Pour la Journée Mondiale des Animaux utilisés dans les Laboratoires du 24 avril 2021, j’ai briefé les militant·es de One Voice et Anonymous for the Voiceless Bordeaux (le 17/04) et les personnels de Lush (le 19/04), qui a également diffusé sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle j’expliquais que la plupart des produits que l’on achète impliquent d’une manière ou d’une autre des tests sur les animaux.
Si vous voulez un briefing pour vos militant·es, n’hésitez pas à me contacter !
Transcription de la vidéo
Merci de vous intéresser à ce sujet et de me faire confiance pour vous préparer aux actions pour la Journée Mondiale des Animaux utilisés dans les Laboratoires. L’image que vous voyez là, c’est une bannière que j’ai réalisée parce que je prépare une page facebook, une chaine youtube et un site web sur le sujet (expérimentation-animale.info, qui n’est pas encore ouvert au public), tout ça parce que ça fait maintenant plus de deux ans que je m’intéresse de très près à ce sujet. En fait, depuis que j’ai fini ma thèse de musicologie et que je suis sans emploi, je me suis lancé dans les recherches là-dessus, parce que c’était un sujet où il me semblait y avoir énormément de surinterprétations et de propos fallacieux et je n’arrivai pas à trouver de tracts qui me conviennent vraiment pour militer. Du coup on en a fait un avec ACTA à Bordeaux au printemps 2019. Mais bon, aujourd’hui, même ce tract-là ne me convient plus à 100%, parce que comme pour la plupart des sujets, plus on creuse, mieux on se représente la quantité de choses qu’on ne sait pas. Bref, tout ça pour vous dire, avant de commencer, que je vais essayer de vous présenter les choses de la manière la moins biaisée possible, à partir de mes compétences et de mes connaissances, sur les différents aspects de ce sujet. Je vais faire la présentation d’une traite, ça durera à priori 45 minutes, en gros, et on pourra ensuite échanger à l’oral, si vous avez des questions, des doutes, des désaccords, des remarques, on verra comment gérer les prises de parole pour ne pas se marcher sur les pieds. Et si vous préférez poser vos questions et faire vos remarques à l’écrit, il y a une publi où vous pouvez mettre tout ça en commentaire dans l’événement, c’est la seule publi qui est affichée avec un fond bleu – donc on regardera aussi à cet endroit-là à la fin. Je vous conseille aussi de prendre quelques notes pendant la présentation, surtout si vous voulez que je vous transmette des documents ou des liens par la suite, pour pouvoir me dire lesquels (ou alors de les mettre sous la publi dédiée aux questions, si vous voulez). Ok, c’est parti.
Le vocabulaire
La première chose à voir quand on veut parler d’expérimentation animale, c’est quels mots on va utiliser. Parce que les mots sont polarisés, on n’utilise pas les mêmes selon qu’on est
pour ou contre l’expérimentation animale, ou alors on ne se rend pas forcément compte des implications que ça peut avoir. Je précise que ça ne veut pas dire qu’il faut forcément utiliser des mots tout à fait neutres et factuels, parce que c’est le meilleur moyen d’entretenir une situation, en la laissant passer pour normale. Mais je vais juste vous conseiller, de manière générale, d’éviter les mots qui sont factuellement faux ou qui ont des implications gênantes pour permettre de faire avancer la cause qu’on défend.
D’abord, concernant le nom qu’on utilise. Moi, j’utilise « expérimentation animale », c’est clair. Mais on voit passer souvent le mot vivisection, dans nos sphères. Le problème avec ce mot, c’est qu’il désigne vraiment des pratiques et un paradigme du 19e siècle, quand l’anesthésie n’existait pas, ou tout juste, et que personne n’allait vérifier ni n’obligeait à ce que les vivisecteurs l’utilisent. Littéralement, ça veut dire qu’on coupe des animaux vivants, du coup. Aujourd’hui, ça se fait, sous anesthésie légalement, et quand il n’y a pas d’anesthésie comme dans la vidéo de Cruelty-Free International récemment, c’est illégal, donc on n’est pas sur les mêmes pratiques institutionnelles qu’au 19e siècle. En plus, le Gircor, le lobby de l’expérimentation animale en France, a bien fait son boulot, et si vous dites vivisection aujourd’hui, ça permet direct de vous catégoriser et de vous considérer comme des gens qui n’y connaissent rien, que ce soit le cas ou pas. Bref, celui-là, il faut vraiment l’éviter. Et dans l’autre sens, il ne faut pas hésiter à faire remarquer aux gens que l’appellation « recherche animale » a justement été introduite par le Gircor en 2012 parce que « expérimentation animale » commençait à être connoté trop négativement à leur goût – c’est le président actuel qui le dit, c’est pas moi. Et là, en 2021, ils ont introduit encore une nouvelle appellation dans leur « charte de transparence », c’est le « recours aux animaux à des fins scientifiques et réglementaires », qui reprend la base de l’appellation légale « utilisation des animaux à des fins scientifiques » en y mettant le mot « recours », qui sonnent quand même beaucoup plus « nécessaire » et « indispensable », et beaucoup moins « on va utiliser des animaux parce qu’on a le droit et que c’est du matériel de laboratoire ». Donc ces appellations-là, elles sont tout aussi trompeuses que le mot « vivisection », il faut bien le dire.
Ensuite il y a les mots utilisés pour désigner la captivité. Évidemment, chez les pros, c’est de l’hébergement, parfois même dans des « suites » comme à l’hôtel, ce qui est détestable, franchement. Et chez les antis, on parle plutôt d’emprisonnement dans des cages – ce qui pour le coup est beaucoup plus juste, même si je préfère « détention » plutôt d’emprisonnement, parce qu’il y a moins le côté judiciaire dans « détention », et que ça permet de développer un peu.
