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TA Nantes, jugement n°2013045 du 14/02/2023 (Nicolas Marty c. DDPP44)

Les rapports d’inspection sont communicables en y occultant l’identification des personnes physiques (protection de la vie privée) et les descriptions de procédés techniques « même sommaires » (secret des affaires), mais pas les non-conformités, ni l’identité et la localisation des établissements, ni les commentaires relatifs aux différents items. Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 16 décembre 2020 et le 16 juin 2021, M. D B demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de l’ensemble des établissements d’expérimentation animale du département de la Loire-Atlantique ;

2°) d’enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique de lui communiquer les documents demandés, dans les quinze jours de la notification de la décision à rendre et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Il soutient que :

– la décision attaquée émane d’une autorité incompétente ;

– elle n’est pas régulièrement motivée ;

– elle méconnaît les articles L. 300-1 et L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration ;

– sa demande n’est pas abusive.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2021, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

– la direction départementale de la protection des populations était compétente ;

– la demande est abusive ;

– la communication demandée risquerait de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, ainsi qu’au secret industriel et commercial.

La clôture de l’instruction a été fixée au 2 juillet 2021 par une ordonnance du 9 juin 2021.

Des mémoires et pièces, enregistrés les 29 septembre 2021, 3 janvier 2022 et 26 août 2022, ont été présentés par M. B.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code de la recherche ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code rural et de la pêche maritime ;

– l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles ;

– le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. A de Baleine en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 17 janvier 2023 :

– le rapport de M. A de Baleine, président,

– les conclusions de M. Sarda, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier électronique du 7 mai 2020, M. B a demandé à la direction départementale de la protection des populations de la Loire-Atlantique, et par suite et nécessairement au préfet de la Loire-Atlantique, de lui communiquer des copies numériques des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements de ce département pratiquant l’expérimentation animale. Il n’a pas été fait droit à cette demande, dont la Commission d’accès aux documents administratifs a été saisie le 27 juillet 2020 et qui a émis son avis le 29 octobre 2020, M. B ayant entretemps réitéré sa demande le 15 octobre 2020. A la suite de cet avis, l’administration a, par un courrier du 19 novembre 2020, communiqué un rapport d’inspection en date du 2 octobre 2020, comportant l’occultation de certaines mentions, mais non celle de l’identité de l’établissement inspecté. M. B doit être regardé comme demandant l’annulation de la décision de ne pas faire droit au surplus de sa demande de communication du 7 mai 2020.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime :  » Les agents mentionnés à l’article R. 206-1 et au 1° de l’article R. 206-2 sont habilités à exercer dans les établissements utilisateurs, les établissements éleveurs et les établissements fournisseurs le contrôle de l’application des dispositions de cette section. / Les établissements éleveurs, fournisseurs et utilisateurs sont inspectés de façon régulière selon les modalités définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense. « .

3. Il résulte de ces dispositions que les établissements procédant à des expérimentations animales à des fins scientifiques font l’objet d’inspections régulières réalisées par des agents de l’Etat du département où ces établissements sont implantés et qui donnent lieu à un rapport d’inspection, ainsi que le prescrivent les dispositions du dernier alinéa de l’article 5 du l’arrêté du 1er février 2013 visé ci-dessus.

4. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. « . Aux termes de l’article L. 300-2 de ce code :  » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. « . Aux termes de l’article L. 311-1 du même code :  » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. « . L’article L. 311-2 de ce même code dispose :  » () / L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. « .

5. Aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration :  » Ne sont pas communicables : / () / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / () / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / () / h) Ou sous réserve de l’article L. 124-4 du code de l’environnement, aux autres secrets protégés par la loi. « . Selon l’article L. 311-6 de ce code :  » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. / () « . Aux termes de l’article L. 311-7 de ce même code :  » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. « .

6. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de communication de documents administratifs sur le fondement des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.

7. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par le 2° de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 du même code et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 de ce code. En application de ces dispositions, doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

8. Revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

9. Il ne résulte pas de l’instruction que la demande de communication présentée par M. B aurait pour objet de perturber le fonctionnement des services de la préfecture de la Loire-Atlantique ou aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

10. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent à la mission de service public exercée par les services de la direction départementale de la protection des populations de la Loire-Atlantique. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont, par suite, communicables à M. B en application de l’article L. 311-1 du même code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 citées au point 5. Le préfet de la Loire-Atlantique ne contestant pas ne pas avoir transmis l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire de ce département et ne faisant pas valoir que de tels documents seraient inexistants, son refus de communiquer ceux de ces documents autres que celui déjà communiqué à M. B est entaché d’illégalité.

