Les correspondances entre la préfecture et un établissement d’expérimentation animale sont communicables, et les rapports d’inspection de l’établissement sont communicables sans y occulter le détail des non-conformités, « sous réserve de l’occultation des seuls éléments strictement protégés par les articles L311-5 et L311-6 » du CRPA. L’État doit verser 1500€ à One Voice.
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 25 janvier 2023, l’association One Voice, représentée l’AARPI Géo Avocats, Me Robert, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle la préfète de l’Allier a implicitement rejeté sa demande tendant à la communication des documents administratifs suivants :
– les cinq derniers rapports d’inspection de l’établissement de la société Marshall Bio Resources (MBR) Farms situé à Gannat ;
– les photographies réalisés et les documents récupérés par les services de la préfecture lors des inspections concernées ;
– les deux derniers arrêtés d’agrément de cet établissement pour l’expérimentation animale ;
– les correspondances entre les services de la préfecture et l’établissement MBR Farms de Gannat, depuis la date du plus ancien rapport d’inspection concerné par la demande ;
2°) d’enjoindre à la préfète de l’Allier de lui communiquer les documents réclamés ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 400 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– les rapports d’inspection des établissements éleveurs, fournisseurs ou utilisateurs d’animaux à des fins scientifiques sont des documents élaborés dans le cadre d’une mission de service public et constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration ;
– de même, les photographies réalisées lors de ces inspections sont également des documents administratifs communicables ;
– les arrêtés préfectoraux d’agrément constituent des documents administratifs communicables ;
– les correspondances entre les services préfectoraux et l’établissement en cause, relatives au fonctionnement de cet établissement sont des documents administratifs ;
– aucun motif ne justifie le refus de communication.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er février 2023, le 27 septembre 2023 et le 13 octobre 2023, la préfète de l’Allier conclut au non-lieu à statuer dès lors qu’elle a communiqué les documents réclamés à l’association requérante, et au rejet de la requête pour le surplus.
Elle soutient que :
– les rapports d’inspection des années 2021 et 2022 n’ont pas pu être communiqués dès lors qu’il n’y a pas eu d’inspection ces années, faute de personnel suffisant ;
– la Commission d’accès aux documents administratifs admet que les non-conformités soient occultées ;
– l’ensemble des correspondances existant entre la préfecture et la société MBR Farms ont été transmises ;
– aucune photographie n’a été prise lors des inspections ; les inspecteurs n’ont collecté aucun document lors des inspections.
Par des lettres du 23 août 2023 et du 29 septembre 2023, l’association One Voice a été invitée, à indiquer dans le délai de quinze jours si elle entendait maintenir les conclusions de sa requête.
Par des mémoires, enregistrés le 4 septembre 2023 et le 11 octobre 2023, l’association One Voice entend maintenir sa requête dans l’ensemble de ses conclusions et précise demander la communication :
– des rapports d’inspection des 21 mars 2018, 17 septembre 2019, 26 novembre 2020 et 18 janvier 2023, dans une version non occultée ;
– du courrier de la société MBR Farms en réponse à l’inspection de l’établissement réalisée le 21 mars 2018 ;
– du courrier de la société MBR Farms en date du 31 octobre 2019, dépourvu d’occultations.
Elle fait valoir que :
– les documents communiqués ne sont pas exploitables dès lors que les non-conformités relevées ont été systématiquement occultées ; ces informations ne sont pas de nature à porter atteinte à la vie privée d’une personne physique ni au secret des affaires ou à la recherche et la prévention d’infractions ; ces détails sont nécessaires à l’évaluation de la pertinence des mesures de régularisation entreprises par la société MBR Farms ;
– la préfète ne peut utilement se prévaloir de l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs de 2019 ;
– aucun courrier intéressant la régularisation des non-conformités n’a été transmis ; aucune correspondance émanant de la société MBR Farms n’a été communiquée ;
– le courrier de réponse de la société MBR Farms suivant l’inspection du 21 mars 2018, mentionné dans son courrier du 31 octobre 2019, n’a pas été communiqué ;
– le courrier du 31 octobre 2019 est inexploitable dès lors que les non-conformités ont été occultées.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Bader-Koza, présidente ;
– et les conclusions de Mme Luyckx, rapporteure publique.
Les parties n’étaient ni présentes, ni représentées.
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 1er septembre 2022, l’association One Voice a sollicité la communication de documents à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la préfecture de l’Allier, à savoir les cinq derniers rapports d’inspection de l’établissement de la société Marshall Bio Resources (MBR) Farms situé à Gannat, les photographies réalisées et les documents recueillis par les services de la préfecture lors des inspections concernées, les deux derniers arrêtés d’agrément de cet établissement pour l’expérimentation animale et les correspondances entre les services de la préfecture et l’établissement MBR Farms de Gannat. Par un avis du 15 novembre 2022, la Commission d’accès aux documents administratifs s’est prononcée favorablement à cette communication, sous réserve que les documents en cause ne revêtent plus un caractère préparatoire, et sous réserve d’occultation des mentions portant atteinte à la sécurité des personnes, au respect de la vie privée ou qui feraient apparaitre le comportement d’une personne, dès lors que cette divulgation pourrait lui porter préjudice, à moins que l’occultation de ces mentions ne soit pas d’une ampleur telle qu’elle priverait de tout intérêt la communication des documents demandés. La préfète de l’Allier ayant implicitement confirmé son refus de communiquer les documents demandés, l’association One Voice demande au tribunal d’annuler ce refus et d’enjoindre à la préfète de l’Allier de lui communiquer les documents sollicités.
