Aller au contenu

TA Poitiers, jugement n°2100015 du 16/06/2022 (Nicolas Marty c. DDPP17)

Les rapports d’inspection sont communicables sans occulter le nom des établissements, leur localisation, les espèces d’animaux utilisées et les non-conformités. Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoire complémentaires enregistrés respectivement les 5 et 30 janvier 2021, 21 avril, 29 septembre et 15 décembre 2021 et 19 janvier 2022, M. Nicolas Marty demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet de la Charente-Maritime refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale du département et les dates des inspections précédentes de ces établissements ;

2°) d’enjoindre à cette autorité administrative de lui communiquer les rapports sans occultation des noms des établissements ni des dates d’inspection ni les intitulés de la grille d’inspection ou les niveaux de non-conformité ni des passages entiers de commentaires dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Il soutient que :
– l’auteur de la décision attaquée n’était pas compétent territorialement pour prendre cette mesure ;
– la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation ;
– le refus implicite attaqué contrevient à la législation sur l’accès aux documents administratifs et porte atteinte au droit de chaque justiciable de disposer d’un accès à ces documents ;
– il contrevient également à la charte de transparence sur le recours aux animaux à des fins scientifiques et réglementaires signée par les établissements de recherche et laboratoires ;
– l’occultation de mentions dans les rapports qui lui ont été communiqués le 28 janvier 2021, à savoir le nom de l’établissement concerné, certains passages de commentaires et l’ensemble des non-conformités relevées n’est pas justifiée, seule celle des personnes physiques mentionnées dans ces rapports étant fondée.

Par des mémoires en défense enregistrés les 15 avril 2021 et 14 janvier 2022, le préfet de de la Charente-Maritime conclut au rejet de la requête et à, titre subsidiaire, à ce que le tribunal décide, par un jugement avant-dire droit, d’ordonner la production de l’intégralité des documents litigieux.

Il soutient qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé et qu’il a transmis au requérant les rapports en sa possession après occultation de certains éléments.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

Vu :
– l’avis n°20203201 du 29 octobre 2020 de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ;
– les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de la santé publique ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

La présidente du tribunal a désigné M. xxx pour statuer en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx ;
– les conclusions de M. xxx, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courriel en date du 7 mai 2020, M. Marty a adressé à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de la Charente-Maritime une demande de communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale de ce département. En l’absence de réponse, l’intéressé a saisi le 27 juillet 2020 la Commission d’accès aux documents administratifs qui, le 29 octobre 2020, a rendu un avis favorable sous réserves à la communication des rapports sollicités. Le directeur précité a de nouveau conservé le silence après la notification de cet avis, malgré une nouvelle saisine de l’intéressé, et ainsi fait naître, à l’expiration du délai réglementairement prévu, une décision implicite confirmant le refus de communication initialement opposé, et se substituant à ce refus. Dans le dernier état de ses écritures et suite aux documents transmis à l’intéressé par le préfet de la Charente-Maritime le 28 janvier 2021, M. Marty demande au tribunal d’annuler la décision du préfet refusant de lui communiquer les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département sans occultation des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans ces établissements.

Sur les conclusions en annulation :

2. D’une part, aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. ». Aux termes de l’article L. 300-2 du même code : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par (…) les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions. / (…) ». Selon l’article L. 311-1 de ce même code : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ».

3. D’autre part, aux termes de l’article L. 311-7 du même code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».

4. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

5. Pour apprécier le caractère communicable de documents administratifs, le juge doit rechercher si, en raison des informations qu’ils contiennent, la divulgation de ces documents risque de porter atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes et si une communication partielle ou après occultation de certaines informations est, le cas échéant, possible.

6. Il ressort des pièces du dossier que, par mail du 28 janvier 2021, le préfet de la Charente-Maritime a transmis à M. Marty les deux rapports d’inspection des établissements du département utilisant des animaux à des fins scientifiques après occultation des mentions qu’il a estimées comme étant non communicables en application des principes rappelés aux points 4 et 5 du présent jugement. Ont ainsi été occultées les mentions relatives à l’identification des personnes morales, notamment le nom de l’établissement concerné, et celles des personnes physiques, ainsi que certains passages de commentaires et l’ensemble des non-conformités relevées. Pour justifier ces occultations, le préfet de la Charente-Maritime fait valoir qu’il existe de fortes oppositions à l’activité consistant à conduire des expérimentations sur des animaux, oppositions qui se sont traduites par des opérations menées à l’égard des établissements ayant recours à cette pratique ainsi que le souligne un rapport parlementaire déposé le 21 janvier 2021. Par ailleurs, le préfet fait valoir que le requérant, comme le ferait apparaître son site internet, est président d’une association « antispéciste » et se présente, au titre de ces fonctions, comme un activiste. Toutefois, ces seuls éléments ne suffisent pas à caractériser l’existence d’une menace avérée pour la sécurité des locaux et des biens ainsi que pour celle des personnes physiques y exerçant une activité professionnelle en cas de divulgation, notamment, de l’identité des établissements en cause, de leur lieu d’implantation, des espèces d’animaux concernés ainsi que de la nature et de la gravité des non-conformités relevées. A cet égard, les personnes morales qui accueillent des expérimentations sur les animaux ne peuvent pas être regardées comme ayant, en cette seule qualité, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible de leur porter préjudice.

7. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que les agents ayant effectué les contrôles et les rédacteurs des rapports dont la communication est sollicitée ont droit à la protection de leur vie privée. L’administration fait donc valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

8. Il résulte de ce qui précède que M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision du préfet de la Charente-Maritime en tant qu’elle refuse de lui communiquer les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département sans occultation des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans ces établissements et celle des rédacteurs des rapports et des agents ayant exercé les contrôles.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

9. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».

10. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet de la Charente-Maritime communique à M. Marty les deux rapports d’inspection concernant les établissements de ce département utilisant des animaux à des fins scientifiques après avoir occulté, dans chacun de ces documents, les seules mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein des établissements et des inspecteurs ayant effectué ces contrôles et rédigé les rapports. Il y a lieu, dès lors, d’ordonner au préfet de procéder à cette communication dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

 

D E C I D E :

 

Article 1er : La décision du préfet de la Charente-Maritime est annulée en tant qu’elle refuse de communiquer à M. Marty les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département sans occultation des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans ces établissements et celle des rédacteurs des rapports et des agents ayant exercé les contrôles.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Charente-Maritime de communiquer à M. Marty les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département après occultation des seules mentions relatives à l’identification des personnes nommément désignées, y compris celles ayant exercé les contrôles et rédigé les rapports, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Une copie de ce jugement sera transmise au préfet de la Charente-Maritime.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2022.