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TA Strasbourg, jugement n°2101735 du 20/12/2021 (Nicolas Marty c. Université de Strasbourg, Silabe)

Les dossiers de suivi individuel des primates du centre Silabe sont communicables en y occultant les procédés de recherche (au titre du secret des affaires) et en y anonymisant les personnes physiques et morales associées à Silabe (au titre du secret de la vie privée). Le secret industriel et commercial ne s’applique pas aux primates morts ou transférés.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 mars et 1er juillet 2021 ainsi que le 2 décembre 2021, M. Nicolas Marty, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision implicite par laquelle l’Université de Strasbourg a refusé de de lui fournir les dossiers de suivi des primates présents dans son centre de primatologie Silabe ;

2°) d’enjoindre à l’Université de Strasbourg de lui communiquer, dans un délai de soixante jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, un échantillon aléatoire d’une centaine de dossiers de suivi individuel des primates morts ou transférés de son centre de primatologie Silabe, ayant servi à des recherches dont les résultats ont été publiés et pour lesquels les dossiers ont été conservés en accord avec la loi.

M. Marty soutient que :
– sa requête est recevable ;
– la décision est insuffisamment motivée ;
– la décision méconnaît les articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ;
– les dossiers de suivi des animaux morts ou placés sont des documents achevés qui peuvent être communiqués ;

– le secret industriel et commercial ne justifie pas de l’occultation des noms de partenaires, des propriétaires et des institutions ;
– sa demande n’est pas abusive ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ;
– la communication des documents demandés ne porte pas préjudice aux personnes.

Par des mémoires en défense enregistrés les 30 juin et 1er décembre 2021, présentés par Me xxx, l’Université de Strasbourg représentée par son président, conclut à titre principal au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :
– la demande de M. Marty est irrecevable car abusive ; – la décision est suffisamment motivée ;
– les documents demandés ne sont pas des documents achevés ; – la demande est abusive ;
– il y a un risque d’atteinte à la sécurité publique ainsi qu’à la sécurité des personnes ;
– la communication des documents demandés risque de porter préjudice aux personnes morales et physiques liées au centre de primatologie.

Vu :
– l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) en date du 11 février 2021 ;
– les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de Mme xxx
– les conclusions de M. xxx,
– les observations de M. Marty et de Me xxx, représentant l’Université de Strasbourg.

Considérant ce qui suit :

1. M. Nicolas Marty a sollicité du centre de primatologie de Niederhausbergen (ci-après Silabe) la copie numérique des dossiers de suivi individuel des primates présents au centre, y compris les dossiers des animaux morts ou placés. En l’absence de réponse par l’Université de Strasbourg, M. Marty a saisi la CADA qui a rendu un avis favorable le 11 février 2021. Du silence de l’administration est née une décision implicite de rejet dont M. Marty demande l’annulation.

Sur l’étendue du litige :

2. Par son mémoire enregistré le 1er juillet 2021, M. Marty amende sa demande pour ne demander que la communication des documents achevés à savoir les « dossiers de suivi individuel des primates morts ou transférés de SILABE ».

3. Par un mémoire, enregistré le 2 décembre 2021, M. Marty modifie ses conclusions en demandant la communication d’un échantillon aléatoire d’une centaine de dossiers de primates morts ou transférés ayant servi à des recherches dont les résultats ont été publiés.

Sur les conclusions aux fins d’annulation

4. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :/ d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; (…) h) Ou sous réserve de l’article L. 124-4 du code de l’environnement, aux autres secrets protégés par la loi. ». L’article L.311-6 du code précité dispose : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : /1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; /2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ;/3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. ». Aux termes de l’article L. 232-4 du même code : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ».

5. En premier lieu, si M. Marty indique que la décision attaquée est insuffisamment motivée, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ait demandé la communication des motifs de cette décision. Il s’ensuit qu’il ne peut utilement soutenir que cette décision serait insuffisamment motivée.

6. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient l’administration, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il existerait d’une part, un risque d’intrusion au sein de la plateforme Silabe dès lors que M. Marty agit en son propre nom et, d’autre part, un détournement des données scientifiques élaborées ou utilisées dans le cadre des essais précliniques en tant que tel et pouvant justifier la non-communication des documents demandés.