Concernant les expériences, là, il faut juste à mon avis éviter le mot « torture », qui ne fait que braquer les gens et qui suppose que toutes les expériences sur les animaux sont des tortures, ce qui revient à mettre sur le même plan la captivité en groupe, une simple prise de sang, l’exposition à des chocs électriques inévitables et l’inoculation d’une maladie grave. On peut difficilement dire que garder des individus en captivité est de la torture – c’est injustifiable du point de vue éthique, moral, mais c’est pas mal de garder les mots forts pour les pratiques les plus détestables. Globalement, là-dedans, vous pouvez distinguer les « tests » (les pros disent plutôt les « essais ») et les « expériences » (les pros disent plutôt les « procédures »).
Concernant l’abattage des animaux, moi j’utilise justement le mot « abattage », qui fait le lien avec les animaux de rente, notamment, les pros vont dire « sacrifice » pour dire que c’est pour le bien commun, ou « euthanasie », pour dire que c’est mieux pour l’animal (ce qui est hallucinant), et de notre côté, on utilise de temps en temps le mot « meurtre ». Pourquoi pas, celui-là ne me semble pas avoir de connotation particulièrement gênante, si ce n’est qu’il peut mal passer auprès du public et empêcher de poursuivre la conversation, ce qui serait dommage. ––– Dernière chose concernant les mots, le plus important, le plus gros :
l’éthique. Parce que là aussi, il y a
l’utilisation par les pros et l’utilisation par les antis.
Chez les antis, ça vient de la philosophie, c’est l’usage « normal » et « logique » du mot « éthique », j’ai envie de dire, et ça permet de parler des différents courants de la philosophie morale, en introduisant la notion d’antispécisme, qui est fondamentale pour parler d’éthique animale. Je n’ai pas le temps ici de développer trop là-dessus parce que ça demanderait énormément de temps, mais si vous avez des questions sur les différentes perspectives morales là-dessus, on pourra en parler à la fin.
Chez les pros, le mot « éthique », c’est juste une déformation de la notion pour la faire passer dans la réglementation. Du coup, les comités d’éthique, par exemple, ce qu’ils évaluent, ce n’est pas les implications morales des projets, c’est l’adéquation avec des règles définies à l’avance par la loi. Donc si vous parlez d’éthique sur un stand, c’est pas mal de faire cette distinction. Et pour mieux la voir, vous pouvez lire le livre de Jean-Pierre Marguénaud sur ce sujet, qui est sorti en 2011. ––– Voilà pour ça !
Bons et mauvais arguments
Au-delà des mots, il y a les arguments qu’on utilise. Et on est plus susceptibles de repérer les mauvais arguments chez les autres que chez nous – c’est un biais tout à fait normal, on a plus tendance à croire ce qui nous arrange et ce qui conforte nos croyances et nos valeurs que ce qui veut les remettre en question –, donc je pense pas mal de discuter des arguments les plus fréquents qui arrivent des deux côtés. En gros, ça se découpe en quatre types de problèmes de raisonnements :
les présuppositions (où on fait une affirmation qui implique d’autres choses qu’on suppose évidentes mais qui ne le sont pas forcément)
les généralisations abusives (comme je disais tout à l’heure pour le mot torture, par exemple)
les « non sequitur » – c’est plus compliqué, mais en gros, s’il pleut, le sol de votre terrasse va être mouillé, mais il n’y a pas besoin qu’il pleuve pour que le sol de votre terrasse soit mouillé. sur d’autres sujets, on oublie vite ça.
et les chiffres, utilisés n’importe comment tant que ça dit ce qu’on veut prouver.
Le premier argument des pros, vous le connaissez, c’est que l’expérimentation animale est nécessaire et indispensable, la recherche s’arrêterait si on l’interdisait, on reviendrait au moyen-âge et on mourrait à 30 ans (j’exagère même pas, c’est un gars de l’inra qui a dit ça il y a quelques années). sauf que ça,
ça suppose que c’est moralement justifié de le faire (parce qu’on pourrait faire les mêmes expériences sur des humains, on se prive d’énormément de possibilités en l’interdisant, mais c’est interdit), et ça suppose qu’on ne veut pas risquer de perdre certaines possibilités de recherche au nom de la morale, justement (ce qui n’est pas évident, pour la même raison).
et quand ils ne s’en sortent pas trop, ils disent que c’est « un choix de société » (sauf que ça fait un moment que la société n’a rien choisi et que c’est le gouvernement qui choisit à peu près tout pour nous…)
en même temps, de notre côté, on va dire régulièrement, c’est un message largement diffusé par les associations, que l’expérimentation animale est inutile et dangereuse. sauf que là, c’est une énorme généralité, qui se base sur l’exemple précis de la toxicologie réglementaire et sur ses résultats pas géniaux, pour dire que toute l’expérimentation animale est inutile. alors que si on prend seulement l’exemple du développement des médicaments vétérinaires, ben là c’est pas inutile, les tests sont faits sur des animaux de l’espèce concernée donc on peut pas remettre en cause la scientificité du truc.
l’idée qu’il y a derrière cette notion d’inutilité, qu’andré ménache met beaucoup en avant (si vous ne le connaissez pas, c’est le porte-parole d’antidote europe et pro anima, notamment, et conseiller scientifique pour one voice aussi, je crois), derrière cette idée d’inutilité, il y a l’idée de système complexe : un système compliqué, c’est genre un ordinateur, il y a des composantes et des interactions dans tous les sens, mais les gens qui s’y connaissent peuvent s’y retrouver et prévoir ce qui va se passer, et extrapoler d’un ordinateur à l’autre. alors qu’un système complexe, ça implique des choses « émergentes », donc des choses qui dépendent de plusieurs niveaux à la fois, de plusieurs échelles temporelles à la fois, de plusieurs échelles spatiales à la fois, ce qui fait qu’on peut difficilement prévoir ce qui va en sortir, et surtout difficilement prévoir les changements globaux que peut impliquer un changement minime. donc vu que les espèces sont différentes, on peut rien prévoir d’une espèce sur l’autre, d’après ce principe.
