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Expérimentation animale et opacité administrative | EQA2021

Le milieu de l’expérimentation animale exploite l’idée de “transparence” de manière trompeuse pour mettre en avant des messages de promotion de l’expérimentation animale. Heureusement, la loi française permet un accès aux documents administratifs, difficile mais possible. J’ai entrepris des démarches auprès des administrations depuis mai 2020 pour obtenir divers documents, et je raconte l’état de ces démarches après un an.

Transcription de la vidéo

Je comptais venir l’an prochain aux Estivales, après avoir eu le temps de récolter assez de documents, assez de sources, pour pouvoir parler de l’expérimentation animale elle-même aussi rigoureusement que possible. Mais j’ai ouvert mon site web début juillet, et vous m’avez invité, alors j’ai supposé qu’il y avait déjà dans mes contenus assez de choses pour justifier de parler ici. Tout ça pour dire un grand merci aux personnes qui organisent les Estivales (en plus c’est la première fois que je viens, ça fait plaisir), et pour dire que je vais parler d’expérimentation animale, mais plus comme une illustration de nos droits d’accès aux documents produits par les administrations publiques, et de la résistance des administrations à fournir ces documents, pour des raisons qu’on ne peut que supposer. Il y aura pas mal de temps pour discuter après la présentation, donc que vous vouliez parler plus de l’accès aux documents administratifs ou de l’expérimentation animale, de l’intérêt de tout ça, aucun souci pour moi.

Les documents existants sur l’expérimentation animale

Donc pour commencer, je vais d’abord vous parler des raisons pour lesquelles on pourrait vouloir plus de transparence sur l’expérimentation animale, comme pour beaucoup de choses. Pour ça, ça me parait pas mal de regarder quels sont les documents publiés par les administrations et les groupes professionnels, et quels sont les documents qui restent bien au chaud en interne. Ce qui fait qu’on va parler de différentes administrations et de différents autres groupes.

Déjà il y a Légifrance, qui est géré par l’administration, où vous pouvez trouver tous les textes de loi, les directives, les circulaires, les réglementations, dans leurs différentes versions. Ergonomiquement, c’est franchement pas évident, mais ça a le mérite d’exister. ––––– Ensuite, il y a trois ministères qui sont impliqués.

Le ministère de la recherche, il produit un paquet de documents, puisque

  • c’est lui qui publie les enquêtes statistiques annuelles, sur le nombre de procédures qui utilisent des animaux, d’où ils viennent, à quel point ils souffrent, tout ça – dans un magnifique PDF avec des graphiques, sur lequel ils ne mettent pas trop d’efforts non plus vu que dans l’enquête 2019, ils ont réussi à laisser plusieurs coquilles évidentes.
  • Il faut dire que vu qu’il publie ça, c’est aussi lui qui a les classeurs de données chiffrées sur l’expérimentation animale. Ça, il ne les publie pas.
  • Il publie aussi les résumés non-techniques des projets approuvés – ou en tout cas il essaie, parce que là, il a encore trois ans de retard. En bref, les RNT, ce sont des petits textes qui résument, à la portée du public, le but des recherches, les animaux et les procédures utilisées, et qui ajoute quelques mots sur pourquoi ce sont des animaux qui sont utilisés plutôt qu’autre chose et qu’est-ce qui est fait pour qu’ils souffrent le moins possible.
  • J’en profite pour dire que quand même, sur les chiffres et sur les résumés non-techniques, la Commission Européenne vient de mettre en place un système centralisé, qui devrait pas mal améliorer les choses. Surtout sur les résumés non-technique, parce que quand la France se décidera à rattraper son retard, au lieu de vieux PDF pourris, on aura une vraie base de données indexée, dans laquelle on pourra chercher par pays, par objet de recherches, par espèce animale, tout ça.
  • Bref, le ministère de la recherche publie aussi la charte nationale des comités d’éthique, qui n’a pas de valeur légale, mais qui est là, et il publie une liste des comités d’éthique, qui est en gros un tableau avec un numéro et un nom, sans moyen de contacter les comités d’éthique ni de savoir quels établissements ils représentent.
  • D’ailleurs il y a aussi une liste des établissements qui existe, mais là aussi elle n’est pas publiée.
  • À côté de ça, c’est aussi le ministère de la recherche qui gère les autorisations de projet et qui centralise les appréciations rétrospectives des projets de gravité « sévère » (les pires en termes de stress et de douleur) ou des projets qui utilisent des primates.
  • Et enfin, le lien avec les comités d’éthique, c’est aussi que le ministère est censé faire un audit des comités d’éthique chaque année, pour vérifier leur bon fonctionnement, l’absence de conflits d’intérêt, tout ça… Mais ça, on n’en a aucune trace…

Ensuite il y a le ministère de l’agriculture.

  • Lui, il est chargé de l’agrément des établissements (et l’agrément, c’est un document qui dit ce que l’établissement a le droit de faire, sur quelle espèce, et jusqu’à quand, en gros) ;
  • Le ministère de l’agriculture, c’est aussi lui qui gère les DRAAF et les DDPP, donc l’inspection des établissements – ça marche pour les abattoirs, les cirques, tout ça, et puis aussi pour les labos d’expérimentation animale. Donc il centralise les rapports d’inspection.
  • Et pour faire les inspections, il faut que les inspecteurs et les inspectrices aient un guide. Donc il y a un vade-mecum des inspections. Ceux qui concernent les abattoirs, les élevages, tout ça, ils sont en ligne. Pour l’expérimentation, non.
  • Et puis, quand les inspections trouvent des non-conformités, quand les services vétérinaires trouvent que ça justifie des sanctions, il peut y avoir des suites administratives ou pénales. Mais ça, on n’en a aucune trace publique.

Troisième ministère impliqué là-dedans, c’est le ministère des armées. Lui je ne vais pas détailler, parce qu’en gros, il fonctionne un peu en circuit fermé. Il a ses propres personnes pour inspecter les établissements, il a ses propres comités d’éthique et s’il y en a un qui lui refuse un projet, il peut soumettre le même projet à un autre, ce genre de choses.

Ensuite il y a deux comités nationaux, celui qui est dédié à la « réflexion sur l’éthique de l’expérimentation animale » et celui qui est dédié à la « protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ». Dans les deux, il peut y avoir des spécialistes de telle ou telle chose, mais surtout des représentantes des ministères, des professionnels de l’expérimentation animale, et des associations animalistes.

  • Des deux côtés, ils font des réunions, donc il y a des comptes-rendus de ces réunions.
  • La CNPAfis, son gros boulot, c’est de donner des avis sur les projets de formation supérieure qui utilisent des animaux.
  • Après, elle a un autre rôle de temps en temps, pour donner des avis sur les pratiques, d’euthanasie, d’anesthésie, tout ça.
  • Mais ça, c’est plutôt le rôle du CNREEA, qui publie des recommandations sur certaines pratiques. Récemment, c’était sur l’utilisation de l’amputation de phalanges pour distinguer les individus entre eux et en profiter pour faire un génotypage.
  • Et puis, le CNREEA doit aussi faire un bilan annuel d’activité des comités d’éthique, mais comme l’audit du ministère de la recherche, je n’ai jamais vu ces bilans et j’ai quelques raisons de croire qu’ils ne sont pas annuels, en tout cas.

