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TA Lille, jugement n°2100055 du 30/12/2021 (Nicolas Marty c. DDPP59)

Les rapports d’inspection sont communicables en y occultant le nom des personnes physiques (au titre du secret de la vie privée) et peut-être d’autres éléments non précisés, justifiés par le Code des relations entre le public et l’administration.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 5 janvier 2021, le 11 août 2021 et le 29 septembre 2021, M. Nicolas Marty demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet du Nord a refusé de lui communiquer les derniers rapports d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Nord ;

2°) d’enjoindre au préfet du Nord, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de lui communiquer les documents sollicités sans aucune occultation.

Il soutient que :
– la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation ; – la décision attaquée est entachée d’incompétence territoriale ;
– en ne lui communiquant pas les documents administratifs en cause, le préfet du Nord a méconnu le régime juridique du droit d’accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2021, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens invoqués par M. Marty ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 12 octobre 2021, la clôture d’instruction a été fixée au 3 novembre 2021 à 12h.

Un mémoire arrivé après clôture pour M. Marty a été enregistré le 15 décembre 2021 et n’a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. xxx en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 17 décembre 2021 : – le rapport de M. xxx, magistrat désigné ;
– les conclusions de M. xxx, rapporteur public ;
– et les observations de Mme xxx, représentant le préfet du Nord.

Considérant ce qui suit :

1. Le 7 mai 2020, M. Nicolas Marty a saisi la direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Nord, service déconcentré de l’Etat placé sous l’autorité du préfet du département, d’une demande tendant à la communication des derniers rapports d’inspection établis pour les établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Nord. Cette demande a été implicitement rejetée. L’intéressé a exercé, le 27 juillet 2020, le recours administratif préalable obligatoire devant la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), laquelle a rendu un avis favorable à la communication de ces documents, sous certaines réserves, le 29 octobre 2020. M. Marty a de nouveau sollicité la communication de ces documents auprès de la DDPP du Nord qui, par un courriel du 2 décembre 2020, l’informait de la transmission prochaine des documents sollicités. L’intéressé n’a finalement reçu aucun de ces documents. Par la présente requête, M. Marty doit être regardé comme demandant au tribunal d’annuler la décision née du silence gardé par l’administration pendant un délai de deux mois à compter de la saisine de la CADA par laquelle le préfet du Nord a implicitement confirmé son refus de lui communiquer les documents sollicités.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. (…) ». Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : (…) / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (…) / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; (…) / f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ; / g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ; (…) ». Aux termes de l’article L. 311-6 de ce code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ». Enfin, aux termes de l’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. ».

3. Si le préfet du Nord fait valoir que la communication au requérant, militant auprès d’associations antispécistes, des rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Nord est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, cette transmission pouvant conduire à l’identification des établissements concernés et à la survenance d’intrusions au sein de ces locaux, il ne ressort pas des pièces du dossier que la communication de ces rapports, dont rien ne permet de dire qu’elle affecterait elle-même directement la sécurité des établissements inspectés et des personnes physiques y exerçant une activité professionnelle, serait susceptible de porter effectivement atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes et ce, malgré l’existence d’un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal.

4. Toutefois, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle au sein d’établissements accueillant des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée, conformément aux dispositions précitées de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

5. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet du Nord a refusé de lui communiquer les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Nord, sous réserve toutefois que ces documents soient anonymisés en ce qui concerne les personnes physiques exerçant une activité professionnelle au sein de ces locaux, conformément aux dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

Sur les conclusions à fin d’injonction sous astreinte :

6. L’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet du Nord communique à M. Marty les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Nord. Ces documents occulteront tous éléments dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. Dès lors, il y a lieu d’ordonner au préfet du Nord de procéder à ces diligences dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

D E C I D E :

Article 1er : La décision par laquelle le préfet du Nord a refusé de communiquer à M. Marty les derniers rapports d’inspection concernant les établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Nord est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de transmettre à M. Marty une version des rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Nord. Cette communication sera faite selon les modalités prévues au point 6 des motifs du jugement et ce dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty, au préfet du Nord et au ministre de l’intérieur.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2021.