c’est le fameux « nous ne sommes pas des rats de 70kg ». mais tout ça, ça présuppose que le but des « modèles » animaux est d’être des répliques exactes dont on croit qu’elles vont tout prévoir pile comme il faut. et ça, ça n’est pas le cas, j’en parlerai un peu plus tout à l’heure, mais ces arguments-là, à mon sens, doivent être évités, surtout parce que si vous avez quelqu’un d’un peu formé en science en face, vous allez vous décrédibiliser sauf à être ultra-spécialisé, précise et nuancé dans vos propos.
en même temps en face, les pros sortent l’idée de « l’organisme entier » à tout bout de champ, qui n’est vraiment pas mieux, parce qu’ils ne parlent jamais, justement, des différences et de la manière de gérer ces différences, comme si le passage à n’importe quel organisme entier était forcément plus fiable que le passage par les cellules seules.
alors, les non sequitur (le truc avec la pluie et votre terrasse), ici, c’est à propos de ce qu’on attribue comme résultats à l’expérimentation animale. chez les antis, on dit régulièrement que ça a causé des résultats désastreux (la thalidomide, ce genre de choses), alors que concrètement, on n’en sait rien, parce que les archives sont pas très claires sur les tests qui avaient été faits ou non chez les animaux, et c’est très possible qu’en fait,
les tests relatifs aux malformations de bébés n’avaient pas été faits pour la thalidomide parce qu’ils n’étaient pas obligatoires à l’époque. donc le souci n’était pas les tests sur les animaux, c’était que les tests appropriés n’avaient pas été faits. en tout cas, c’est la défense utilisés par les pros,
qui de leur côté, n’hésitent pas à dire que l’expérimentation animale a permis toutes les avancées médicales depuis plus d’un siècle. là, le mot-clé, c’est « permis ». et ils en savent rien. parce qu’ils n’ont pas de point de comparaison, et c’est facile de dire que votre terrasse n’aurait pas pu être mouillée s’il n’avait pas plu, mais si quelqu’un vient jeter un seau d’eau dessus, là vous avez un point de comparaison. quand il s’agit d’histoire, on ne peut pas faire de comparaison, donc il faut éviter de faire des affirmations comme ça.
et c’est pareil pour les « 95% » de prix nobel qui ont utilisé des animaux : évidemment, c’était autorisé et c’était pratiqué, c’est évidemment probable que la plupart des prix nobel en ont utilisé, mais la plupart des chercheurs et chercheuses qui n’ont fait aucune découverte aussi en ont utilisé. c’est vraiment un chiffre bidon.
malheureusement, de notre côté, on utilise aussi des chiffres de manière trompeuse. genre « 9 médicaments sur 10 qui ont passé les tests sur les animaux sont recalés dans les tests sur les humains ». oui, c’est vrai. et 9 médicaments sur 10 qui passent la première phase des tests sur les humains sont recalés dans les deux phases suivantes, ce n’est pas pour ça qu’on va dire que les tests sur les humains ne sont pas fiables. j’en parlerai un peu plus tout à l’heure.
et celui-là, peut-être que vous l’avez simplement vu comme l’idée que la recherche fondamentale ne sert à rien, mais je sais qu’andré ménache sort souvent ce chiffre de 0,004% des recherches fondamentales qui mèneraient à une application. c’est sûr que là, on dirait vraiment que c’est inutile au possible. sauf que ce chiffre vient d’une étude hyper biaisée, qui regarde si une publication de recherche fondamentale mène à une application dans une publication qui arrive juste après. alors que la plupart du temps, il faut des dizaines d’études de recherche fondamentale pour cerner un sujet et pour pouvoir envisager des applications. donc là aussi, argument à éviter. enfin, il y a les questions
de la réglementation
et des alternatives, qui sont présentées très différemment selon qui en parle : soit la réglementation autorise tout et n’importe quoi et on peut déjà tout Remplacer par des alternatives, soit c’est « strictement réglementé » et les alternatives sont en fait des méthodes complémentaires qui ne remplaceront jamais toute l’expérimentation animale. vous avez posé la question dans l’événement, du coup je développer un peu sur les alternatives, et je viendrai ensuite à la réglementation.
Les alternatives
Concrètement, les alternatives, c’est un truc bien compliqué, beaucoup plus qu’on peut se représenter quand on dit qu’on a ce qu’il faut pour Remplacer toute l’expérimentation animale. Si vous voulez des exemples un peu plus spécifiques sur certains points ici, n’hésitez pas à me demander à la fin, là je vais passer pour vous donner une vision d’ensemble. Déjà, il faut distinguer les alternatives
selon leur utilité, selon leur type et selon l’objet de recherches auxquelles elles s’appliquent. Le type, c’est probablement quelque chose que vous connaissez bien, ou au moins dont vous avez entendu parler. on distingue
les méthodes in vitro, comme l’utilisation des cellules souches, le développement des organes sur puce, la bioimpression de tissus, ce genre de choses ;
les méthodes in silico, en gros sur ordinateur, par exemple les QSAR, qui veut dire littéralement « relation quantifiée entre la structure et l’activité » d’une molécule – c’est-à-dire que si on connait les effets toxiques de plein de molécules, quand on en crée une nouvelle, on peut comparer comment elle est faite avec celles qu’on connait, et ça permet de déterminer une partie des risques qu’elle peut poser.
les méthodes in humano, là je mentionne les phases cliniques et l’épidémiologie qui étudie les données d’observation de la population, en gros, mais moins connu, il y a le microdosage, qui fait qu’on teste de toutes petites doses d’un produit sur une zone spécifique du corps de quelqu’un, de manière à contrôler la propagation et à pouvoir tirer quelques conclusions sans mettre la personne en danger.