À part ces commissions, il y aussi des groupes de professionnels. Les premiers groupes de ce type, les plus proches de ce que pourrait être une entité publique, c’est les réseaux nationaux des comités éthique en expérimentation animale et des structures chargées du bien-être animal. Autant c’est difficile de savoir ce qui concerne les Structures chargées du Bien-Être Animal, puisque c’est des structures internes aux laboratoires, donc plus ou moins privées ; autant pour le réseau des comités d’éthique, ça concerne les comités d’éthique, qui sont des autorités compétentes au niveau national…

  • donc même s’ils n’ont pas de statut légal réel, on peut savoir qu’ils reçoivent des dossiers de projet à évaluer,
  • et qu’ils délibèrent, font des comptes-rendus, et adressent les résultats de leurs délibérations au ministère.
  • Et puis il y a les appréciations rétrospectives, dont j’ai déjà parlé.

Enfin, il y a les autres groupes de professionnels, qui sont constitués sous forme d’associations. Il y en a 3 en France :

  • l’OPAL et l’AFSTAL publient des bulletins et une revue spécialisée à destination des professionnels ;
  • le Gircor émet des recommandations internes, et c’est visiblement lui qui pilote les réseaux nationaux, plus ou moins ;
  • les trois ont des réunions, entre professionnels des secteurs publics et privés, où il y a sûrement plein de choses qui sont discutées, mais c’est des associations, alors on ne peut pas savoir ce qui s’y passe… Alors que, si vous ne le savez pas, c’est un représentant du CNRS qui préside le Gircor – d’ailleurs, en 2018, il était intervenu ici – il y a la vidéo sur Youtube, c’est intéressant, même s’il a toujours cette manière de répéter qu’il n’est pas un lobbyiste et qu’il ne fait pas de langue de bois, juste assez pour faire douter.
  • Et puis, dernier document dont je veux parler avant de passer à autre chose parce que c’est le document le plus ironique, c’est la charte de transparence « sur le recours aux animaux à des fins scientifiques ou réglementaires ». Bon, ça renomme encore l’expérimentation animale (après vivisection, expérimentation, utilisation des animaux à des fins scientifiques, recherche animale, il y avait vraiment besoin d’un autre nom…).

Mais c’est surtout marrant parce que ça n’a rien changé à ça : là, en fond bleu, ce sont les documents publiés, ceux auxquels vous pouvez avoir accès. Et puis en fond rosé, tous les documents qui ne sont pas publiés et que, globalement, les administrations ne veulent pas donner. Alors que c’est dans ceux-là qu’il y a tout un tas d’informations qui permettraient de vraiment analyser la situation, de vraiment faire des recherches sérieuses. En même temps, c’est quelque chose qui s’explique assez bien quand on cherche un peu, au sein de ces associations, ce qu’elles appellent « transparence » et « ouverture »…

Chartes de « transparence »

Et en fait, dans ces assos, même si on repère des choses dans les chartes de transparence, le gros du message est plus ou moins masqué, alors qu’il est nettement moins implicite, et bien plus détaillé en termes de stratégie, dans les guides de communication. Là, je vais me baser sur un dossier que j’ai préparé cette année pour Animal Testing, mais qui n’est pas encore publié.

D’abord, il y a tout un tas de choses qu’on va retrouver aussi bien dans les chartes de transparence nationales que dans les guides de communication (et dans toute la communication des milieux de l’expérimentation animale, d’ailleurs). C’est les notions de nécessité (qui vont jusqu’à dire que c’est « indispensable », sans jamais préciser sous quelles conditions morales et concrètes), les notions de réglementation (pour dire que c’est très réglementée, strictement appliqué, qu’on « ne peut pas toucher un poil de souris sans le feu vert des autorités », ce genre de choses – ce qui est factuellement faux dans beaucoup de cas, ou en tout cas ce sont des généralisations largement abusives). Et puis il y a la notion d’éthique, comme quoi les personnels sont très conscients de l’éthique et du « bien-être » des animaux – mais tout ça passe par le filtre des 3R, le Remplacement, la Réduction et le Raffinement, qui permettent de conditionner l’éthique au fait qu’on ne sache pas forcément faire autrement, quel que soit le but des expériences ou la vague perspective d’un bénéfice même mineur pour nous.

Ensuite, il y a bien une distinction très claire dans les manières d’exprimer les choses.

Dans les accords de transparence, ça nous dit qu’on a le droit à une « information complète, claire et exacte sur les raisons et les conditions de l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques ou réglementaires, sur le cadre réglementaire de cette utilisation ainsi que sur les progrès scientifiques et médicaux qui en découlent ». Ça, c’est la charte de transparence française, qui date de février de cette année. Bon, ils réussissent quand même à insérer « les progrès médicaux qui en découlent » dans un truc sur la transparence, déjà c’est un poil suspect, parce que cet aspect-là, il n’a jamais été opaque. Mais bon, je laisse passer.

Le plus fort, c’est dans le « concordat » anglais, donc la charte anglaise, qui est le modèle de la française, en fait, puisqu’en Angleterre, ça date de 2014. Et là on nous dit qu’on « mérite » de savoir pourquoi et comment les animaux sont utilisés. C’est franchement positif, comme message (bon, sauf le mot « mérite », peut-être, mais ça c’est une question de traduction, tel que je le comprends en anglais, y’a pas du tout de notion de méritocratie là-dedans).

Bref, en 2020, on a eu un nouveau document, le guide de communication de la Ligue des Université Européennes de Recherche. Et là, la citation, ça vient de Serban Morosan. Et dans ce guide, son truc c’est de mettre en avant que l’important, c’est de dire qu’on ne peut pas faire de recherche ni créer de médicaments sans utiliser les animaux non-humains. Déjà, c’est un mensonge, parce qu’on pourrait très bien utiliser des humains de la même manière, si on n’avait pas de scrupule à le faire – donc ça passe encore une fois sur les conditions morales de ces pratiques. Mais surtout, dans une conférence en début d’année sur la transparence, ce même Serban Morosan, quelques jours avant que sorte la charte de transparence créée par le Gircor, dont il est vice-président, il a répété ce même message. C’était une conférence sur l’importance de la transparence. Et son message, c’était pour dire que la transparence, c’est ça. La transparence, c’est surtout dire qu’on ne peut rien faire comme recherches intéressantes sans utiliser les animaux. On passera sur le fait que c’est insultant pour toutes les sciences qui n’utilisent jamais d’animaux. Mais ce n’est pas fini.

Parce qu’en 2020, l’Association Européenne de recherche animale a lancé les « jeudis de la transparence », une série de vidéos et de posts sur les réseaux sociaux, qui « permettront au public de découvrir pourquoi il est nécessaire d’utiliser les animaux ». Et oui, pourquoi poser la question quand on peut juste l’affirmer et faire passer ça pour une initiative révolutionnaire en termes de transparence, hein ?

