainsi qu’à leur mise en œuvre, aurait pour conséquence la divulgation de techniques industrielles protégées par le secret des affaires.

7. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que le ou les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée ont droit à la protection de leur vie privée. L’administration fait donc valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. Marty est seulement fondé à demander l’annulation de la décision du 3 décembre 2020 par laquelle le préfet de Loir-et-Cher, statuant sur sa demande de communication de documents réitérée le 1er décembre 2020 à la suite de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs, a décidé de lui communiquer trois rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques V8 » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher en occultant des mentions autres que celles mentionnées aux points 4 et 7 du présent jugement.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

9. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».

10. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet de Loir-et-Cher communique à M. Marty les rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques V8 » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher, avec occultation, pour ces trois documents, des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein des établissements et des inspecteurs ayant effectué ces contrôles ainsi que, s’agissant du seul rapport de septembre 2019, du commentaire figurant dans la rubrique A1202 de ce document. Il y a, dès lors, lieu d’ordonner au préfet de procéder à ces diligences dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 3 décembre 2020 par laquelle le préfet de Loir-et-Cher a communiqué à M. Marty les trois rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques V8 » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher en occultant, d’une part, des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans ces établissements ainsi que des rédacteurs des rapports de contrôle et, d’autre part, le commentaire figurant dans la rubrique A1202 du rapport de septembre 2019, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de Loir-et-Cher de communiquer à M. Marty, dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement, les trois rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques V8 » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Loir-et-Cher, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein des établissements et des inspecteurs ayant effectué ce contrôle ainsi que du commentaire figurant dans la rubrique A1202 du rapport de septembre 2019.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au ministre de l’intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Loir-et-Cher.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 janvier 2022.