et puis, la médecine personnalisée, qui va regrouper un peu tout ça et tenter d’adapter les médicaments à la personne spécifique qui les utilise – plutôt que de faire des médicaments plutôt efficaces et non toxiques pour la plupart des gens, on se concentre sur ce qui sera le mieux et sans risque pour cette personne. là, je n’y connais pas grand-chose, juste que c’est déjà pratiqué pour quelques médicaments aux états-unis, et ça tend à se développer, mais ça reste complexe. ––– une fois qu’on voit ces distinctions, on peut se demander dans quel domaine ça va être utilisé. et là en gros, ce sont les trois domaines principaux de l’expérimentation animale, donc
la toxicologie – c’est là qu’il y a l’idée de valider les méthodes alternatives pour les imposer dans la réglementation à la place des animaux, vu que ça concerne les tests obligatoires avant les mises sur le marché, en particulier. là, la possibilité d’alternatives est énorme.
la recherche biomédicale, où on développe les médicaments, mais pas que. je le mets là, ça concerne aussi des actes chirurgicaux. donc imaginez qu’on veuille regarder si l’ablation de telle zone du cerveau pour traiter des symptômes épileptiques va bien être utile et ne risque pas de faire perdre des fonctions cognitives importantes, on peut difficilement imaginer de tester ça concrètement sur ordinateur ou sur des cellules, parce que justement, si on se pose la question, c’est qu’on n’a pas pu le savoir comme ça. ça ne justifie pas l’utilisation d’animaux, mais il ne faut pas prétendre qu’on pourrait strictement tout Remplacer dans ce domaine avant d’avoir compris d’un bout à l’autre comment fonctionne le cerveau humain, et on en est loin.
la recherche fondamentale, c’est peut-être là que c’est le plus compliqué d’imaginer tout Remplacer, parce que justement, c’est là qu’on invente des méthodes d’exploration, qu’on cherche des tas de choses qui serviront plus ou moins par la suite, mais typiquement, là encore, pour étudier le fonctionnement neurologique et comprendre le cerveau, ce qui peut permettre par la suite d’élaborer des traitements mieux ciblés ou plus stratégiques, ça peut passer par des tests sur les animaux qui vont observer différents fonctionnements en sachant que ça ne marche pas exactement pareil chez l’humain – mais les différences elles-mêmes peuvent être riches d’enseignement. mais je le redis, qu’on puisse apprendre quelque chose avec l’expérimentation animale ne peut absolument pas la justifier du point de vue moral, sinon ça justifierait du même coup les expériences sur d’autres êtres humains, même non consentants – à moins de se décréter arbitrairement que la capacité de développement cognitif ou l’espèce seraient des critères pertinents pour discriminer les individus, et là ça poserait des soucis même entre les humains…
bref, le dernier domaine dont je voulais parler là, qui utilise beaucoup moins d’animaux mais quand même, c’est l’enseignement. là, il y a énormément de méthodes aujourd’hui, comme pour la toxicologie, qui essaient de se passer d’animaux, la difficulté reste dans la diffusion de ces méthodes et dans leur mise en place, et il y a des questions sur la formation des chirurgiens vétérinaires, par exemple – est-ce que vous confieriez votre animal de compagnie à quelqu’un qui n’a jamais opéré sur un vrai animal ? en même temps, on ne forme pas les chirurgiens en les faisant opérer sur des humains élevés pour ça, donc là aussi, le spécisme joue quand même un gros rôle sur nos préconceptions. ––– enfin, il y a l’utilité, l’utilisation de ces méthodes, et ça c’est quelque chose dont on parle très peu, surtout au sein des associations animalistes, parce que ça contredit un peu d’autres propos qu’on tient. parce que alternative, ça ne veut pas forcément dire pas d’animaux.
première chose, ça les pros aiment bien le rappeler, ce sont notamment des méthodes « complémentaires » – parce que oui, dans les tests de toxicité qu’on fait avant les essais cliniques chez les humains, on passe notamment par des tests in vitro et in silico, qui apportent certaines informations. mais bon, cette notion, c’est surtout utilisé pour casser le mot « alternative » et faire croire qu’on ne pourra jamais Remplacer les tests sur les animaux.
deuxième chose, malheureusement, de nombreuses alternatives disponibles aujourd’hui impliquent d’utiliser des animaux. alternatives, ça veut dire ne pas utiliser des animaux vivants. utiliser des organes d’animaux, des tissus d’animaux, des anticorps d’animaux pour les milieux de culture, tout ça, c’est de l’in vitro (on dit aussi ex vivo, dans ce cas-là) – et c’est en partie ces animaux-là qui ne sont pas déclarés dans les enquêtes statistiques annuelles, parce qu’ils ne font pas l’objet de procédures, on les tue, juste. maintenant, il y a de grosses tentatives pour se débarrasser des anticorps d’origine animale dans les milieux de culture, justement, parce qu’ils posent plein de problèmes, mais là, les pros s’y opposent fortement, sans grande surprise. côté alternatives animales, il y a aussi le fait que les 3R, dont je reparlerai, sont censées être des alternatives – donc si on fait une cage un peu plus sympa, c’est une « alternative ». mais là aussi, c’est plus de l’enfumage qu’autre chose, et il faut mettre en avant que dans les milieux animalistes, on parle des alternatives pour désigner plus spécifiquement
les méthodes « substitutives », celles qui permettent vraiment de Remplacer (le troisième R) et de ne pas utiliser d’animaux du tout, ni vivant ni mort. les méthodes substitutives sans animaux du tout, ça reste donc plutôt rare aujourd’hui, mais ça existe et ça va se développer. par exemple, ça fait quelques années, récemment, qu’on peut innerver une culture cellulaire en trois dimensions avec des sortes de vaisseaux sanguins et différentes couches de cellules différenciées, pour reproduire par exemple la barrière du placenta, avec son extérieur et son intérieur, pour tester si un produit est susceptible de la traverser. ça, ça peut Remplacer des tests sur des femelles qu’on met volontairement enceinte pour tester directement sur elles.