Le mieux, c’est que quelques jours avant que je découvre ça, j’avais reçu le « Manuel de communication » de l’EARA, un classeur de 38 pages qu’ils vendent 375€. Côté dépense efficace, on aurait peut-être pu faire mieux (puisque c’est ACTA qui m’a remboursé ça, j’avais pas les moyens), mais après avoir échangé pendant un moment avec le directeur de l’EARA pour lui demander une version électronique moins cher, après qu’il a pleuré comme quoi ce livre, c’était une source de revenus importante pour l’EARA (qui fonctionne avec 300 000 € chaque année, qui viennent des adhésions du Gircor et des autres lobbies européens, en gros)… Bon, ce n’est pas un achat que je regrette, il y a de quoi voir un peu comment sont tournées les choses là-dedans.

Parce qu’au-delà d’une grosse partie du livre qui est passée à décrire comment désamorcer les campagnes antivivisectionnistes en se faisant des potes au sein des médias et des associations locales de patients, il y a quelques petites pépites comme celle-ci : faire visiter les labos, oui, mais il faut bien se préparer, et notamment, il faut, je cite, « s’assurer qu’il n’y a pas d’avertissements ou de panneaux qui pourraient soulever des questions auxquelles l’institution ne veut pas répondre ». L’EARA, c’est une institution qui se présente comme étant à la pointe de la transparence sur l’expérimentation animale. Ça fait un petit contraste avec la réalité, là. ––– Du coup, je vais peut-être pas vous embêter plus avec cet aspect-là, même s’il y a d’autres choses à en dire, vous aurez compris le principal : on nous parle de transparence, et on nous montre des vidéos de chercheurs, de chercheuses et de vétérinaires qui disent à quel point iels sont sérieuses, à quel point iels sont sensibles au sort des animaux et à quel point on ne peut pas faire autrement. — Par contre, si on demande à savoir ce qui se passe dans un comité d’éthique ou dans un labo, alors là, la réponse…

L’opacité organisée

C’est celle-là. L’OPAL, j’en ai parlé tout à l’heure, c’est une association de professionnels de l’expérimentation animale. Et Inf’OPAL, c’est leur lettre d’information. Du coup, je suis honoré, parce que maintenant, mes démarches sont connues dans tout ce milieu. En gros, ce que dit le message, c’est que j’ai demandé des documents pour essayer de savoir ce qui se passe dans les comités d’éthique, et pour avoir les rapports d’inspection des labos. Déjà, de ce que j’ai pu voir ensuite dans les comptes-rendus de réunion d’un comité d’éthique à qui j’avais demandé ça, c’est que la réponse en interne a été de dire : attention, ce gars fait partie d’une association animaliste, on va pas lui donner les documents, et on va faire remonter l’info aux délégations des établissements publics scientifiques et techniques pour que les services sécurité et communication soient au courant – et puis on va rappeler aux membres du comité d’éthique qu’ils sont tenus à la confidentialité sur les délibérations. Bon, ils y sont tenus par une charte qui n’a aucun statut légal, et la loi prévoit la transparence sur ce point, mais ça c’est pas trop important. Et la conclusion, donc, de la part de l’OPAL, face à ces demandes, c’est que « La vigilance est de mise », et que le ministère recommande de le prévenir en cas d’autres demandes de ce type. La confiance règne, et la transparence aussi… — Ce qui m’emmène au cœur de mon sujet ici : qu’est-ce qui justifie de demander ces documents, comment on peut le faire, quelle est la loi là-dessus, et à quoi ça peut bien nous servir.

Le processus de demande de documents administratifs

La première chose à savoir, c’est que le Code des relations entre le public et l’administration (c’est le CRPA) dit clairement qu’on a, associations et particuliers, un droit d’accès aux documents produits et détenus par les administrations publiques. C’est très varié, puisque ça va des comptes-rendus, des bilans d’activités, jusqu’aux emails que s’envoient les agents publics en utilisant les boites mails ou les ordinateurs de leur travail, en passant par les extractions de base de données.

Évidemment, il y a quelques réserves à ce droit de communication, qui sont exprimées dans l’article L311 du CRPA. Je n’ai pas tout mis ici (notamment, dans le L311-4, ça parle du droit d’auteur, de choses comme ça, qui n’ont pas grand-chose à voir avec les documents qui peuvent nous intéresser ici).

Mais par exemple, en premier lieu, ça veut dire que les documents préparatoires ne sont pas communicables. Donc un document qui n’est pas finalisé, l’administration ne doit pas le communiquer. On peut imaginer que ça évite déjà des surcharges de l’administration, mais aussi il peut y avoir tout un tas d’étapes pour un document, pas forcément compréhensibles, alors qu’au moins en limitant aux documents finis, ça garantit que l’administration le sait, et sait que le document peut être vu par le public dans son état définitif (sous réserve de quelques occultations, parce que si un document contient des informations qui ne doivent pas être communiquées sur la base des articles suivants dont je parlerai, l’administration doit communiquer le document quand même, mais en y occultant ces informations). Dans le même article, ça dit qu’on n’a pas le droit de faire des demandes « abusives ». « Abusives », c’est surtout des demandes répétitives (genre demander plein de choses, et les redemander derrière, et demander à chaque fois), ou alors des demandes systématiques (par exemple des gens font des demandes proactives, comme si je disais : dès que vous produisez un document de ce type, envoyez-le moi… on comprend bien que ça n’est pas gérable). « Abusif », ça peut être aussi quand une personne a déjà demandé plusieurs choses à l’administration et se retrouve avec plusieurs conflits juridiques, ou alors si la personne cherche explicitement à surcharger les services administratifs. Parce que l’air de rien, c’est du boulot de chercher les documents, de vérifier s’il y a besoin d’occulter des choses, de les occulter et de les communiquer. Bref, là, ce sont des motifs pour refuser purement et simplement de fournir les documents aux gens.

Ensuite, il y a l’article L311-5, qui contient plein de choses. Déjà, les documents concernés par des secrets. Il y a le secret de la défense nationale, évidemment, et puis le secret des délibérations (pour les documents du Conseil d’État, par exemple, d’après ce que j’ai compris), et encore d’autres choses. Je ne connais pas bien tout ce qu’il y a là-dedans, plutôt ce pour quoi c’est invoqué dans le cadre de mes démarches, c’est-à-dire les deux autres points. D’abord, l’atteinte à la sécurité des personnes ou de l’État. Typiquement, si ça donne des informations sur les manières de rentrer dans un bâtiment sécurisé qui contient des choses dangereuses, ça peut être gênant, donc ça doit au moins être occulté. Ou alors si ça contient des informations sur une personne qui a déjà été menacée ou agressée, ou sur un établissement qui a été vandalisé, par exemple, ça peut éventuellement justifier d’occulter ces informations si elles risquent vraiment de faciliter ça. Ce genre de choses, c’est là que c’est compliqué, parce que ça doit être évalué au cas par cas… Et puis il y a aussi la recherche et la prévention d’infractions. Là je suis en plein dedans avec les rapports d’inspection. Il y a des rapports d’inspection qui servent de base à une procédure juridique, du coup, dans ce cadre, ceux-là ne sont pas communicables tant que la procédure juridique n’est pas terminée. Ça peut paraitre logique, ou pas, en tout cas c’est comme ça dans la loi.