Sur l’exception de non-lieu à statuer :
2. Il résulte de l’instruction que la préfète de l’Allier a transmis à l’association One Voice les deux derniers arrêtés d’agrément de la société MBR Farms, les rapports d’inspection des 21 mars 2018, 17 septembre 2019, 26 novembre 2020 et 18 janvier 2023 ainsi que les courriers les accompagnant, le dossier de demande d’agrément de la société MBR Farms déposé le 18 avril 2018, deux courriers de la société MBR Farms des 31 octobre 2019 et 24 mars 2023, et un courrier des services préfectoraux adressé à la société MBR Farms en date du 15 février 2023. Dans ces conditions, la préfète de l’Allier fait valoir qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la requête de l’association One Voice dès lors que les documents sollicités ont été régulièrement communiqués en cours d’instance à l’association requérante. Toutefois, l’association One Voice, qui ne conteste pas avoir été destinataire de ces documents, reproche toutefois à la préfète de l’Allier de ne pas lui avoir transmis l’ensemble des documents sollicités, et d’avoir occulté les non-conformités relevées lors des inspections.
3. D’une part, aux termes de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. () « . Aux termes de l’article L. 311-7 du même code : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. « .
4. Il résulte de l’instruction qu’ont été occultés des rapports d’inspection et courriers transmis les noms des inspecteurs et agents de la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations de la préfecture de l’Allier, les noms des salariés de la société MBR Farms. Si les non-conformités ainsi que leur niveau de non-conformité n’ont pas été occultés, les commentaires y afférant l’ont été. Pour justifier les occultations précitées, la préfète de l’Allier se borne à faire référence à un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs du 5 septembre 2019, faisant valoir que cet avis autorise de telles occultations. Toutefois, dès lors que la CADA s’exprimait alors eu égard aux rapports examinés dans un cas d’espèce particulier et distinct de la présente instance, la préfète de l’Allier ne saurait utilement se prévaloir de ses mentions pour justifier l’occultation des commentaires relatifs aux non-conformités. Par suite, et alors qu’aucun autre élément de justification n’est avancé en défense, la communication des documents demandés, ainsi qu’elle a finalement été effectuée dans le cadre de la présente instance, ne satisfait pas aux exigences de la loi.
5. D’autre part, si l’association One Voice ne conteste pas l’inexistence des rapports d’inspection des années 2021 et 2022 ainsi que des photographies ayant pu être prises lors des inspections, ni des documents ayant pu être collectés pendant les inspections, elle fait toutefois valoir que les correspondances entre les services préfectoraux et la société MBR Farms ne lui ont pas été transmises. Si en défense, la préfète de l’Allier fait valoir qu’il n’existe aucune autre correspondance, il résulte toutefois des termes du courrier du 31 octobre 2019 que la société MBR Farms mentionne l’existence d’un précédent courrier ayant fait suite à l’inspection du 21 mars 2018, non transmis à l’association One Voice. Par suite, et contrairement à ce que fait valoir la préfète en défense, il existe au moins une autre correspondance entre les services préfectoraux et la société MBR Farms, qui n’a pas été transmise à la requérante.
6. Il résulte de tout ce qui précède que l’exception de non-lieu à statuer opposée par la préfète de l’Allier ne peut être accueillie qu’en ce qui concerne les arrêtés d’agrément ainsi que le dossier de demande d’agrément transmis.
Sur le surplus des conclusions à fin d’annulation :
7. Aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. « .
8. Les rapports d’inspection ainsi que les correspondances dont la communication est demandée, se rapportent à la mission de service public exercée par les services vétérinaires des directions départementales en charge de la protection des populations, et constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont donc soumis au droit d’accès prévu à l’article L. 311-1 de ce code, sous les seules réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du même code. Par suite, et alors que la préfète de l’Allier n’évoque en défense aucune impossibilité de produire les documents sollicités ni de difficulté à occulter les seuls éléments protégés en vertu des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, l’association One Voice est fondée à soutenir que la préfète de l’Allier a irrégulièrement refusé de lui communiquer les documents sollicités.
9. En revanche, ainsi qu’il a été dit plus haut, il est constant que la préfète de l’Allier ne dispose d’aucune photographie ayant été prise pendant les inspections, que les inspecteurs n’ont collecté aucun document lors des inspections, et qu’il n’y a pas eu d’inspection pour les années 2021 et 2022. Par suite, la préfète de l’Allier ne peut être tenue de communiquer ces documents, inexistants, quand bien même de tels documents seraient communicables au sens des dispositions du code des relations entre le public et l’administration.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la décision implicite née du silence gardé par la préfète de l’Allier sur la demande de communication des documents sollicités par l’association One Voice doit être annulée, en tant qu’elle refuse la communication de l’ensemble des correspondances entre la société MBR Farms et les services préfectoraux ainsi que des rapports d’inspection existants.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
11. Le présent jugement implique qu’il soit enjoint à la préfète de l’Allier de communiquer à l’association One Voice, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, l’ensemble des correspondances entre la société MBR Farms et les services préfectoraux ainsi que des rapports d’inspection existants, sous réserve de l’occultation des seuls éléments strictement protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
Sur les frais de l’instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de l’association One Voice tendant à obtenir la communication des deux derniers agréments obtenus par la société MBR Farms.
Article 2 : La décision implicite née du silence gardé par la préfète de l’Allier sur la demande de l’association One Voice est annulée, en tant qu’elle refuse la communication de l’ensemble des correspondances entre la société MBR Farms et les services préfectoraux ainsi que des rapports d’inspection existants.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de l’Allier de communiquer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, à l’association One Voice l’ensemble des correspondances entre la société MBR Farms et les services préfectoraux ainsi que les rapports d’inspection existants, avec occultation des seules mentions protégées par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
Article 4 : Il est mis à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête doit être rejeté.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à l’association One Voice et à la préfète de l’Allier.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2024.