Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que l’identification des personnes physiques employées par les établissements et des inspecteurs et inspectrices. Les craintes de préjudice ne sont pas caractérisées et le secret des affaires ne couvre pas le nom des établissements ni les non-conformités.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 décembre 2020, le 4 janvier 2021, le 29 mars 2021, le 29 septembre 2021, le 15 décembre 2021 et le 26 août 2022, M. C A demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle la préfète de la Corrèze a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département de la Corrèze ;
2°) d’enjoindre à la préfète de la Corrèze de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires.
Il soutient que :
– la direction départementale de la protection des populations de la Corrèze n’est pas compétente pour décider de la communication des documents demandés ;
– la décision méconnaît les articles L. 311-1 et suivant du code des relations entre le public et l’administration ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes justifiant un refus de communication ;
– la communication des documents demandés ne porte pas préjudice aux personnes ;
– le public a le droit de savoir ce qui ne va pas dans les sites pratiquant l’expérimentation animale.
Par des mémoires en défense enregistrés le 19 mars 2021 et le 17 décembre 2021, la préfète de la Corrèze conclut à titre principal au non-lieu à statuer et subsidiairement au rejet au fond.
Elle soutient qu’à son mémoire est joint le rapport sollicité et que les occultations sont justifiées.
Vu :
– l’avis favorable n°20203205 du 29 octobre 2020 de la commission d’accès aux documents administratifs ;
– les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Nicolas Normand, vice-président, en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. D,
– les conclusions de Mme Benzaid, rapporteure publique,
– les observations de M. A,
– et les observations du représentant de la préfète de la Corrèze.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier électronique du 7 mai 2020, M. A a demandé à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Corrèze de lui communiquer des copies numériques du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire de ce département. En l’absence de réponse de l’administration, M. A a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) le 27 juillet 2020, laquelle a rendu, le 29 octobre 2020, un avis favorable, sous certaines réserves, à la communication des documents sollicités. Par la présente requête, M. A demande l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les services de l’Etat sur sa demande de communication du dernier rapports d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département de la Corrèze et qu’il soit enjoint sous astreinte à ces services de lui communiquer ce document, sans occulter les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires.
Sur l’étendue du litige :
2. La préfète de la Corrèze a adressé au tribunal en annexe à son mémoire enregistré le 4 janvier 2021, dont M. A a eu communication, le rapport d’inspection du 11 octobre 2020 des établissements utilisant les animaux à des fins scientifiques du département en occultant les mentions relatives à l’identification de l’établissement inspecté et des personnes nommément désignées, y compris l’inspecteur ayant exercé le contrôle. Dans cette mesure, il n’y a pas lieu à statuer sur les conclusions de M. A tendant à l’annulation de la décision de la préfète de la Corrèze en tant qu’elle a implicitement refusé de communiquer l’entièreté du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département de la Corrèze.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
Sur le moyen de légalité externe :
3. M. A soutient que » l’illégalité externe repose ici sur l’incompétence territoriale de la DDPP19 (Corrèze), qui n’est pas compétente pour décider de ne pas fournir les documents demandés « . Il ressort cependant des pièces produites et notamment du message électronique du 7 mai 2020 que M. A a adressé sa demande à la DDPP19. Par suite, la décision implicite contestée doit être regardée comme émanant du préfet de la Corrèze. Le moyen doit par suite être écarté.
Sur le moyen de légalité interne :
4. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) de l’article L. 311-5 et l’article L. 311 6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
5. Il ressort des pièces du dossier que les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent directement à la mission de service public de la DDPP19. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils étaient, par suite, communicables de plein droit au requérant en application de l’article L. 311-1 du même code, sous les réserves énoncées au point 4. En outre, dès lors que les personnes morales qui accueillent des expérimentations sur les animaux ne peuvent être regardées comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible de leur porter préjudice et alors même qu’il existe un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal, l’identité des personnes morales figurant dans les rapports d’inspection ne devait pas être occultée. Si la préfète de la Corrèze soutient encore que la divulgation des méthodes utilisées au sein de l’établissement porterait atteinte au secret des affaires au sens du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dès lors que les rapports d’inspection peuvent concerner des laboratoires de recherche, toutefois, il n’est pas démontré que la communication des informations demandées, lesquelles concernent, outre les éléments d’identification du laboratoire, le niveau de respect des normes imposées en vue de garantir le bien-être animal, aurait pour conséquence la divulgation de techniques industrielles protégées par le secret des affaires.
6. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée, ainsi que les inspecteurs qui en assurent le contrôle. En occultant l’identification de ces personnes sur le fondement de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, la préfète de la Corrèze n’a ainsi pas entaché la décision attaquée d’illégalité.
7. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, d’une part, les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée sont devenues sans objet en tant qu’elles concernent les mentions non occultées du rapport d’inspection établi le 11 octobre 2020 et que, d’autre part, M. A est fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle la préfète de la Corrèze a communiqué un rapport d’inspection occultant des mentions autres que celles permettant d’identifier les personnes physiques citées dans ces rapports.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
8. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public () prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution « . Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : » Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet « .
9. Compte tenu de ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que la préfète de la Corrèze communique à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département, mentionnant les intitulés de la grille d’inspection, les niveaux de non-conformité, sans suppression de passages entiers de commentaires, avec occultation toutefois des mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports, par l’un des moyens mentionnés par les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration. Il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir, pour ce faire, un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er: La décision de la préfète de la Corrèze est annulée en tant qu’elle refuse de communiquer à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale de ce département sans occultation des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans ces établissements et celle des rédacteurs des rapports et des agents ayant exercé les contrôles.
Article 2:Il est enjoint au préfet de la Corrèze de communiquer à M. A, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, l’entièreté du dernier rapport d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département après occultation des mentions relatives à l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements.
Article 3:Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4:Le présent jugement sera notifié à M. C A et au préfet de la Corrèze.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2023.