Les rapports d’inspection sont communicables sans y occulter le nom des établissements ni celui des inspecteurs (auxquels, implicitement, le secret de la vie privée ne s’applique pas, contrairement aux autres personnes physiques). Les craintes de préjudice et de sécurité ne sont pas caractérisées et les documents existants ne portent pas atteinte à la recherche d’infractions.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires en réplique, enregistrés les 18 décembre 2020, 4 janvier 2021 et 14 avril 2021, M. Nicolas Marty demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet de Doubs a refusé de lui communiquer les derniers rapports d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Doubs ;
2°) d’enjoindre au préfet du Doubs, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui communiquer les documents sollicités sans aucune occultation.
M. Marty soutient que :
– la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation ;
– en lui communiquant les documents administratifs en litige en occultant certaines mentions, le préfet du Doubs a méconnu le régime juridique du droit d’accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 avril 2021, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Le préfet soutient que les moyens invoqués par Mme Marty ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. xxx, président, pour statuer sur les litiges relevant de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx,
– les conclusions de M. xxx,
– et les observations de M. Marty et de M. xxx, pour la préfecture du Doubs.
Considérant ce qui suit :
1. D’une part, en application des dispositions combinées des articles R. 311-12 à R. 311-15 et de l’article R. 343-1 du code des relations entre le public et l’administration, lorsque l’administration, avant le terme d’un délai d’un mois à compter de la réception d’une demande tendant à la communication d’un document administratif, a expressément, ou, au terme de ce délai, implicitement refusé, de transmettre ce document, l’intéressé dispose d’un délai de deux mois à compter de l’expiration de ce délai d’un mois ou de la notification du refus exprès pour saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Si, en vertu des articles R. 341-1 à R. 341-5 du code des relations entre le public et l’administration, la commission notifie en principe son avis à l’intéressé et à l’administration mise en cause dans un délai d’un mois à compter de l’enregistrement de la demande au secrétariat et que l’administration doit informer la commission, dans le délai d’un mois qui suit la réception de cet avis, de la suite qu’elle entend donner à la demande, cette même administration est toutefois réputée avoir implicitement confirmé son refus initial à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la demande de l’intéressé par la commission.
2. D’autre part, il résulte de l’article R. 421-5 du code de justice administrative et des dispositions des articles L. 112-3, L. 112-6, L. 412-3 et R. 112-5 du code des relations entre le public et l’administration qu’en matière de communication de documents administratifs, pour que les délais prévus aux articles R. 311-12, R. 311-13 et R. 311-15 de ce même code soient opposables, la notification de la décision administrative de refus, ou l’accusé de réception de la demande l’ayant fait naître si elle est implicite, doit nécessairement mentionner l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire devant la CADA ainsi que les délais selon lesquels ce recours peut être exercé. En revanche, aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à l’autorité administrative mise en cause d’informer le demandeur du recours contentieux qu’il peut former auprès de la juridiction administrative, et des délais y afférents, si la décision de refus est confirmée, de manière expresse ou implicite, après la saisine de cette commission. L’absence de telles mentions a seulement pour effet de rendre inopposables les délais prévus, pour l’exercice du recours contentieux, par les articles R. 311-12, R. 311-13 et R. 311-15 du code des relations entre le public et l’administration et aux articles R. 343-3 à R. 343-5 de ce même code.
3. Le 7 mai 2020, M. Marty a saisi le préfet du Doubs d’une demande tendant à la communication des derniers rapports d’inspection établis pour les établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Doubs. Le préfet du Doubs a implicitement rejeté cette demande. L’intéressé a alors exercé, le 27 juillet 2020, le recours administratif préalable obligatoire devant la CADA laquelle a rendu, le 29 octobre 2020, un avis sous le n° 20203219.
4. Compte tenu de ce qui vient d’être dit aux points 1 à 3, M. Marty doit être regardé comme demandant au tribunal d’annuler la décision par laquelle le préfet du Doubs a implicitement confirmé son refus de lui communiquer les documents sollicités.
Sur les conclusions aux fins d’annulation :
En ce qui concerne le moyen de légalité externe :
5. Aux termes de l’article L. 311-14 du code des relations entre le public et l’administration : « Toute décision de refus d’accès aux documents administratifs est notifiée au demandeur sous la forme d’une décision écrite motivée comportant l’indication des voies et délais de recours ». Aux termes de l’article L. 232-4 du même code : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».
6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. Marty aurait demandé la communication des motifs de la décision rejetant implicitement sa demande de communication des documents administratifs en litige avant l’expiration du délai de recours contentieux qui est intervenu, au plus tard, le 19 janvier 2021. En s’abstenant de communiquer les motifs de cette décision, lesquels ont d’ailleurs été révélés par ses écritures en défense, le préfet du Doubs n’a dès lors pas méconnu l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration.
En ce qui concerne le moyen de légalité interne :
7. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
8. Tout d’abord, il ressort des pièces du dossier que, le 28 décembre 2020, le préfet du Doubs a transmis à M. Marty deux rapports d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Doubs, établis dans un « contexte » de « demande d’approbation » respectivement le 22 juillet 2020 et le 3 septembre 2020 après avoir occulté, dans chacun d’eux, les mentions relatives à l’identification de l’établissement inspecté et des personnes nommément désignées, y compris l’inspecteur ayant exercé le contrôle.
9. Ensuite, contrairement à ce que soutient le préfet du Doubs, même s’il existe un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal, les personnes morales qui accueillent des expérimentations sur les animaux et les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans de tels établissements ne peuvent pas être regardés comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice.
10. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier et n’est d’ailleurs pas allégué que l’identité des personnes morales et physiques figurant dans les deux rapports d’inspection devraient en l’espèce être occultés en application des dispositions des d), f) et g) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration.
11. Enfin, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée. En occultant l’identification de ces personnes sur le fondement de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, le préfet du Doubs n’a ainsi pas entaché la décision attaquée d’illégalité.
12. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, d’une part, les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée sont devenues sans objet en tant qu’elles concernent les mentions non occultées des rapports d’inspection établis les 22 juillet 2020 et 10 septembre 2020 et que, d’autre part, M. Marty est fondé à demander l’annulation de cette décision en tant qu’elle a refusé de communiquer les mentions relatives à l’identification de l’établissement inspecté et de l’inspecteur ayant exercé le contrôle.
Sur les conclusions aux fins d’injonction :
13. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».
14. L’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet du Doubs communique à M. Marty une version des rapports d’inspections établis les 22 juillet et 3 septembre 2020 sans occultation de l’identification de l’établissement inspecté et de l’inspecteur ayant exercé le contrôle. Dès lors, il y a lieu d’ordonner au préfet de procéder à ces diligences dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
DECIDE :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision du préfet du Doubs en tant qu’elle concerne les mentions non occultées des rapports d’inspection établis les 22 juillet 2020 et 10 septembre 2020 concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Doubs.
Article 2 : La décision du préfet du Doubs est annulée en tant qu’elle concerne les mentions occultées, définies au point 12, des rapports d’inspection établis les 22 juillet 2020 et 10 septembre 2020.
Article 3 : Il est enjoint au préfet du Doubs de transmettre à M. Marty une version des rapports d’inspection établis les 22 juillet 2020 et 10 septembre 2020 comportant l’identification de l’établissement inspecté et de l’inspecteur ayant exercé le contrôle dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au ministre de l’intérieur.
Une copie de ce jugement sera transmise, pour information, au préfet du Doubs.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2021.