Enfin, il y a l’article L311-6, qui est plutôt sur les préjudices concernant la vie privée, l’image publique ou le secret des procédés. Du coup, les noms de personnes, ça peut être occulté, c’est pas plus mal. Le secret des procédés, si vraiment vous demandez un document qui décrit des procédés confidentiels qui ne doivent pas être révélés, bon, ok. Mais l’idée que les documents qui émettent un jugement de valeur ne peuvent pas être communiqués (ou que ça doit être occulté), ça, ça me laisse beaucoup plus dubitatif… Pourquoi on ne pourrait pas connaitre les jugements de valeur portés par les administrations publiques ? Si on ne sait pas sur qui elle les porte, c’est vite réglé, mais même si on sait sur qui elle les porte… Alors, oui, ça peut générer un préjudice, et ça peut s’argumenter dans ce sens-là, mais typiquement, si c’est qu’une administration publique juge sur papier qu’une autre administration publique n’a pas rempli sa mission correctement, pourquoi est-ce qu’on n’aurait pas le droit de le savoir ? D’autant qu’il y a des rapports d’inspection avec des non-conformités, et des lettres de mise en demeure, d’installations nucléaires, qui, elles, sont publiées. Bref, voilà pour les réserves, on pourra mieux en discuter après, je pense, là je vais décrire la suite.

La suite du CPRA décrit un peu sous quelle forme l’administration peut nous communiquer les documents. En gros, si c’est vraiment sensible, elle peut nous les faire consulter sur place, si elle les a au format électronique, elle peut nous les envoyer par mail, si ça peut être communiqué à n’importe qui, elle peut les publier, et s’il y a besoin de faire des photocopies, elle peut nous les facturer. Il y a tout un tas de détail à ça, mais ça vous donne une idée. On ne peut pas imposer un mode de communication à l’administration, mais on peut exprimer nos préférences.

Du coup j’en arrive à tout le processus qui permet éventuellement d’espérer que l’administration nous communique peut-être les documents dont on a envie. Et je vais faire ça chronologiquement.

La première chose, évidemment, une fois qu’on a identifié le document qu’on veut et l’administration qui le détient, c’est d’écrire la demande. Si on ne sait pas quelle administration la détient, on peut aller au plus probable, et l’administration qu’on contacte est censée nous renvoyer vers l’administration qui a le document. La demande, ça peut se faire via le site web Ma Dada, dans beaucoup de cas. C’est pratique parce qu’il y a des infos sur le site, pour savoir comment formuler ça bien, à qui l’adresser – mais ça ne marche pas forcément pour toutes les administrations. L’avantage de Ma Dada, c’est aussi que la demande est faite au nom du site, donc anonymement – alors que quand on écrit un mail ou un courrier, il faut indiquer ses coordonnées, donc on est identifié direct.

Une issue possible à cette demande, c’est que l’administration réponde et envoie les documents demandés. C’est pas impossible, ça m’est arrivé une fois. Une fois sur cent, c’est pas trop mal…

L’autre issue, c’est que l’administration réponde clairement « non », en explicitant ses raisons ou pas (si elle ne le fait pas, vous pouvez lui demander, ça peut servir plus loin dans le processus). Ou alors elle peut aussi ne pas répondre. Dans mon expérience, c’est le plus courant. Et au bout d’un mois sans réponse, ça vaut « refus implicite ».

Dans ce cas, il y a la possibilité de saisir la Commission d’accès aux documents administratifs, qui existe depuis 1978, avec la loi sur l’accès aux documents administratifs. En gros, la Cada, elle sert à vérifier si un document est communicable et à émettre un « avis », sans passer par des contentieux administratifs. D’ailleurs, c’est aussi possible que l’administration saisisse la Cada, ou demande aux PRADA, les Personnes ressources sur l’accès aux documents administratifs, qui sont réparties sur le territoire, pour savoir si elle peut communiquer un document.

Si vous saisissez la Cada, elle va vous envoyer un récépissé (en 2020, ça prenait jusqu’à 2-3 mois, cette année, c’est plutôt quelques jours).

Et entre un mois et six mois après le récépissé (là aussi cette année c’est plus facilement un mois, la Cada a rattrapé son retard pendant la pandémie – mais ça peut être plus long, et pendant ce temps l’administration peut argumenter son choix auprès de la Cada), après ça la Cada rend un « avis », qui peut être défavorable – dans ce cas, c’est argumenté, et globalement, ça s’arrête là – ça veut dire que le document n’est pas communicable, donc pas besoin d’insister. L’avis peut aussi être « sans objet » – si les documents n’existent pas, surtout. La Cada peut se déclarer non compétente – si par exemple vous l’avez saisie pour une demande d’information, c’est pas son domaine, elle s’occupe vraiment des documents. Et puis, éventuellement, elle peut donner un avis favorable, avec peut-être quelques réserves argumentées, qui peuvent justifier des occultations, ou la non-communication de certains documents spécifiques si vous en avez demandé plusieurs.

Dans ce cas, là encore, il y a la possibilité que l’administration accepte l’avis de la Cada et vous fournisse les documents. Là aussi, j’en ai eu quelques-uns de cette manière. Et le président de la Cada disait l’année dernière que malheureusement, la plupart des administrations attendaient ça, justement, pour fournir des documents – ce qui est en partie responsable des retards qu’avait pris la Cada.

Mais bon, il y a aussi la possibilité que l’administration vous dise qu’elle réfute l’avis de la Cada et qu’elle ne vous fournira pas les documents. Ou alors, plus simplement, qu’elle ne vous réponde toujours pas. Dans ce cas, les délais sont moins clairs dans la loi, d’après ce que j’en comprends, mais en gros, il y a un délai d’un mois après l’avis de la Cada – ou alors un délai de deux mois après le récépissé.

Et si l’administration ne vous a pas dit, dans ce délai, qu’elle compte se plier à l’avis de la Cada, vous avez encore deux mois pour saisir le tribunal administratif. Là, ça devient compliqué. Il y a bien le service Télérecours citoyen, qui rend ça beaucoup plus facile que d’avoir à faire ça par courrier, et on y accède par France Connect, donc c’est facile de ce côté-là, et depuis un an que j’y suis, ça n’a beugué qu’une seule fois.

Le tribunal administratif, ça implique plein de choses, et ça peut s’étaler sur plusieurs années.

Première chose, vous devez rédiger un recours, ou un référé s’il y a urgence. D’ailleurs, quand il y a vraiment urgence, il y a même moyen de faire un « référé-conservatoire » avant d’avoir l’avis de la Cada, ou avant de l’avoir saisie même – mais dans ce cas-là, il faut vraiment justifier de l’urgence, pour avoir le jugement en moins d’un mois. Sans urgence, vous faites un recours. Ce recours, il faut qu’il contienne un exposé des faits, chronologiquement, avec les pièces jointes (vos mails, les réponses reçues, l’avis de la Cada, tout ça) et avec les « moyens » juridiques qui justifient que les documents doivent vous être communiqués. Pour ça, c’est pas mal d’avoir de l’aide de quelqu’un qui s’y connait. Parce que si je vous dis « légalité externe » et « légalité interne », c’est pas dit que vous vous y retrouviez. Ça fait un an que je le fais, et je suis toujours pas sûr de ce que ça veut dire. Et la personne qui m’a expliqué ça au début m’a dit en somme que la légalité externe, c’est juste un moyen plus facile pour le juge de statuer sur la base d’un truc assez simple, genre l’administration n’est pas en mesure de vous refuser ça parce qu’elle n’a pas autorité là-dessus, ou alors sa motivation est trop floue pour justifier le refus, ce genre de choses. La légalité interne, c’est vraiment tout le détail légal. Là, il faut dans l’idéal trouver des jurisprudences, des cas similaires, tout ce qui peut aider le juge à statuer dans votre sens. Et puis vous envoyez ça au tribunal, soit en votre nom, soit au nom d’une association si une association veut porter le recours.

Là, l’administration doit y répondre. Mais elle va prendre son temps, globalement. Si besoin, au bout de quelques mois, ou d’un an, le tribunal va « mettre en demeure » l’administration de produire son « mémoire en défense », donc sa défense, en gros – comment elle justifie le refus, qu’est-ce qu’elle répond à vos arguments, tout ça. Et elle le fera ou pas. Parfois, elle peut envoyer son mémoire en défense à quelques heures ou à quelques minutes de la date limite – soit parce qu’elle est vraiment à la bourre, soit parce qu’elle espère que ça ne vous permettra pas d’y répondre. Mais visiblement, les tribunaux n’aiment pas trop ça, donc quand ça arrive, vous pouvez demander à repousser la date limite pour avoir le temps d’y répondre, dans mon expérience.

Répondre, c’est répondre avec un « mémoire en réplique », et l’administration peut encore répondre – mais visiblement, c’est rare qu’elle fasse plus d’un mémoire, de ce qu’on m’a dit. Effectivement, pour l’instant, pour ma part, c’est généralement un seul mémoire, mais ça m’est arrivé d’en échanger trois ou quatre.

Une fois que le tribunal est satisfait, ou que ça fait longtemps que ça dure, il fixe une date de clôture d’instruction, à partir de laquelle vous ne pourrez plus rien envoyer.

Et puis, il fixe une date d’audience. Lors de l’audience, vous pouvez vous défendre à l’oral. J’ai une première date en Outre-Mer fin août (je ne pourrai pas y être) et puis une date en métropole début septembre – celle-là, j’espère pouvoir y être. Mais ça fait qu’à partir de là, je ne peux pas vous parler en connaissance de première main, puisque je n’y suis pas encore. Au bout du compte, en tout cas, le tribunal va rendre sa décision.

Si elle est positive, l’administration peut choisir de s’y plier – ou y être forcée par une astreinte (si vous l’avez demandée, par exemple en fixant une date limite pour fournir les documents, avec une astreinte financière pour chaque jour de retard, c’est ça qu’on m’a conseillé de demander, quand l’administration n’a manifestement pas envie de fournir les documents). — Si la réponse du tribunal est négative, c’est plus compliqué. Si ça se trouve, c’est bien l’administration qui a raison. Donc tant pis, pas d’accès au document. Et si l’administration en face a eu recours à un avocat ou une avocate, le juge peut même vous demander de rembourser les frais d’avocat, dans ce cas. Donc attention là-dessus – il ne faut pas faire des démarches comme ça juste dans le vent, pour le plaisir, ou pour embêter l’administration.

Mais si la décision du tribunal semble contestable (et pour savoir ça, il vaut mieux avoir vous aussi un avocat ou une avocate, de toute façon), vous pouvez vous « pourvoir en cassation », directement auprès du Conseil d’État pour ce qui concerne les demandes de documents administratifs. Là, vous êtes obligé d’être représenté, ce n’est pas quelque chose qui se fait de manière indépendante. Donc ça coûte de l’argent, en plus du temps.

Au bout du compte, il y aura une jurisprudence. Soit ça ira contre vous, et tant pis pour vous.

Soit ça ira dans votre sens, et là l’administration devra vous fournir le document. En bref, ça vous fait tout un processus qui permet d’obtenir des documents ou non. La grosse difficulté là-dedans, c’est que pour beaucoup de documents encore, on n’a pas de jurisprudence, donc on y va un peu à l’aveuglette. Le risque, c’est aussi de finir sur une jurisprudence négative… Mais là, si on a une jurisprudence négative sur des documents qui devraient moralement vraiment être accessibles au public, ça peut justifier des discussions publiques, quand même. Typiquement, du peu que j’en sais, la convention d’Aarhus, sur les trucs liés à l’environnement, ça partait du constat d’opacité sur ces sujets. Bref, je vous laisse quelques secondes pour voir le schéma complet, quand même, avant de faire une petite digression.

Le livre de Rick Bogle

La digression, c’est pour parler de ça. Ce livre, je l’ai traduit entre décembre 2019 et juin 2020, donc juste avant de commencer mes démarches. En fait, c’est grâce à ce livre que je me suis posé ces questions, parce qu’il parle de plein de documents obtenus aux États-Unis, par PETA notamment, grâce à des demandes liées à l’Acte pour la Liberté de l’Information (le FOIA). C’est là que je me suis demandé ce qui pouvait exister en France, et que j’ai découvert la Cada. Je l’avais lu déjà en 2018 ce livre, mais je n’avais pas remarqué ça. Du coup, en le relisant, je me suis dit que ce serait vraiment utile, en termes d’archive historique de différentes campagnes animalistes, de la répression, des mensonges d’une université publique, de l’analyse des stratégies de communication, toutes ces choses, c’est vraiment une mine d’informations pour moi. Voilà, je vous dis ça aussi pour faire la pub du livre, concrètement il ne me rapporte pas d’argent, il est auto-édité et imprimé à la demande, il est disponible chez l’auto-éditeur Bookelis et chez la Fnac et tout ça, ou en librairie sur commande. Je touche en gros 4€ par vente, et tout ce que je touche sera reversé à une association qui lutte contre l’expérimentation animale – probablement l’association Transcience, mais pourquoi pas d’autres, selon les projets et selon ce que ça représentera comme montant. — Voilà, ça faisait une petite pause avant de vous présenter un peu ce que j’ai fait comme démarches de ce type, où j’en suis, ce que j’en ai tiré pour l’instant, tout ça.