11. Le préfet de la Loire-Atlantique soutient que, compte tenu de la représentation dans le département d’associations se donnant pour objet la protection animale, de la parution d’articles de presse ou de vidéos portant sur la situation d’animaux en élevage, de l’hostilité revendiquée par certaines personnes ou associations à l’égard du recours à l’expérimentation animale, des actions qu’elles sont susceptibles de réaliser et d’un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal, la communication des documents demandés par M. B risquerait d’en permettre des utilisations malveillantes, portant atteinte à la sécurité publique comme à la sécurité des personnes morales autorisées à recourir à l’expérimentation animale, des personnes physiques travaillant au sein de tels établissements et des agents de l’administration en assurant l’inspection et dressant les rapports d’inspection. Le préfet ajoute que, de tels documents faisant apparaître le comportement de personnes morales comme physiques, la divulgation de ce comportement pourrait leur porter préjudice. Il soutient également que la communication de tels documents aux tiers porterait atteinte au secret industriel et commercial.

12. Il ne résulte toutefois pas de l’instruction que la communication à un tiers des rapports d’inspection des établissements autorisés à pratiquer l’expérimentation animale porterait atteinte à la sécurité des personnes ou à la sécurité publique, dès lors que la seule communication de tels documents n’est pas, par elle-même, de nature à favoriser des dénonciations, intrusions, dégradations ou d’autres actes de malveillance à l’encontre des établissements concernés, des personnes physiques y travaillant ou des agents de l’administration en assurant l’inspection. En outre, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal dont fait pour sa part état le préfet ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens des dispositions du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Par ailleurs, il n’est pas établi que les rapports en cause contiendraient des mentions portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable au sens des dispositions du 2° de l’article L. 311-6 du même code. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la divulgation des mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux dates des rapports, aux éventuelles non-conformités relevées par les inspecteurs ou aux commentaires relatifs à chaque point de contrôle inspecté, serait de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes morales concernées, en méconnaissance des dispositions du 1° de l’article L. 311-6 du même code.

13. En outre, les mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux dates des rapports, aux conformités ou éventuelles non-conformités relevées par les inspecteurs ou aux commentaires relatifs à chaque point de contrôle inspecté, ne portent pas atteinte au secret des affaires, au sens du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Il en va de même de la simple mention des titres ou des références de projets scientifiques, y compris dans le cas où ces projets sont soumis à l’avis favorable d’un comité d’éthique. Sont, en revanche, protégées par le secret des affaires, au même sens, et en conséquence doivent être occultées, les mentions des rapports d’inspection qui comporteraient une description, même sommaire, de procédés, process ou techniques scientifiques ou industrielles, une telle description ne résultant en revanche pas de la seule mention du titre ou de la référence d’un projet scientifique ou industriel, dès lors que cette mention n’est pas assortie d’une explicitation, même sommaire, du contenu technique de ces projets.

14. En revanche, la protection de la vie privée des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que celle des rédacteurs des rapports dont la communication est sollicitée commande l’occultation de leurs identités et de tout élément de nature à permettre leur identification, en vertu des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration. C’est, dès lors, à bon droit que, dans l’unique rapport communiqué à M. B, l’administration a occulté les mentions permettant d’identifier les personnes physiques citées dans ce document, sans avoir eu l’obligation de motiver le recours à une telle occultation, qui ne peut être regardée comme une décision défavorable au sens des dispositions de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration.

15. Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, M. B est fondé à demander l’annulation de la décision refusant de lui communiquer l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale dans le département de la Loire-Atlantique, autres que celui du 2 octobre 2020 dont il a déjà reçu communication, non occultés des mentions autres que celles permettant d’identifier les personnes physiques citées dans ces rapports et celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées au point 13 ci-dessus.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

16. Aux termes de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration :  » L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration : / 1° Par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas ; / 2° Sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret ; / 3° Par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique ; / 4° Par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu’à l’intéressé en application de l’article L. 311-6. « .

17. Compte tenu de ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que le préfet de la Loire-Atlantique communique à M. B, à l’exception de celui du 2 octobre 2020 déjà communiqué, le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports et de celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées au point 13 ci-dessus, par l’un des moyens mentionnés par les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration, M. B ayant demandé une communication par courrier électronique, ces documents étant disponibles sous forme électronique. Il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir, pour ce faire, un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.

D E C I D E :

Article 1er : La décision par laquelle le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de communiquer à M. B l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale dans le département de la Loire-Atlantique, à l’exception du rapport d’inspection n° 20-062856 du 2 octobre 2020, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de communiquer à M. B le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département de la Loire-Atlantique, à l’exception du rapport d’inspection n° 20-062856 du 2 octobre 2020, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports et de celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées au point 13 du présent jugement, dans un délai de trois mois à compter de sa notification.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. D B et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au préfet de la Loire-Atlantique et à la Commission d’accès aux documents administratifs.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2023.