dernière chose, dans la loi de programmation de la recherche pour les années 2020, la France a voté la création d’un centre 3R national – donc avec un budget, ce qui est une révolution en France alors que d’autres pays ont ça depuis quinze ans. mais on ne sait rien du tout du budget, ni de la direction, ni des orientations qui seront prises. parce que comme je disais, si c’est pour développer des cages plus sympas, ça foutrait vraiment de l’argent en l’air, qui pourrait être utilisé bien mieux. ––– mais bon, pour l’instant, j’ai commencé à parler des 3R plusieurs fois, et je ne les ai pas encore décrits, et pour ça, il faut que je vous parle
La réglementation
de la réglementation. alors, je vous passe rapidement
l’histoire de la réglementation, en gros, en France, il n’y avait
strictement rien au 19e siècle (la loi de maltraitance animale ne concernait que les trucs publics),
strictement rien jusque dans les années 60 (la loi michelet exemptait l’expérimentation),
et dans les années 60, une loi pourrie de 10 lignes qui n’a jamais été appliquée. donc c’est
en 1986 puis
en 2010 que l’europe a fait des lois qui ont enfin été appliquées en France. là, on est encore sous la directive de 2010, qui est appliquée en France depuis 2013. ––– dans cette directive, il y a l’idée que le Remplacement total est l’objectif… mais il n’y a pas de calendrier, rien, donc c’est une promesse pour la galerie. par contre il y a l’idée que si des alternatives existent, elles doivent être utilisées.
d’ailleurs, c’est aussi dans le code rural. donc quand le référendum pour les animaux, l’année dernière, demandait à inscrire ça ailleurs, c’était pas très logique et ça a été critiqué, parce que c’est déjà écrit. après, que ce soit appliqué et que ça corresponde à ce qu’on voudrait, c’est autre chose. j’en viens donc aux 3R, qui définissent justement ce que sont les alternatives au regard de la loi.
d’abord, il faut « réduire ». en gros, il y a des calculs de biostatistiques qui permettent de dire que si on fait des expériences sur 150 souris, les résultats ne seront pas plus valables que si on les fait sur 60 souris. à partir de là, il faut utiliser 60 souris. ça en fait 90 de moins que prévu, c’est pas mal… enfin bon, ça reste des individus qui sont utilisés sans leur consentement, donc ça va toujours pas, et en plus depuis 15 ans, les chiffres stagnent autour de 2 millions par an. il y a une légère baisse chaque année en France, mais c’est tellement léger qu’on est vers 1,8 millions maintenant – sans compter les animaux utilisés pour leurs tissus, pour les élevages transgéniques, tout ça. bref, voilà à quoi ressemble la Réduction.
le Raffinement, c’est ce dont je parlais avec les cages plus sympas, mais ça concerne aussi les procédures. si on peut obtenir les mêmes résultats en faisant moins de mal ou moins de stress aux animaux utilisés, il faut le faire. d’où l’obligation de l’anesthésie, sauf dans les cas où elle pourrait interférer avec les résultats. ce n’est pas des cas majoritaires, puisque les procédures sévères, en France, celles qui font le plus souffrir ou stresser les animaux, il y en a entre 10 et 20%, en gros, chaque année. c’est autant de trop, qu’on soit bien clair, mais il ne faut pas dire qu’on n’utilise jamais d’anesthésie, parce que c’est faux. le Raffinement, c’est aussi l’enrichissement des cages. genre on met 2-3 souris dans une boite en plastique de la taille d’une boite à chaussures, c’est pas top. on rajoute un petit tunnel et des morceaux de carton à grignoter dans la boite, c’est un milieu « enrichi ». sauf que des fois, il faut pour la procédure que l’animal soit tout seul, alors pouf, c’est autorisé. des fois, c’est « compliqué » de faire un enrichissement (je déconne pas, j’ai un rapport d’inspection de labo où ils justifiaient comme ça le fait que les rats étaient dans des boites sans rien pour s’occuper), alors pouf, on leur dit que quand même, il faudrait y réfléchir, et on revient un an après pour vérifier. y’a un tube en inox. ouah, super, c’est bon c’est enrichi. voilà ce que peut être le Raffinement. je suis un peu cynique là-dessus, parce qu’il y a des procédés de Raffinement qui sont juste ridicules et qui ne changent tellement quasiment rien que c’est vraiment pour la galerie. y’en a d’autres, comme des procédures chirurgicales beaucoup moins invasives, qui réduisent effectivement de beaucoup les souffrances que les animaux doivent supporter avant d’être tués. donc c’est mieux. ça reste tout aussi injustifiable, mais c’est mieux.
enfin il y a le Remplacement. mais là, il y a la limite que je vous ai déjà mentionné : les alternatives, dans ce domaine, concerne l’utilisation de méthodes sans animaux vivants. tuer un animal, ça va. et c’est vrai que même d’un point de vue moral, tuer n’est pas la même chose que faire souffrir, ça se discute différemment. mais on les fait aussi se reproduire, et on les garde en captivité, même si c’est peu de temps. donc ça n’est pas « juste » les tuer.
