Aller au contenu

TA Amiens, jugement n°2100034 du 18/05/2022 (Nicolas Marty c. DDPP60)

Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que le nom des personnes physiques (dont les inspecteurs et inspectrices). Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées.

Vu la procédure suivante

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 6 janvier, 10 juin et 29 septembre 2021, M. Nicolas Marty demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Somme a rejeté sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans ce département ;
2°) d’enjoindre à la direction départementale de la protection des populations de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département de la Somme, sans occultation des noms des établissements, des dates des inspections, et des rapports, des intitulés de la grille d’inspection, des niveaux de conformité et des commentaires.

Il soutient que :
– la décision attaquée est entachée d’incompétence territoriale ;
– elle est entachée d’un défaut de motivation ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique ct à la sécurité des personnes ;
– il n’y a pas d’atteinte au secret industriel et commercial ;
– la communication des documents demandés ne porte pas préjudice aux personnes ,
– la direction départementale de la protection des populations ne pouvait occulter le nom des établissements concernés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2021, la préfète de la Somme conclut, à titre principal, au non-lieu à statuer et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête.
Elle soutient que : ;
– il n’y a plus lieu de statuer dès lors qu’elle a transmis au requérant les 26 mai et 15 juin 2021 le dernier rapport d’inspection réalisée en 2020 ou 2021 des trois établissements samariens pratiquant l’expérimentation animale, en occultant certaines mentions dont les noms des personnes, y compris ceux des inspecteurs, et les coordonnées des établissements ;
– les moyens soulevés par M. Marty ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 1 octobre 2021, la clôture d’instruction a été fixée en dernier lieu au 12 novembre 2021.
M. Marty a produit un mémoire le 12 janvier 2022.

Vu:
– les autres pièces du dossier.
Vu:
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme xxx en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme xxx, rapporteure,
– et les conclusions de Mme xxx, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. Marty a sollicité par courriel du 7 mai 2020 de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Somme la communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements situés dans ce département pratiquant l’expérimentation animale. En l’absence de réponse de la DDPP de la Somme, M. Marty a saisi la commission d’accès aux documents administratifs, laquelle a émis, le 29 octobre 2020, un avis favorable sous réserves à la communication des derniers rapports d’inspection et s’est déclarée incompétente s’agissant des dates des inspections précédentes au motif que cette demande porte sur des renseignements, Le 1 décembre 2020, il a de nouveau sollicité la DDPP pour obtenir la communication desdits documents. Par la présente requête, M. Marty demande au tribunal d’annuler la décision par laquelle la DDPP de la Somme a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation de ce département.

Sur l’étendue du litige :

2. Postérieurement à la date d’enregistrement de la requête, la préfète de la Somme a communiqué au requérant, par des courriels des 26 mai et 15 juin 2021, la copie, avec occultation des noms des établissements, des rapports d’inspection établis les 10 février, 12 novembre 2020 et 25 janvier 2021. Dans ces conditions, les conclusions aux fins d’annulation et d’injonction présentées par M. Marty sont devenues sans objet en tant qu’elles portent sur les mentions non occultées de ces rapports d’inspection. Il n’y a plus lieu d’y statuer.

Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision implicite par laquelle la direction départementale de la protection des populations de la Somme a refusé de communiquer le nom des établissements mentionnés dans les rapports d’inspection établis les 10 février, 12 novembre 2020 et 25 janvier 2021 :

3. Aux termes de l’article L. 300-2-du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres ler, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. (…) » Aux termes de son article L. 311-1 : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : (..) 2° Les. autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : /(…) / d) À la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; (…) » et de son article L. 311-6 : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, (..) et au’ secret des affaires (…) 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. » Enfin aux termes de l’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. »

4. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée, élaborés dans le cadre des missions de service public exercées par les services vétérinaires des directions départementales en charge de la protection des- populations, constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont donc soumis au droit d’accès prévu à l’article L. 311-1 de ce code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 cités au point 3.

5. La préfète de la Somme justifie l’occultation des noms d’établissement par le risque d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes. Elle évoque à ce titre le fait que plusieurs élevages de la Somme auraient fait l’objet au cours des années 2019 et 2020 d’introduction illégale, notamment par l’association antispéciste «L214 ». Toutefois, ces affirmations ne suffisent pas à regarder la communication des noms des établissements au sein des rapports d’inspection des établissements menant des expérimentations sur des animaux comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, la seule communication de ces documents n’étant pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la préfète de la Somme, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

6. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la divulgation des mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux non-conformités relevées par les inspecteurs ou aux titres et références des projets scientifiques serait de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes morales concernées ou au secret des affaires, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

7. Il résulte de ce qu’il précède que M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle la direction départementale de la protection des populations de la Somme. a refusé de communiquer le nom des établissements mentionnés dans les rapports d’inspection établis les 10 février, 12 novembre 2020 et 25 janvier 2021.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

8. L’exécution du présent jugement implique nécessairement qu’il soit enjoint à la préfète de la Somme de communiquer à M. Marty les rapports d’inspection des établissements pratiquant 1’expérimentation” animale, dans lesquels ne seront pas occultés des noms des établissements inspectés. Il y a lieu, dès lors, d’enjoindre à la préfète d’y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu; dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

DECIDE:

Article 1 : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d’annulation et d’injonction présentées par M. Marty en tant qu’elles concernent les mentions non occultées des rapports d’inspection établis les 10 février, 12 novembre 2020 et 25 janvier 2021, communiqués en cours d’instance.

Article 2 : La décision implicite par laquelle la direction départementale de la protection des populations de la Somme a refusé de communiquer le nom des établissements mentionnés dans les rapports d’inspection établis les 10 février, 12 novembre 2020 et 25 janvier 2021 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Somme de communiquer les rapports d’inspection des établissements pratiquant l’expérimentation animale, dans lesquels ne seront pas occultés des noms des établissements inspectés, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et à la préfète de la Somme.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 mai 2022.