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TA Montreuil, jugement n°2014516 du 29/06/2022 (Nicolas Marty c. DDPP93)

Les rapports d’inspection sont communicables en occultant la localisation des laboratoires (pour éviter les risques de sécurité) et l’identification des personnes physiques. La crainte de préjudice et l’atteinte au secret des affaires ne sont pas caractérisées.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 21 décembre 2020, le 29 septembre 2021, le 16 décembre 2021 et le 21 avril 2022, M. Nicolas Marty, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle la direction départementale de la protection des populations de la Seine-Saint-Denis a rejeté sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département, quelle que soit la date de production de ce rapport ;

2°) d’enjoindre à la direction départementale de la protection des populations de la Seine-Saint-Denis de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département, quelle que soit la date de production de ce rapport, sans occultation des mentions relatives aux noms des établissements, aux dates des inspections et des rapports, aux intitulés de la grille d’inspection, aux niveaux de non-conformité et aux passages de commentaires.

Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
– les motifs opposés par le préfet de la Seine-Saint-Denis pour rejeter sa demande, tirés de l’existence d’un préjudice porté à des personnes, de risques en matière de sécurité publique et de sécurité des personnes, d’une atteinte au secret industriel et commercial ainsi que de son comportement prétendument dangereux sont infondés ;
– les documents demandés sont communicables, sans autre occultation que celle des noms des personnes physiques travaillant dans les établissements concernés ;
– en ce qui concerne la demande d’injonction, l’occultation d’informations figurant sur les documents dont la communication est sollicitée ne peut être effectuée que dans les conditions limitativement fixées en application des articles L. 311-7, L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

Par des mémoires en défense enregistrés le 20 avril 2022 et le 26 avril 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la limitation de la communication au dernier rapport d’inspection des établissements d’expérimentation animale situés dans le département de la Seine-Saint-Denis, avec occultation des mentions relatives au nom des enquêteurs, au nom des personnes morales et physiques ainsi qu’au descriptif détaillé des non-conformités.

Il soutient que :
– le moyen tiré de l’incompétence est infondé ;
– le refus de communication des documents demandés est légalement justifié, dès lors qu’il est fondé sur le risque de préjudice porté aux personnes, d’une atteinte à la sécurité publique, à la sécurité des personnes, au secret industriel et commercial, ainsi que sur la protection de la vie privée, de sorte que l’importance de la part des occultations ôterait tout sens aux documents demandés.

Par ordonnance du 26 avril 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 13 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. xxx en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx,
– et les conclusions de M. xxx, rapporteur public, les parties n’étant ni présentes, ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. M. Marty a demandé, un courriel en date du 7 mai 2020 adressé à la direction départementale de la protection des populations de Seine-Saint-Denis, la communication du dernier compte rendu ou rapport d’inspection des laboratoires pratiquant l’expérimentation animale que ce service a la charge d’inspecter ainsi que la communication des dates des précédentes inspections de ces laboratoires dans le cas où ces dates ne seraient pas mentionnées dans ces rapports. Cette demande a fait l’objet d’une décision implicite de rejet. M. Marty a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs par une demande enregistrée le 27 juillet 2020, sous le numéro 20202223, en vue d’obtenir la communication de la copie des mêmes documents. Le 29 octobre 2020 la Commission a émis un avis favorable à la communication au requérant des rapports d’inspection sollicités, sous réserve de l’occultation de certaines informations visant, conformément à la loi, à protéger certains secrets et intérêts. Elle s’est en revanche déclarée incompétente pour se prononcer sur la demande de communication des dates des précédentes inspections. La requête de M. Marty, qui sollicite l’annulation de la décision implicite de la direction départementale de la protection des populations de Seine-Saint-Denis rejetant sa demande de communication du dernier rapport d’inspection des laboratoires pratiquant l’expérimentation animale situés dans le département de la Seine-Saint-Denis, doit être regardée comme tendant à l’annulation de la décision résultant du silence gardé par le préfet de la Seine-Saint-Denis pendant plus de deux mois à compter de la saisine de la Commission d’accès aux documents administratifs sur sa demande de communication des mêmes documents, à l’exclusion des dates des précédentes inspections de ces laboratoires.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : (…) / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (…) / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes (…) ». Aux termes de l’article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; (…) / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ». