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TA Guadeloupe, jugement n°2001154 du 16/12/2021 (Nicolas Marty c. DAAF971)

Le rapport d’inspection était bien communicable, mais l’occultation de l’identité d’un établissement et d’un commentaire concernant une non-conformité est autorisée « dans un contexte local déjà très éprouvé par le scandale de la chlordécone » (et quelques semaines après les émeutes liées à la pandémie en Guadeloupe), afin d’éviter que la population pense que les animaux expérimentés sont renvoyés dans le circuit de consommation.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 décembre 2020, le 14 avril 2021, le 28 avril 2021 et le 29 septembre 2021, M. Marty demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Guadeloupe a refusé de lui communiquer le rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale dans le département ;

2°) d’annuler la décision par laquelle le directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt a occulté dans le document qui lui a été communiqué le nom de l’établissement concerné ;

3°) d’enjoindre au directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de lui communiquer les documents demandés en rendant apparentes les occultations et en indiquant le nom de l’établissement, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Il soutient que :
– le directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt n’est pas compétent pour refuser de lui communiquer les documents demandés ;
– la décision tendant à occulter le nom de l’établissement dans le rapport d’inspection qui lui a été communiqué n’est pas motivée ;
– elle est entachée d’erreur de droit et méconnait les dispositions du d) du 2°) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration ;
– le refus implicite de lui communiquer le dernier rapport des autres établissements pratiquant l’expérimentation animale porte atteinte à son droit d’accès aux documents administratifs et méconnait l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration car il existe au moins deux établissements pratiquant l’expérimentation animale disposant d’un agrément en Guadeloupe.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 avril 2021 et le 22 avril 2021, le Préfet de la Guadeloupe conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
– les conclusions de la requête tendant à lui enjoindre de communiquer les rapports des autres établissements d’expérimentation sont irrecevables dès lors que le département ne compte qu’un seul établissement agréé et que l’intéressé a été destinataire du rapport de la dernière inspection de cet établissement effectuée le 29 octobre 2020 ;
– les autres moyens soulevés par M. Marty ne sont pas fondés.

Vu :
– les autres pièces du dossier ;
– l’avis n° 20202205 de la commission d’accès aux documents administratifs du 29 octobre 2020.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir, au cours de l’audience publique, présenté son rapport, entendu les conclusions de Mme xxx, rapporteur public, les parties n’étant ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. M. Nicolas Marty a demandé par courriel du 7 mai 2020 la communication du dernier rapport d’inspection des établissements d’expérimentation animale dans le département de la Guadeloupe. Par courrier du 20 novembre 2020, le directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt lui a communiqué le rapport n° 20-073594, dernier rapport établi par ses services, après avoir procédé à des occultations. M. Marty demande au tribunal d’annuler cette décision en tant qu’elle refuse de lui communiquer ce rapport sans occultations et en tant qu’elle refuse de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements de la Guadeloupe.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

En ce qui concerne la compétence de l’auteur de la décision attaquée :

2. La demande de communication de documents administratifs a été adressée à la Direction de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt de la Guadeloupe. Par suite, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte doit être écarté.

En ce qui concerne la décision implicite de refus de communiquer les rapports des autres laboratoires d’expérimentation dans le département de la Guadeloupe :

3. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ».

4. M. Marty soutient qu’il existe sur le territoire de la Guadeloupe au moins deux établissements disposant d’agréments distincts pratiquant l’expérimentation animale, et que le deuxième établissement a dû faire l’objet d’au moins une inspection depuis 2013. Toutefois, l’existence d’un tel rapport d’inspection concernant une deuxième entité dans le département de la Guadeloupe n’est pas établie. Dès lors, en refusant implicitement de communiquer à M. Marty un tel document, le préfet de la Guadeloupe n’a pas méconnu les dispositions de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration.

En ce qui concerne la décision tendant à l’occultation du document communiqué :

5. Aux termes de l’article L. 311-14 du code des relations entre le public et l’administration: « Toute décision de refus d’accès aux documents administratifs est notifiée au demandeur sous la forme d’une décision écrite motivée comportant l’indication des voies et délais de recours ». Aux termes de l’article L. 232-4 du même code : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».

6. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. Marty aurait demandé la communication des motifs de la décision en litige avant l’expiration du délai de recours contentieux qui est intervenu, au plus tard, le 24 janvier 2021. En s’abstenant de communiquer les motifs de cette décision, lesquels ont d’ailleurs été révélés par ses écritures en défense, le préfet de la Guadeloupe n’a dès lors pas méconnu l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration.

7. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

8. Il ressort des pièces du dossier que le 20 novembre 2020, le directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt a communiqué à M. Marty le rapport d’inspection de l’établissement d’expérimentation animale disposant d’un agrément en Guadeloupe après avoir occulté le nom de l’inspecteur, l’identité de l’établissement inspecté et des personnes rencontrées, le numéro d’agrément ainsi que les non-conformités relevées sur le devenir des animaux (item C. 10).

9. Le préfet de la Guadeloupe soutient que la décision d’occultation est justifiée par la protection de la sécurité publique et de la sécurité des personnes. Il fait ainsi valoir qu’il existe dans le département une méfiance de la population sur la sécurité des aliments qui leur sont vendus, suite au scandale de la chlordécone, et qu’à la lecture de la formulation utilisée dans le rapport d’inspection, la population guadeloupéenne pourrait penser que des animaux non destinés à la consommation humaine pourraient se retrouver au stade de la distribution. Il résulte, en effet, du commentaire figurant en page 4 du rapport que la gestion indifférenciée de l’élevage et de l’expérimentation animale conduit à des non conformités notamment de traçabilité (entrées/sorties des animaux et des médicaments). Or, comme rappelé par le préfet, dans un contexte local déjà très éprouvé par le scandale de la chlordécone, c’est à bon droit que le préfet de la Guadeloupe a pu, pour des raisons tenant à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, occulter l’item C10 ainsi que l’identité de l’établissement inspecté.

10. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions de la requête de M. Marty doivent être rejetées, ainsi que celles, par voie de conséquence, à fin d’injonction.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. Marty est rejetée.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au préfet de la Guadeloupe.

Une copie de ce jugement sera transmise au ministre de l’intérieur.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2021.