Historique de mes demandes

Ce sont des démarches encore en cours, comme j’ai dit. Donc là, ce que je raconte, je vais éviter d’identifier des départements particuliers ou des établissements particuliers, parce que c’est pas l’objet, c’est juste pour illustrer comment ça s’est passé pour moi de vouloir faire des recherches un peu poussées et de demander les documents dont j’ai besoin pour ça. Et je vais pas mettre grand-chose sur l’écran, parce que je n’ai pas réussi à trouver une forme qui me convienne pour vous présenter ça de manière synthétique autrement qu’à l’oral, avec simplement deux petites citations que je recopierai parce qu’elles sont assez parlantes. Et je ne pourrai pas vous montrer les documents que j’ai reçus, parce que la légalité de leur communication, et surtout des occultations qui y sont faites, attends justement des jugements, donc je suis pas tout à fait sûr de ce que ça impliquerait légalement de vous les montrer. En tout cas, je peux vous raconter ma petite aventure là-dedans, pour clarifier concrètement à quoi ça peut ressembler. —— Mes premières demandes, c’était le 7 mai 2020, j’ai demandé à toutes les DDPP de France de m’envoyer le dernier rapport d’inspection de chaque laboratoire d’expérimentation animale de leur département. DDPP, pour rappel, c’est les directions départementales de protection des populations, c’est elles qui ont les services vétérinaires sous la direction du ministère de l’agriculture, et qui font les inspections, que ce soit des abattoirs, des élevages, ou en l’occurrence des établissements d’expérimentation animale. Et les labos d’expérimentation animale, je ne savais pas combien il y en avait en France, à ce moment-là. J’ai appris après qu’il y en a un peu plus de 600. —— Donc le 7 mai 2020, je leur ai envoyé ça, en disant de plutôt me l’envoyer par mail (parce que j’habitais en Guadeloupe, alors le courrier…). Le jour-même, il y a une DDPP qui m’a demandé « à quel titre » je présentais cette requête. Normalement, on n’a pas à justifier une requête de documents administratifs. Mais ça je ne le savais pas, et puis même simplement par transparence, je leur ai dit que je faisais ça pour pouvoir comprendre mieux le milieu de l’expérimentation animale et les contrôles réglementaires qui y sont attachés, dans l’idée de pouvoir écrire un livre rigoureux, sourcé de première main sur le sujet, sans avoir à me fier à ce que disent les associations pros ou antis. En réponse, le gars m’a envoyé le 12 mai un petit texte dont j’ai appris plus tard que c’était un copié-collé d’un courrier que le ministère avait envoyé le jour-même à toutes les DDPP. En gros, ça disait que vu qu’il y a des noms de chercheur et des descriptions de projets scientifiques sur les rapports d’inspection, il ne fallait pas les communiquer. Évidemment, ça ne parlait pas de la possibilité d’occulter des choses, ça disait juste qu’il fallait ne rien donner. Et ça disait de prévenir le ministère si les DDPP avaient besoin d’aide au cas où je saisisse la Cada… —— Du coup, le 12 mai encore, j’ai saisi la Cada pour la première fois à propos de cette DDPP. Pour les autres, j’ai dû attendre, puisque je n’ai pas eu de réponse. Et comme on était en période de pandémie, j’ai dû attendre fin juillet, donc presque trois mois, pour pouvoir saisir la Cada – au lieu d’un mois normalement. Déjà, je pensais pas à la base que ce serait aussi long. J’étais un peu naïf… —— Entre août et novembre, j’ai reçu de la part d’une vingtaine de DDPP, soit directement, soit via la Cada, des courriers qui disaient ne pas avoir d’établissement d’expérimentation animale dans leur département. C’était pas mal, déjà. Et dans la même période, j’ai reçu aussi un avis de la Cada disant que dans un département, l’inspecteur n’avait pas réalisé sa programmation, et était maintenant muté, donc qu’il n’y avait aucune inspection enregistrée dans le système qui répertorie les inspections pour ce département – c’est un système qui existait depuis 2017 au moins, donc trois ans sans une seule inspection, à cause d’un manque de personnel ou de moyens, ce qui est intéressant. —— Bref, le 10 septembre, la Cada a rendu son premier avis, favorable à ma demande, sous quelques réserves. Je ne vais pas vous embêter avec les détails à chaque fois, si vous voulez voir les avis de la Cada que j’ai reçu là-dessus ou sur d’autres documents, je les ai tous mis sur mon site web, experimentation-animale.info, dans la rubrique « accès aux documents administratifs ». Bref, deux semaines après l’avis, je n’avais toujours pas de nouvelles de la DDPP en question, du coup j’ai appelé pour demander à parler au chef du service Santé et Protection Animale. Et on m’a dit qu’il fallait que je demande à la DGAL. J’appelle la DGAL, qui me dit que non, c’est bien à la DDPP qu’il faut m’adresser. Je rappelle la DDPP, qui me dit que le gars attend les directives de la DGAL. —— Même histoire le 20 octobre, une autre DDPP me dit qu’il faut que je voie avec la DRAAF (donc à l’échelle de la région) parce que la DDPP n’a pas les documents. Du coup, j’appelle la DRAAF, et j’apprends que non, c’est bien à la DDPP qu’il faut demander. Mais j’apprends aussi que ma requête fait peur. Parce que quand même, il y a des boucheries qui ont été vandalisées, et puis il y a des gens qui ont été molestés par des animalistes. Évidemment, quand je demande qui a été molesté et quand, s’il y a eu de la médiatisation, là-dessus, la personne au téléphone ne sait pas me dire. Donc en gros, on me refusait des documents sur la base d’une peur un peu diffuse liée à la répression des mouvements animalistes, concrètement, en les faisant passer pour un groupe de grands méchants violents. —— Toujours fin octobre, je précise à la Cada et à plusieurs DDPP que je suis joignable par téléphone, qu’on peut en parler pour trouver une solution à l’amiable, et je redis mes motivations. Et puis, il n’y a personne qui m’appelle. —— Mais le 23 octobre, il y a quand même une autre DDPP qui arrive à me répondre que ma demande implique de créer une liste d’établissements d’expérimentation animale du département, et que du coup c’est pas possible et cette liste existe pas. Le gars qui est chargé de faire inspecter les labos du département n’aurait donc pas la liste des établissements qu’il doit inspecter. Ok. —— Le 29 octobre, la Cada a rendu ses avis pour toutes les DDPP restantes. Avis positif, encore, avec quelques réserves, un peu plus nombreuses que sur le premier avis, mais avec la phrase la plus importante : « seules des informations précises et circonstanciées laissant craindre des représailles ciblées sont susceptibles de fonder un refus de communication au motif de l’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ». J’avais aussi demandé à connaitre les dates des inspections précédentes, mais ça c’était une information, donc la Cada a dit qu’elle ne pouvait pas se prononcer, vu que ça n’était pas un document. —— Et puis, j’ai reçu quelques documents. Grosse victoire. Sauf que vu que ma demande était formulée de manière un peu ambiguë dans certains cas, il y a des DDPP qui en ont profité pour ne m’envoyer que le dernier rapport produit par leurs services, au lieu du dernier rapport de chaque établissement inspecté. Et d’autres qui ont choisi unilatéralement de ne m’envoyer que les rapports de 2020. Ou alors qui me disent « il n’ a pas eu d’inspection en 2020 dans l’établissement concerné du département ». Comme si ça annulait ma demande. Dans ce cas-là, j’ai répondu pour préciser que 2019, 2018, 2017, même avant, ça me convenait aussi. Et j’ai reçu le rapport. —— Et là, ça se corse. Parce que j’ai bien reçu des documents, mais avec plein d’occultations différentes. La plupart ont décidé d’occulter le nom de l’établissement et ses coordonnées. Beaucoup ont occulté plein de choses dans les commentaires sur le rapport, en plus d’y occulter les noms des personnes (parce que ça, c’est plus ou moins évident). Et quelques-unes ont occulté tout ce qui concerne les non-conformités – parce que sur un rapport d’inspection, il y a une flopée d’items, et soit c’est « conforme », soit c’est « non-conformité mineure », « moyenne » ou « majeure ». Là sur certains rapports, soit c’est conforme, soit c’est tout noir. —— Du coup, entre fin novembre et mi-décembre, j’ai relancé toutes les DDPP, j’ai essayé d’en appeler certaines, plusieurs m’ont demandé un délai, d’autres ont encore essayé de m’enfumer en me parlant de la DRAAF ou de la DGAL… Et je mentionnais encore mon numéro de téléphone pour trouver une solution à l’amiable, mais encore une fois je n’ai pas été rappelé. Et quand j’ai mentionné le recours au tribunal, par mail, ça a déjà motivé quelques envois. Mais pas beaucoup. —— Donc, j’ai passé mes vacances de fin d’année à produire des mémoires pour les tribunaux administratifs, parce que j’avais cru comprendre que j’étais sur des délais très serré pour ça. Et là, j’ai reçu quelques courriers pour dire qu’il n’y avait pas d’établissement d’expérimentation animale dans d’autres départements – qui avaient donc attendu que je perde du temps à saisir la Cada, que la Cada perde du temps à étudier le dossier, que je perde du temps à relancer, à produire des recours au tribunal, que le tribunal perde du temps à les enregistrer… avant de dire clairement qu’elles n’avaient pas d’établissements de ce type. Je trouve ça assez gonflé, en fait, et je ne suis pas sûr de leurs motivations, là-dessus, si ce n’est peut-être pour m’empêcher de savoir où il y a des établissements ou non – alors que la Cada avait aussi rendu un avis disant que la liste des établissements était communicable. Mais bon, cette liste non plus, je ne l’ai pas reçue pour l’instant – alors qu’elle serait bien utile pour voir si les rapports que j’ai sont un échantillon plus ou moins représentatif ou pas du tout. —— Le 7 janvier, le ministère a envoyé un mail à toutes les DDPP pour leur dire explicitement de ne rien m’envoyer, et qu’il préparait une réponse harmonisée – qui a en fait pris la forme d’un modèle de mémoire en défense que toutes les DDPP ont utilisé derrière en ajustant quelques phrases. —— Le 22 mars, j’ai reçu le premier mémoire en défense qui utilisait explicitement mon CV de président d’une association antispéciste, de bénévole pour L214, le Parti Animaliste, Anonymous for the Voiceless… tout ça pour dire que c’est dangereux de me donner les rapports. Et à côté de ça, quelques éléments de jurisprudence assez sympathique, disant par exemple que le juge doit vérifier s’il y a un risque. Oui, c’est sûr, et à chaque fois que je réponds à ça je l’encourage aussi à le faire, par exemple en demandant des copies des rapports pour vérifier ce que ça peut générer comme risque vu leur contenu. —— Et puis, il y a la mention du rapport parlementaire du début d’année, le truc dont Alain Péréa était rapporteur – Alain Péréa, si vous ne vous souvenez pas, c’est le chasseur qui avait suggéré, à moitié en blaguant en 2018, qu’il faudrait interdire le VTT pendant les périodes de chasse pour éviter les accidents. Et le rapport, c’est lui qui suggérait qu’il faudrait punir de 45000€ et trois ans de prison les gens qui font obstruction d’une manière ou d’une autre à des activités légales. Donc tu lances des croquettes dans la forêt avant une chasse à courre ? Bam, trois ans de prison. Bref, ce rapport, c’était mignon de le mettre, mais là aussi en fait, ça joue plutôt dans mon sens, parce que parmi toutes les personnes interrogées pour le rapport, il y a un gars de l’Institut Pasteur, un gars qui utilise des animaux. Et dans le rapport, entre les mentions d’incendies de cabanes de chasse, de bris de vitrines, et d’autres blocages ou intrusions dans les abattoirs, il n’y a rien sur l’expérimentation animale. Donc en gros, le ministère s’est donné du mal pour faire un modèle de mémoire en défense pour lequel il n’a rien trouvé de spécifique à l’expérimentation animale. Et en fait, c’était à peu près sûr, puisqu’il n’y a quasiment rien à trouver. Le seul truc un peu lié, c’est quand Boucherie Abolition sont allés récupérer des lapines dans des locaux de l’Inra à Toulouse en 2017. Et c’était pas tant l’expérimentation animale que l’élevage et la sélection génétique pour l’élevage qui étaient attaquées. —— Mais le plus bidon, avec ce rapport parlementaire, c’est qu’il a été cité, dans les mémoires en défense, de manière complètement à côté de la plaque, par des gens qui ne l’ont apparemment pas lu et qui n’ont pas relu le modèle du ministère pour vérifier ce qu’ils envoyaient aux tribunaux. Parce que la plupart disent que le rapport parlementaire souligne que si on communique des rapports d’inspection d’expérimentation animale, il va y avoir des intrusions qui pourraient générer des risques de sécurité. Sauf que le rapport parlementaire ne parle pas du tout des rapports d’inspection, alors il aurait du mal à souligner ça. Mais encore mieux, dans un département, c’est ça qui est écrit :

