Les rapports d’inspection sont communicables en n’occultant que l’identification des personnes physiques (et peut-être des éléments justifiés par le secret des affaires, sans qu’ils soient détaillés). Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et trois mémoires, enregistrés le 21 décembre 2020, le 29 septembre 2021, le 16 décembre 2021 et le 9 mars 2022, M. Nicolas Marty demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle la direction départementale de la protection des populations des Pyrénées-Atlantiques (DDPP64) a refusé de fournir le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale des Pyrénées-Atlantiques ;
2°) d’enjoindre de communiquer à la DDPP des Pyrénées-Atlantiques, de lui communiquer, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département des Pyrénées-Atlantiques, sans occultation des noms des établissements, des dates des inspections et des rapports, des intitulés de la grille d’inspection, des niveaux de non-conformité et des passages entiers de commentaires, quelle que soit la date de production.
Il soutient que :
– la direction départementale de la protection des populations des Pyrénées-Atlantiques n’est pas compétente territorialement pour décider de la communication des documents demandés ;
– la décision méconnaît les articles L. 300-1 et suivant du code des relations entre le public et l’administration ;
– les établissements ne peuvent pas craindre des représailles ciblées ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ;
– sa demande n’a pas de caractère abusif dans la mesure où la CADA n’a pas retenu cet argument comme valable ;
– la motivation de la demande d’accès à des documents administratifs n’est pas une obligation ;
– si les occultations des noms de personnes, le comportement d’une personne identifiable ou le secret des affaires sont justifiées, l’occultation de longs passages de commentaires ne peut se justifier dès lors qu’il est possible d’y occulter uniquement les mentions permettant d’éviter l’identification des personnes et les mentions spécifiques relevant du secret des affaires ; l’occultation du nom des établissements n’est pas justifiée ;
– il y a un défaut de motivation de la DDPP64 en droit et en fait en ce que la motivation de l’acte doit comporter l’énoncé des considérations en droit et en fait
– la communication des rapports ne porte pas atteinte à la prévention et à la recherche des infractions dans la mesure où une très grande majorité de rapports ne fait pas l’objet de poursuites judiciaire ;
– si la DDPP affirme que les documents sollicités ne lui appartiennent pas et qu’ils relèvent du ministère de l’agriculture, dès lors, elle aurait dû transmettre sa demande auprès du service concerné ;
– de nombreuses jurisprudences ont déjà établis la communicabilité des rapports d’inspection.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 décembre 2021, le préfet des Pyrénées-Atlantiques conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
– le moyen tiré de l’incompétence territoriale de la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDSCPP) des Pyrénées-Atlantiques est infondé dès lors qu’il est matériellement compétent pour dresser les documents administratifs en cause ;
– la décision contestée est justifiée au regard des dispositions mentionnées à l’article L 311-1 du code des relations entre le public et l’administration ;
– la décision contestée est justifiée au regard des dispositions du d) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, dès lors que la communication des documents demandés risquerait de porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, laissant craindre des représailles ciblées ;
– la demande de M Marty est abusive en ce qu’il a réitéré la même demande à de nombreuses DDPP ;
– M Marty ne justifie pas d’une convention lui permettant la transmission des rapports d’inspection des établissement d’expérimentation animale ;
– l’objectif de cette demande pourrait causer un trouble à l’ordre public ou porter préjudice aux établissements dans la mesure où il pourrait diffuser la liste des établissements d’expérimentation animale dans un but politique d’opposition à cette activité ;
– la requête de M Marty fait reposer une charge de travail disproportionnée sur l’administration
– la décision contestée est justifiée au regard des dispositions de l’article L 311-6 du CRPA dans la mesure où M Marty demande à ce que ne soit pas occulté le nom des personnes morales alors même que leur divulgation leur porterait préjudice au même titre que des personnes privées ;
– la communication de l’entièreté des rapports est dépourvue de tout intérêt en raison du nombre et de l’importance des mentions non-communicables.
Par une ordonnance du 7 février 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 08 avril 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ; – le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme xxx en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience publique.
Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de Mme xxx ;
– les conclusions de Mme xxx, rapporteure publique ;
– les observations de M. xxx, directeur départemental de la protection des populations.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 mai 2020, M. Marty a adressé à la DDPP des Pyrénées-Atlantiques une demande de communication portant sur les derniers rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département des Pyrénées-Atlantiques. En l’absence de réponse de la DDPP des Pyrénées-Atlantiques, M. Marty a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), laquelle a émis le 29 octobre 2020 un avis favorable, sous certaines réserves, à la communication des derniers rapports d’inspection. M. Marty a de nouveau sollicité la DDPP des Pyrénées-Atlantiques le 1er décembre 2020 afin d’obtenir communication des documents précités. Du silence de l’administration est née une décision implicite de rejet dont M. Marty demande l’annulation. Par la présente requête, M. Marty demande au tribunal d’annuler la décision par laquelle la DDPP des Pyrénées-Atlantiques a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale du département des Pyrénées-Atlantiques.
Sur les conclusions aux fins d’annulation :
En ce qui concerne les moyens de légalité externe :
2. M. Marty soutient que « l’illégalité externe repose ici sur l’incompétence territoriale de la DDPP 64 (Pyrénées-Atlantiques), qui n’est pas compétente pour décider de ne pas fournir les documents demandés ». Il ressort cependant des pièces produites et notamment du message électronique du 1er décembre 2020 que M. Marty a adressé sa demande à la DDPP64. Par suite, la décision implicite contestée doit être regardée comme émanant de la préfeecture des Pyrénées-Atlantiques. Le moyen doit par suite être écarté.
En ce qui concerne les moyens de légalité interne
3. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :/ d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; (…). ». L’article L.311-6 du même code dispose : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. ». Aux termes de l’article L. 232-4 de ce code : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. »
4. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de communication de documents administratifs. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.
5. Il résulte des dispositions citées, qu’un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
6. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée, élaborés dans le cadre des missions de service public exercées par les services vétérinaires des directions départementales en charge de la protection des populations, constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont donc soumis au droit d’accès prévu à l’article L. 311-1 de ce code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6.
7. En premier lieu, pour justifier le refus de communication, le préfet des Pyrénées-Atlantiques soutient que la demande de communication de M. Marty est abusive en ce qu’elle aurait pour effet de faire peser sur la personne de la DDPP 64 en charge du suivi et du contrôle des établissements d’expérimentation animale, une charge de travail supplémentaire disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Toutefois, en dépit de la charge supplémentaire de travail, y compris d’occultation éventuelle des documents que le traitement d’une telle demande est susceptible d’entraîner, rien dans les éléments exposés ne permet de dire qu’elle serait manifestement disproportionnée au regard des moyens dont dispose cet agent de la DDPP 64, lesquels doivent être considérés globalement et non pas par référence exclusive aux emplois dédiés de manière permanente à la mission d’agrément. Il n’apparaît pas que cette demande, alors même que la préfecture n’indique pas le nombre d’établissements concernés au sein du département, ferait spécialement peser sur les services de l’Etat une charge excessive ou viserait à en perturber le bon fonctionnement et, en conséquence, qu’elle serait abusive.
8. En second lieu, la circonstance, alléguée par le préfet des Pyrénées-Atlantiques, qu’il existe, notamment à travers les associations antispécistes, des courants d’opposition forte à l’encontre des expérimentations menées sur les animaux, ne suffit pas à regarder la communication des rapports d’inspection des établissements menant de telles expérimentations comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, alors même que ces établissements utilisent, pour leur activité, des agents hautement pathogènes et diffusibles, la seule communication de ces documents n’étant pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le préfet des Pyrénées-Atlantiques, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
9. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que le ou les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée ont droit à la protection de leur vie privée. L’administration fait donc valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.
10. Il résulte de tout ce qui précède que, dès lors que les occultations des mentions permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports litigieux ainsi que les rédacteurs desdits rapports n’ont pas pour effet de faire perdre tout sens aux documents dont la communication est demandée, M. Marty est fondé à demander l’annulation des décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le préfet des Pyrénées-Atlantiques sur sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département.
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
11. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».
12. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet des Pyrénées-Atlantiques communique à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des rédacteurs de ces rapports. Il y a, dès lors, lieu d’ordonner au préfet de procéder à ces diligences dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D É C I D E :
Article 1er : La décision du préfet des Pyrénées-Atlantiques est annulée en tant qu’elle refuse de communiquer à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale du département des Pyrénées-Atlantiques.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Pyrénées-Atlantiques de communiquer à M. Marty, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département après occultation des mentions relatives à l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des mentions protégées, le cas échéant, par le secret des affaires.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au préfet des Pyrénées-Atlantiques.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2022.