L’arrêté d’agrément de la plateforme Silabe (éleveur, fournisseur et utilisateur de primates à l’Université de Strasbourg) est annulé au motif qu’il a été adopté sans consultation du public alors que les risques pour l’environnement (gestion des eaux usées, déchets biologiques, cadavres d’animaux, risques d’accidents de laboratoire) sont avérés. La préfète du Bas-Rhin est enjointe d’organiser une consultation du public pour renouveler l’agrément. L’État doit verser 2000€ à Pro Anima.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés respectivement les 24 février 2021,
1er décembre 2021, 28 avril 2022, 18 octobre 2022 et un mémoire récapitulatif enregistré le
23 février 2023, l’association Comité scientifique pro anima , représentée par Me Huglo, demande au tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 6 octobre 2020 portant agrément de la plateforme Silabe pour l’importation, l’élevage, la fourniture et l’utilisation des animaux à des fins scientifiques ;
2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 6 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– l’article L. 123-19-2 du code de l’environnement a été méconnu dès lors qu’il existe des risque de pollution, et des risques environnementaux et sanitaires de contamination ;
– l’absence de communication du dossier de demande d’agrément ne permet pas de vérifier que l’ensemble des prescriptions tant formelles que procédurales prévues par l’arrêté du 1er février 2013 ont été respectées ;
– il existe une manœuvre frauduleuse au regard du principe de spécialité de l’Unistra car l’essentiel de l’activité est bien l’élevage et la poursuite d’activités lucratives et non la recherche scientifique ;
– l’activité principale de la plateforme n’est pas la recherche scientifique mais l’activité d’élevage d’animaux de laboratoires en vue de leur revente ; les dispositions du code rural et l’arrêté du 1er février 2013 n’était pas applicable à la requérante ; le recours à cette procédure méconnaît les dispositions de l’article R. 214-88 du code rural et de la pêche maritime ; à tout le moins, il s’agit d’un détournement de procédure ; l’administration aurait dû vérifier que les projets expérimentaux des tiers pour lesquels elle exerce une activité d’élevage ou de mise à dispositions d’organes et de tissus respectent les dispositions du code rural et de la pêche maritime ; la préfète ne saurait s’exonérer de sa responsabilité en renvoyant aux autorisations de recherche individuelles prévues par l’article R. 214-222 du code rural alors qu’il lui appartient pour délivrer l’agrément d’examiner les protocoles expérimentaux mis en place ;
– le refus de communiquer de l’entier dossier ne permet pas de vérifier que les conditions relatives au bien-être des animaux prévues par les articles R. 214-106, R. 214-107 et R. 214-95 du code rural et de la pêche maritime et de l’article 4 de l’arrêté 1er février 2013 sont respectés.
Par des mémoires en défense enregistré les 2 novembre 2021, 5 avril 2022 et
28 mars 2023, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par des mémoires, enregistrés les 15 septembre 2022 et 28 mars 2023, l’université de Strasbourg, conclut au rejet de la requête.
Des notes en délibéré ont été enregistrées les 21 décembre 2023 pour la préfète du Bas-Rhin et le 22 décembre 2023 pour l’université de Strasbourg et l’association Comité scientifique pro anima.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– la directive du Conseil n° 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ;
– le code rural et de la pêche maritime :
– le code l’environnement
– l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Hélène Bronnenkant,
– les conclusions de M. Alexandre Therre, rapporteur public,
– les observations de Me Huglo, avocat de l’association Comité scientifique pro nima, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
– les observations de Mme C, représentant la préfète du Bas-Rhin, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;
– les observations de Mme D, représentant l’université de Strasbourg, qui précise qu’il conviendra de déterminer le sort des animaux en cas d’annulation pour un vice de procédure, ainsi que celles de M. A et Mme B.
Considérant ce qui suit :
1. L’association Comité scientifique pro anima demande au tribunal d’annuler l’arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 6 octobre 2020 par lequel elle a délivré un agrément à la plateforme Silabe Université de Strasbourg pour l’importation, l’élevage, la fourniture et l’utilisation des animaux à des fins scientifiques.
Sur la légalité externe :
2. La directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil du
22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques a été transposée par un décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, dont les dispositions ont été codifiées aux articles R. 214-87 à R. 214-129 du code rural et de la pêche maritime.
3. Aux termes de l’article R. 214-87 du code rural et de la pêche maritime : » Les dispositions de la présente section s’appliquent lorsque des animaux sont utilisés ou destinés à être utilisés dans des procédures expérimentales telles que définies à l’article R. 214-89, ou lorsqu’ils sont élevés pour que leurs organes ou tissus puissent être utilisés à des fins scientifiques. Les dispositions de la présente section s’appliquent jusqu’à ce que les animaux visés au premier alinéa aient été mis à mort, placés dans un système d’élevage approprié ou relâchés dans un habitat approprié « .