grâce à la réglementation, il y a quand même quelques contrôles, qui vont vérifier que tout se passe bien, que la loi est respectée (là encore, ça n’est pas voir si les animaux sont bien considérés comme les individus qu’ils sont, mais juste qu’ils ne sont pas maltraités plus que ce que la loi autorise). pour contrôler, il y a :
les comités d’éthique, il y a une centaine en France, c’est opaque au possible, ils sont composés à 80% de professionnels de l’expérimentation animale, et il n’y a pas d’obligation d’avoir des spécialistes des alternatives (ce qui est gros), ni de spécialistes de la philosophie morale (ce qui se comprend très bien, puisqu’ils ne partent pas de la même définition de l’éthique). globalement, ils ne refusent jamais un projet – mais souvent, ils demandent d’y apporter des modifications (genre non, il faudrait 20 souris, pas 22, et là, ça c’est mal rédigé, le but est pas clair ; et est-ce qu’il y a moyen de faire sans les chocs électriques ? non ? ah, tant pis – je caricature, puisque j’attends encore de pouvoir lire des délibérations de comités d’éthique…). mais les projets ne sont pas censés pouvoir commencer avant d’avoir l’avis positif du comité d’éthique, qui le transmet au ministère, qui donne l’autorisation.
le truc dont on ne parle quasiment pas et qui est très peu connu, ce sont les structures chargées du bien-être animal dans les labos. en gros, c’est un groupe de quelques personnes, dont le vétérinaire référent, qui se réunissent pour discuter des 3R. sauf que leurs réunions, ça peut être une fois tous les deux ans comme une fois par mois, d’après ce que j’ai vu dans les rapports d’inspection des labos. et le résultat, ça peut être un compte-rendu avec des recommandations, ou alors rien du tout. et évidemment, ce ne sont que des personnes internes, donc elles ne vont clairement pas remettre en cause le bien-fondé des expériences.
et puis il y a justement l’inspection des établissements par les services vétérinaires publics, comme pour les abattoirs et les élevages. et pareil, c’est opaque au possible (j’en parlerai mieux à la fin), et surtout les conséquences possibles sont tellement minimes que c’est ridicule. en gros, à part si quelqu’un est en train de torturer un animal en face de l’inspectrice, la seule chose que l’inspection peut faire, c’est dire : là, c’est pas bien, il faudrait penser à nettoyer la moisissure de ces cages ; et puis là, ce projet, vous avez pas l’autorisation du ministère et vous l’avez commencé, c’est pas bien, vous allez régulariser ça, d’accord ? ah ça fait déjà un an que ça dure ? ouh là, alors attention, si ça continue on va faire un procès-verbal et vous allez peut-être passer au tribunal et devoir payer quelques centaines d’euros, alors, hein, soyez gentils ! là encore, j’extrapole en partie, mais c’est vraiment ce qui ressort de ce que j’ai pu voir pour l’instant sur ce sujet. bref, les contrôles, c’est une garantie de rien du tout.
Le livre de Rick Bogle
j’en profite pour faire un peu de pub en avance pour ce livre, que j’ai traduit de l’anglais, qui raconte énormément de choses sur les infractions et les stratégies de communication d’une grosse université états-unienne. je suis dans le processus d’auto-édition, il devrait être en vente au mois de juin, j’espère, et j’en enverrai une copie à chaque asso, pour voir si les assos veulent en commander en groupe pour les vendre sur les stands. je précise, je ferai pas de bénéfices perso là-dessus, je toucherai 4€ par vente et ce sera tout reversé à une asso de lutte contre l’expérimentation animale chaque année. voilà, c’était la minute pub.
L’exemple du Covid-19
du coup, j’enchaine avec deux slides un peu spéciales, liées à mes démarches perso d’un côté, et d’abord à la question que vous m’avez posée concernant les recherches sur le covid. je vais aller assez vite, mais on pourra revenir dessus si vous voulez des détails, comme pour les alternatives.
première raison de faire des recherches sur le covid : pour le comprendre – et notamment pour connaitre son origine.
deuxième raison : pour développer des traitements et des méthodes de prévention pour juguler la pandémie et gérer comme on peut les urgences.
du côté de l’origine, les recherches qui utilisent des animaux, ça va être des études sur les chauve-souris, les pangolins, pour voir si le virus peut passer de l’un à l’autre, comment il mute, tout ça. voir si c’est crédible qu’il vienne de là. et puis, il y a des prélèvements, sur les animaux du marché humide de Wuhan, sur des animaux sauvages pour voir les formes de coronavirus qui existaient dans la nature, et certainement dans le laboratoire P4 de wuhan, qui fait des recherches sur des pathogènes dangereux en utilisant notamment des animaux (en gros, c’est ça que ça veut dire, P4).
pour ce qui est de comprendre le virus, il y a déjà deux choses : le virus a été reproduit en laboratoire très rapidement, dès que possible. l’institut de recherches biomédicales de l’armée en France l’a dit, d’ailleurs. et puis il y a certainement eu des recherches sur les mutations possibles, dans des animaux ou sur des modèles in vitro, in silico, pour voir comment les cellules y réagissent, essayer de cerner un peu le truc, en gros. là, c’est pas forcément des modèles animaux.
côté animaux, il y a les modèles « non-analogues » (ceux dont on reconnait qu’ils ne fonctionnent pas pareil que nous) qui servent à comprendre comment le virus se déploie et fonctionne dans différents organismes. c’est en faisant ça, par exemple, qu’on a pu trouver des anticorps intéressants chez les lamas, tout en sachant que nous-mêmes on ne produit pas ces anticorps. mais bon, pour pouvoir aller vers les traitements, il « fallait bien », avec des guillemets, faire des modèles animaux qui fonctionnaient un peu plus comme nous. donc soit
des animaux génétiquement modifiés pour exprimer des gènes spécifiques liés à ce qu’on avait appris du coronavirus. soit
des modèles animaux « analogues » dans lesquels le virus agissait plus ou moins comme chez nous. donc le centre de primatologie de tulane, aux états-unis, s’est félicité d’avoir réussi à faire mourir des primates du covid-19, parce que ça voulait dire que ça allait peut-être être de bons modèles.