« Bien qu’il ne s’agisse que de problèmes de suivi des procédures de la part du professionnel, à la lecture de la formulation utilisée dans le rapport d’inspection, la population (…) aurait pu penser que des animaux non destinés à la consommation humaine pouvaient se retrouver au stade de la distribution. C’est ce que souligne le rapport parlementaire blablabla… » —— Et en justifiant ça par une situation liée à un pesticide spécial, utilisé longtemps dans ce département. Mais le rapport parlementaire, évidemment, il n’a rien à voir avec ça. Donc la personne qui a écrit ça ne s’est encore pas relue, n’a pas lu le rapport, ou alors a supposé que c’était utile de mettre ce rapport parlementaire à toutes les sauces pour faire peur. —— Après, j’ai eu quelques bonnes surprises. Une DDPP dont la responsable du service venait d’avoir une formation au Code des Relations entre le Public et l’Administration m’a envoyé les rapports que je demandais, sans occultation abusive – en gros, elle a occulté les noms des personnes physique, et c’est tout. Une autre a envoyé pareil, sans expliquer pourquoi elle allait contre les directives du ministère, même quand je lui ai demandé. Parce que ce n’était pas rien, le ministère a envoyé plein de courrier, via la DGAL ou les DRAAF, pour demander de ne rien m’envoyer. —— Et puis il y a eu les mauvaises surprises, et le nouveau modèle de mémoire en défense produit par le ministère… Qui, pour le coup, est directement tourné vers moi. Sur ces mémoires-là, sur 8 pages, il y en a la moitié qui sont dédiées à dire que j’ai des liens avec des associations qui ont des activités illégales, et même dont les blocages et les intrusions sont les activités principales. Alors, déjà, je vois pas vraiment d’associations actives aujourd’hui dont ce soient les activités principales. Mais quand en plus, les associations citées, c’est Code Animal, Anonymous for the Voiceless et le Parti Animaliste, c’est juste risible. Mais ce qui fait le plus peur, peut-être, c’est une tendance, que je vois du coup depuis 6 mois, à faire des amalgames entre des manifestations légales, pacifiques, déclarées, et des actions illégales, violentes ou non, comme des intrusions ou des sabotages. Et la tendance à faire passer l’existence de manifestations légales et pacifiques comme la marque d’un risque d’actions violentes. Typiquement, il y a cet extrait, assez récent :