4. Aux termes de l’article R. 214-88 du même code : » N’entre pas dans le champ d’application de la présente section l’utilisation d’animaux dans les conditions suivantes: (..) 3° les actes pratiqués à des fins d’élevage reconnus » ; aux termes de l’article R. 214-89 : » Au sens de la présente section et des textes pris pour son application, on entend par : 1o « Procédure expérimentale »: – toute utilisation, invasive ou non, d’un animal à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques « , y compris lorsque les résultats sont connus, » ou à des fins éducatives ; (..) 4o « Éleveur »: toute personne élevant des animaux des espèces définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche, en vue de leur utilisation exclusive dans des procédures expérimentales ou en vue de l’utilisation de leurs tissus ou organes à des fins scientifiques, ou élevant d’autres animaux principalement à ces fins, dans un but lucratif ou non ; « .
5. Aux termes de l’article R. 214-99 du même code : » Tout établissement éleveur, fournisseur ou utilisateur doit être agréé. A cet effet, sous réserve des dispositions de l’article
R. 214-127, une demande d’agrément est adressée par le responsable de l’établissement au préfet du département du lieu d’implantation de l’établissement. Cette demande est accompagnée d’un dossier dont les éléments sont précisés par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense. Toute procédure expérimentale doit être menée dans un établissement agréé. « .
6. Par ailleurs, aux termes de l’article L. 123-19-2 du code l’environnement : » I.-Sous réserve des dispositions de l’article L. 123-19-6, le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l’environnement qui n’appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. Les décisions qui modifient, prorogent, retirent ou abrogent une décision appartenant à une telle catégorie ne sont pas non plus soumises aux dispositions du présent article. Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l’environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif « .
7. D’une part les décisions d’agrément prises en application de l’article R. 214-99 du code rural et de la pêche maritime n’appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public.
8. D’autre part, la décision en litige a pour objet d’agréer une plateforme qui a pour objet » l’importation, l’élevage, la fourniture et l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques » et qui réalise notamment des protocoles expérimentaux consistant notamment en l’administration de substances sur animaux vigiles ou anesthésiés, en la réalisation de prélèvements de telles substances sur ces animaux, en la réalisation d’interventions chirurgicales et en l’euthanasie des animaux. Cette plateforme possède une capacité théorique de 1600 places et accueille des primates de 9 espèces différentes.
9. Il ressort des pièces du dossier que de nombreux déchets, dont des déchets d’activités de soins à risques infectieux et des cadavres d’animaux, sont produits sur site tant en raison de l’activité d’élevage que des protocoles expérimentaux pratiqués sur les animaux. La plateforme Silabe dispose par ailleurs d’une autorisation de rejet de ses eaux usées dans le réseau public d’assainissement, situé à proximité d’une zone de captage d’eau. Ainsi quand-bien même la plateforme bénéficie d’une procédure d’élimination des déchets, la seule présence de ceux-ci est susceptible d’avoir des effets directs et significatifs sur l’environnement. En outre, l’utilisation d’animaux à des fins d’expérimentation scientifique, notamment pour tester des médicaments et des vaccins, est susceptible d’occasionner, du fait d’accidents de laboratoire, des risques pour les milieux naturels, quand-bien même ces risques sont pris en compte dans la politique de gestion des risques de la plateforme et qu’aucun virus n’est inoculé aux animaux sur place. Ainsi, l’agrément contesté doit être regardé comme ayant des effets directs et significatifs sur l’environnement. Dès lors en s’abstenant d’organiser la procédure prévue à l’article L. 123-19-2 du code l’environnement, la préfète du Bas-Rhin a méconnu ces dispositions. Le vice de procédure tiré de cette absence de consultation a privé l’association requérante d’une garantie, et constitue, dès lors, une irrégularité de nature à entacher la légalité de la décision attaquée. Il y a par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, d’annuler la décision d’agrément litigieuse.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
10. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure. « .
11. Il y a lieu d’enjoindre d’office à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la demande de renouvellement après l’organisation d’une procédure de consultation du public, sur la base d’un dossier complet dont seront uniquement retirées les informations strictement couvertes par des secrets protégés par la loi, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.
12. Pendant le temps du réexamen de cette demande et jusqu’à la délivrance d’un nouvel agrément, il y a lieu d’enjoindre à la plateforme Silabe de maintenir le site dans un état de fonctionnement minimal par la gestion de ses affaires courantes et en veillant au bien-être des primates sans poursuite de ses activités.
Sur les frais du litige :
13. Il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’association comité scientifique pro anima.
D E C I D E :
Article 1 : L’arrêté de la préfète du Bas-Rhin du 6 octobre 2020 portant agrément de la plateforme Silabe pour l’importation, l’élevage, la fourniture et l’utilisation des animaux à des fins scientifiques est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la demande de renouvellement après l’organisation d’une procédure de consultation du public, sur la base d’un dossier complet dont seront uniquement retirées les informations strictement couvertes par des secrets protégés par la loi, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement.
Article 3 : Pendant le temps du réexamen de cette demande et jusqu’à la délivrance d’un nouvel agrément, il y a lieu d’enjoindre à la plateforme Silabe de maintenir le site dans un état de fonctionnement minimal par la gestion de ses affaires courantes et en veillant au bien-être des primates sans poursuite de ses activités.
Article 4 : L’Etat versera une somme de 2 000 (deux mille) euros à l’association Comité scientifique pro anima.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association Comité scientifique pro anima, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à l’université de Strasbourg. Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l’audience du 21 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Dhers, président,
Mme Bronnenkant, première conseillère,
Mme Perabo Bonnet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 janvier 2024.