7. Pour refuser la communication des « dossiers de suivi individuel des primates morts ou transférés de SILABE », l’Université fait valoir que ces dossiers sont couverts par la protection du secret au sens de l’article L. 311-5 h) précité et leur communication porterait atteinte à la sécurité publique au sens de l’article L. 311-5 d) du même code. M. Marty soutient que la seule présence des RNT (résumés non techniques des projets) ne garantissent pas l’information sur les activités d’un établissement spécifique alors que la lecture des publications scientifiques garantit l’accès aux méthodes et aux résultats des procédures qui ne peuvent être considérées comme des secrets.

8. Il ressort des pièces du dossier que si les données relatives à la localisation de certains échantillons type Ebola, ou projets d’expérimentation à des fins scientifiques peuvent être sensibles au sens des dispositions précitées et ainsi ne pas donner lieu à communication, il s’agit ici de transmettre des dossiers de primates morts ou transférés.

9. Aux termes de l’article R. 214-96 du code rural et de la pêche maritime : « Les chiens, les chats et les primates qui se trouvent dans les établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs sont identifiés par un marquage individuel et permanent. Lorsque les animaux sont sevrés, ce marquage est conforme aux modalités prévues pour l’application de l’article L. 212-10. /Les établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs sont tenus de conserver les informations individuelles relatives à chaque chien, chat ou primate, définies par arrêté des ministres chargés de l’environnement et de l’agriculture, pendant au moins trois ans après la mort ou le placement de l’animal et de les mettre à la disposition des agents habilités. /En cas de placement, conformément à l’article R. 214-112, les informations utiles sur les antécédents médicaux, sanitaires et comportementaux figurant dans le dossier individuel mentionné ci-dessus accompagnent l’animal. ». Aux termes de l’article R. 214-97 du même code : « Le responsable d’un établissement utilisateur ou d’un établissement éleveur ou fournisseur d’animaux destinés à des procédures expérimentales tient des registres des animaux dans lesquels sont consignés les éléments de suivi des animaux définis par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche. /Ces registres sont conservés pendant cinq années. ». Il en résulte que le dossier individuel a pour objet de retracer un ensemble d’informations relatives aux primates utilisés dans les expérimentations à fin scientifique.

10. Si l’Université soutient que la communication de ces dossiers remettrait en cause le secret des affaires dès lors que la plateforme Silabe exerce dans le champ concurrentiel, il ressort des pièces du dossier que les dossiers ne sont conservés que pendant cinq années et que seule la mention des procédés de recherche pouvant y figurer, doit être occultée.

11. Enfin, si l’Université soutient que la communication de ces dossiers porterait atteinte aux projets de recherche, il apparaît que les publications scientifiques non confidentielles décrivent les procédures suivies et les résultats obtenus sur les primates. Par suite, dès lors que la communication des dossiers est limitée aux primates morts ou transférés, ayant servi à des recherches dont les résultats ont été publiés, l’atteinte n’est pas établie.

12. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la communication de tels dossiers serait de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes physiques et morales associées au Silabe. Dès lors, seule une communication sans mention des nom et statut tant des personnes physiques que morales, peut être admise.

13. Par suite, M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision lui refusant la communication des dossiers de suivi individuel des animaux morts ou placés du centre de primatologie, dans les limites ci- dessus décrites.

Sur les conclusions aux fins d’injonctions et d’astreinte :

14. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure. ».

15. Eu égard au motif d’annulation retenu, l’exécution du présent jugement implique que les documents administratifs précités soient communiqués à M. Marty. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre au président de l’Université de Strasbourg de lui communiquer sous format électronique la copie des dossiers de suivi individuel des primates du centre de primatologie morts ou transférés ayant servi à des recherches dont les résultats ont été publiés, en y occultant le nom et le statut des personnes physiques et morales pouvant y figurer ainsi que les mentions des procédés de recherche dans un délai de trois suivant la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin de prononcer une astreinte.

 

D E C I D E :

Article 1 : La décision implicite de refus de communication des derniers rapports d’inspection pour chaque établissement pratiquant l’expérimentation animale est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au président de l’Université de Strasbourg de communiquer à M. Marty la copie numérique des dossiers de suivi des primates du centre de primatologie morts ou placés en occultant l’identité des personnes physiques et morales pouvant y figurer ainsi que les mentions des procédés de recherche dans un délai de trois mois suivant la notification du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au président de l’Université de Strasbourg.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 20 décembre 2021.