« le Conseil d’État a jugé suffisant pour motiver une décision d’expulsion d’indiquer, dans un souci de discrétion, que « l’intéressé est en relation avec des groupes d’action violente ayant commis, ou susceptibles de commettre des attentats ». – Au cas d’espèce, la décision contestée devant votre juridiction répondait également à des exigences de discrétion et neutralité eu égard aux activités du requérant qui sont décrites sur le site Internet de l’association ACTA-Gironde dont il est le président. – Ainsi, il est indiqué : « nous manifestons également face aux lieux d’exploitation pour contester leur présence » et ACTA-Gironde y rappelle qu’un de ses combats est l’exploitation des animaux pour la recherche scientifique. – Il s’agissait donc de privilégier, en motivant la décision, une approche objective et raisonnée du risque lié à la communication de certaines informations en évitant le procès d’intention ou perçu comme tel par le requérant. » —— J’aime beaucoup le « perçu comme tel par le requérant » quand c’est associé à des propos qui insinuent que je suis un danger public en lien avec des groupes qui ont commis des attentats… Parce que des groupes qui ont commis des intrusions, si on considère que tenir un stand pour L214 ou être debout avec des bougies devant un abattoir avec 269LA me met « en lien » avec des choses illégales qu’auraient fait ces assos, déjà c’est un poil tiré par les cheveux. Mais des groupes qui ont commis des attentats ? Je sais pas d’où ça sort. —— Bref, avec tout cet investissement du ministère dans cette affaire – qui n’est pas finie, hein, je le redis, et si ça se trouve je me plante sur différents points et les tribunaux jugeront contre moi sur ces points… mais avec tout ça, en plus de m’intéresser

  • aux rapports d’inspection
  • aux dates des inspections (dont j’ai demandé l’extraction de la base de données concernée au ministère de l’agriculture, parce que ça permettrait de voir quels types d’établissements sont inspectés le plus souvent, de voir la répartition des inspections sur le territoire, si c’est équitable, ce genre de choses…)
  • et du vade mecum des inspections (que j’ai demandé aussi, mais là encore, ça attend au tribunal – là ça permettrait de voir notamment les conseils donnés aux inspecteurs et inspectrices lors des inspections, parce que dans les autres vade-mecum, que le ministère met en ligne, il y a des choses qui sont juste des rappels de la loi ou de la réglementation, et des choses qui sont plutôt des conseils sur des points qui ne sont pas interdits par la loi ou par la réglementation – donc c’est intéressant, pour savoir ce qui est recommandé comme amélioration, ce qui est regardé sur certains items dont le nom est un peu abstrait dans les rapports d’inspection, ce genre de choses).

et je m’intéresse aussi à pouvoir lire ce que le ministère a envoyé ou fait envoyer aux DDPP – parce que comme je disais tout à l’heure, les correspondances entre agents publics, en utilisant des boites publiques, ce sont des documents publics. Mais là encore, ça attend au tribunal, et il n’y a pas de mémoire en défense pour l’instant. —— La difficulté, pour moi aujourd’hui, c’est que je ne peux pas produire d’analyse vraiment fine et généralisable sur la base des 130 rapports que j’ai, tant que je ne sais pas s’ils sont représentatifs des 600 et quelques établissements du pays. Et du coup, j’ai passé des dizaines d’heures sur des démarches administratives pour essayer d’avoir ces documents. Des dizaines d’heure que j’aurais largement préféré passer sur des analyses, pour savoir quelles sont les non-conformités les plus courantes, est-ce que les notations sont bien harmonisées d’un département à l’autre, sur quelle base, est-ce que certains items sont toujours conformes (j’ai l’impression que c’est le cas), qu’est-ce qu’il faut comme non-conformités pour obtenir la pire note possible (ou dans l’autre sens, jusqu’où un établissement peut être hors-la-loi sans que ça génère des suites pénales), est-ce que les établissements publics font mieux que les établissements privés, les établissements d’enseignement mieux que les autres, ou différemment simplement. Bref, pour pouvoir parler un peu sérieusement de ce qui existe pour de vrai dans les laboratoires, avec des sources concrètes et récentes. Mais ce sont des dizaines d’heure que je n’ai pu passer sur ces démarches que parce que je suis sans emploi, aussi – ce qui souligne un gros souci d’inégalité dans l’accès aux documents administratifs, parce que non seulement il faut savoir rédiger des recours et faire un truc clean pour le tribunal (et je ne suis toujours pas bien sûr aujourd’hui que mes recours sont vraiment bien faits, même si des préfectures suggèrent qu’ils sont trop bien faits pour que je les ai faits tout seul, donc c’est déjà ça), mais en plus de savoir faire ça, il faut aussi avoir le temps de le faire, et de suivre ça comme il faut si vous en faites plusieurs.

Conclusion

Voilà un peu où j’en suis, donc. De manière générale, je ne vous conseillerai pas de vous lancer là-dedans juste pour voir un document par curiosité, même si je me doute que la tentation peut être forte, et que « juste pour voir », c’est aussi une raison valable du point de vue légal. Mais les administrations sont déjà surchargées, donc même si leurs réactions face aux demandes peuvent être bien énervantes (en tout cas, perso, ça peut le devenir à force de me faire traiter de danger public), j’ai envie de dire qu’il faut aussi être bienveillantes dans ce sens et ne pas abuser par réaction. Par contre, sur des projets de recherche comme je fais, ou d’autres projets qui peuvent justifier de prendre du temps aux administrations, pourquoi pas vous lancer – je répète une dernière fois que c’est votre droit. Mais comme je dis sur mon site web, vérifiez d’abord que les documents ne sont pas déjà disponibles quelque part, qu’il n’y a pas déjà d’avis de la Cada qui les concerne, ou de jurisprudence, que des associations ne sont pas déjà intéressées et n’ont pas déjà fait la demande. Aussi, je vous conseille vraiment de tenir un tableau avec des alarmes automatiques qui vous rappellent de vous y pencher aux bonnes dates – parce qu’une fois les délais passés, il faut recommencer du début. Donc, ça économisera du temps pour tout le monde. — Voilà, je remercie énormément Axelle et les Estivales pour l’invitation, et je vous laisse la parole pour les questions et les remarques, auxquelles je répondrai autant que je peux.

Liens et références

Voir la page sur l’accès aux documents administratifs pour connaitre les suites des démarches décrites dans cette conférence et la jurisprudence qui en a émergé.