côté traitement, donc, il y a eu des animaux utilisés comme réservoirs. j’ai parlé des lamas pour les anticorps, mais ça peut être aussi pour avoir des réserves du virus, ou ça peut être des adjuvants pour les vaccins. typiquement, certains vaccins prévoyaient d’utiliser du squalène (qui vient d’une espèce de requins) pour ça. je ne crois pas que ce soit les vaccins qui sont commercialisés aujourd’hui, mais ça n’est pas impossible non plus.
on a eu, hors animaux vivants, les tests in vitro, et puis les tests in silico, pour vérifier la toxicité de certains produits. par exemple, pour tester la toxicité des vaccins, il y a eu un tollé quand les états-unis ont refusé d’utiliser une alternative synthétique au sang de limule (un genre de crabe préhistorique, une des espèces les plus anciennes encore en vie, il me semble).
et puis les tests d’efficacité in vivo, donc on prend un animal, on l’infecte, et on teste sur lui le médicament ou le vaccin pour voir si ça fait bien ce qu’on veut.
et les tests de toxicités in vivo, toxicités au pluriel parce que comme je disais, c’est large, la toxicologie, on peut pas dire toxique ou pas toxique, il y a la toxicité pour les fœtus, pour les écosystèmes, la toxicité aiguë, la toxicité à long terme… plein de choses, plein de tests différents.
et tout ça, ça précédait les essais cliniques, donc sur les humains, des médicaments comme des vaccins.
sur les humains, il y a aussi eu les tests sur les malades dans les hôpitaux (typiquement la chloroquine ou le remdesivir, qui ont fini par être lâchés parce que les résultats n’étaient pas assez bons face aux risques, ou parce que les résultats étaient juste pourris).
mais sur les animaux, ça n’est pas fini, parce qu’il y avait aussi des tests pour voir si on risquait d’entretenir la pandémie via les animaux d’élevage, ou via les animaux de compagnie – et pour voir, d’ailleurs, si les animaux de compagnie risquaient quelque chose aussi. donc il y a eu des équipes qui ont infecté volontairement des hamsters, des chiens, des poules, etc., pour voir s’ils développaient la maladie et pouvaient la transmettre.
enfin, il y a eu des tests des outils utilisés pour les traitements ou la prévention. les respirateurs, typiquement, il y a une équipe au panama qui a lésé les poumons de cochon pour tester les respirateurs utilisés aux urgences. et pour les masques, il y a eu des recherches, par exemple j’ai vu un truc qui a infecté des hamsters et les a mis dans une boite, a mis dans une autre boite à côté des hamsters pas infectés, et la seule chose qui séparait les deux boites, c’est une ouverture couverte par un masque (les masques qu’on porte, pas les masques respirateurs spéciaux). et en gros, ils ont vu que la contamination était nettement moindre quand il y avait le masque entre les deux que quand l’air circulait librement. ––– bref, oui, plein d’animaux ont été utilisés spécifiquement dans les recherches sur le covid-19. à côté de ça, il y a eu aussi des initiatives de la part d’organismes dédiés aux méthodes alternatives, avec des bourses, des financements pour développer des méthodes in vitro et in silico spécialement pour l’occasion, ce qui était une bonne idée. mais ce n’est pas dans l’urgence qu’on peut développer tout ce dont on a besoin. ce qu’il faut, ce sont des financements conséquents, à l’avance, et j’ai envie de dire, dans le cas de l’expérimentation animale, un choix moral fort, celui de la refuser intégralement. ça, ça motiverait un peu tout le monde à les trouver, les méthodes substitutives et les approches alternatives qui manquent.
Transparence et opacité
enfin, il y a la question de la transparence. ça arrive peut-être un peu comme un cheveu sur la soupe – encore que vu qu’on vient de parler de covid et qu’une des choses qui ressort est que tout le monde se demande si des animaux ont bien été utilisés de telle ou telle manière, c’est bien qu’il y a un souci de transparence quelque part. la citation, ici, elle vient de la « charte de transparence » que le gircor (le lobby de l’expérimentation animale, je rappelle) a sorti fin février. « Chaque citoyen a droit à une information complète, claire et exacte sur les raisons et les conditions du recours aux animaux, sur le cadre réglementaire de cette utilisation ainsi que sur les progrès scientifiques et médicaux qui en découlent. » Dans la réalité,
si on veut lire les publications scientifiques, la plupart du temps il faut payer (sauf si on veut utiliser des méthodes illégales pour obtenir les pdf), et c’est en anglais, c’est du langage plutôt abstrait, les images sont des gros plans ou des schémas lissés pour ne surtout pas choquer, c’est pas vraiment un modèle de transparence.
les textes de loi, ben c’est des textes de loi, dont là aussi très spécialisé, un peu imbuvable ou il faut s’accrocher, mais on peut apprendre, par exemple, les tailles minimums des cages ou les méthodes d’abattage qui sont autorisées (ça va du gazage au surdosage d’anesthésique, en passant par l’injection létale et le coup sur la tête, entre autres).
dans ce que publie le ministère, c’est une grosse blague. les « résumés non-techniques » des projets autorisés par les comités d’éthique ont trois ans de retard et sont écrits n’importe comment et regroupés dans des gros pdf pourris. les statistiques annuelles, pour dire que le ministère s’en fout, sur moins de 10 pages, pour les données 2019 qu’on attendait depuis un moment, ils ont réussi à se planter concernant les données des macaques cynomolgus. bref, c’est utile, comme documents, mais il faut s’accrocher pour en tirer quoi que ce soit là aussi.
et puis, sur les sites web des établissements de recherche, je ne doute pas qu’on va voir fleurir les positions de principe complètement stéréotypées comme celle qu’affiche fièrement le laboratoire vivotecnia que cruelty-free international vient d’épingler pour des cas de maltraitance grave. « Nous nous intéressons de très près à un bien-être animal optimal et à des principes éthiques stricts, blablabla. » c’est globalement ce que recommande les associations comme l’EARA, l’équivalent du Gircor à l’échelle européenne – et ça fait partie des recommandations des chartes de transparence, que Vivotecnia avait signé, bien sûr. donc, ça ne nous apprend rien, sauf qu’on se fait enfumer. mais ça on le savait déjà, en fait.
le dernier recours qui nous reste, c’est l’accès aux documents administratifs. il n’y a pas grand-monde qui le sait, mais quand on demande un document à une administration publique, elle est censée nous le donner, sous réserve que ça ne pose pas de souci de sécurité ou de secret des affaires, notamment. dans les faits, on demande à l’administration, elle ne répond pas, on attend un mois, on saisit la Cada (qui est chargée d’aider les relations entre le public et l’administration), la Cada met un mois ou deux à enregistrer la saisine, l’administration ne répond pas, il faut attendre deux mois pour avoir peut-être une réponse de la Cada si elle a le temps, ou pour saisir de toute façon le tribunal administratif, parce que l’administration ne répond pas (ou refuse, plus simplement), et puis les tribunaux administratifs mettent un ou deux ans à statuer, et ensuite il y a des chances que ça doive passer au Conseil d’État pour faire jurisprudence parce que si l’administration ne veut vraiment pas donner le document, elle ne va pas le lâcher comme ça. c’est un processus bien long, que je ne vous recommanderai pas de faire individuellement. là, j’en ai une soixantaine en cours, c’est long à gérer, mais ça fait qu’on a maintenant des avis de la cada qui disent que pas mal de documents sont communicables au public, même si les administrations ne sont pas vraiment d’accord et qu’on verra ce que donneront les jugements :
d’abord, la liste des établissements agréés est censée être communicable. mais le ministère a peur, parce qu’après on pourrait savoir quels établissements font de l’expérimentation animale…
ensuite, concernant les inspections, le vade-mecum, le guide en gros, des inspections, est communicable. et puis, les dates des inspections et les rapports d’inspection, aussi. mais pareil, le ministère a peur qu’après des gens aillent s’infiltrer dans les laboratoires pour voler des animaux – alors que ça n’est arrivé qu’une seule fois ces quinze dernières années, dans un laboratoire public dont l’adresse est disponible sur internet… bref. là, j’attends les jugements pour la plupart des départements de France.
les comptes-rendus de délibération des comités d’éthique, malgré la charte d’engagement qui leur dit d’être confidentiels, sont communicables au public, normalement. là, j’attends un jugement sur le comité d’éthique de l’institut de recherches biomédicales de l’armée. ça va sûrement durer un moment.
et puis, la loi oblige les établissements à produire des dossiers de suivi individuels pour les primates, les chiens et les chats, qui les suivent toute leur vie, indiquent ce qu’on leur fait, ce qu’on leur donne, tout ça, et les dossiers sont gardés trois ans au moins après la mort des animaux. là, j’attends les jugements concernant les dossiers de primates de niederhausbergen et des chiens et chats de l’école nationale vétérinaire d’alfort. ––– comme je disais, je ne vous recommanderai pas de faire ces démarches vous-mêmes, d’autant que c’est possible que des assos aient déjà lancé ça, ou veuillent le lancer, et peuvent avoir plus les moyens de suivre les dossiers et de gérer ça comme il faut. de mon côté, je n’ai pas d’emploi, donc j’ai plus ou moins le temps, et j’ai de l’aide de la part d’une personne qui est qualifiée en droit, pour le côté tribunal, ça aide bien, parce que sinon, légalité externe, légalité interne, jurisprudence et autres, c’était un peu du charabia pour moi au début.
Cosmétiques
enfin, je voulais conclure sur cette question, parce qu’on peut bien sensibiliser la population, mais il faut savoir ce qu’on lui demande. pour les cosmétiques, on peut facilement demander à ne pas acheter de cosmétiques testés sur les animaux. de toute façon, dans l’union européenne, il n’y en a quasiment aucun qui peut être testé sur les animaux, surtout depuis la nouvelle réglementation en chine, et il y a les logos si on a des doutes. mais est-ce qu’on va demander aux gens de ne plus rien acheter qui contienne du plastique ? parce qu’il y a des chances que ça ait été testé aussi. et les emballages de nourriture, quels qu’ils soient. et les ondes des téléphones et d’internet, c’est pareil, il y a tellement de discussions autour qu’il y a plein d’animaux qui y passent, que ce soit pour prouver qu’il n’y a aucun souci ou pour prouver que c’est affreux. et les pesticides (bio ou pas, ça passe par la case toxicologie, surtout pour l’écotoxicité). est-ce qu’on va demander aux gens de ne pas se vacciner sous prétexte que les vaccins ont impliqué des recherches sur les animaux ? ça voudrait dire qu’il faudrait leur demander aussi d’arrêter d’acheter énormément de choses, et de se priver de plein d’outils militants. bref, vous aurez compris que pour moi, le but n’est pas le boycott individuel, qui relèverait vraiment d’un exploit. c’est plutôt le changement de regard de la population sur les animaux. si on sensibilise les gens à la philosophie morale, le rejet de l’expérimentation animale est juste logique, en fait : on n’a pas le droit d’utiliser des individus qui ne peuvent pas donner un consentement éclairé, pour des recherches qui ne leur apporteront rien, juste parce qu’on juge arbitrairement que notre espèce a un statut de dignité particulier ou que nos capacités de développement intellectuel sont supérieures à celles des espèces qu’on utilise. Et ça, surtout quand la répartition des financements pourrait se faire très différemment pour encourager le développement de méthodes de recherches sans animaux.
Conclusion
Voilà, c’est fini pour la présentation, maintenant si vous avez des questions, des remarques, des doutes, n’importe quoi, n’hésitez pas, on va essayer de faire tourner la parole. Merci de votre attention !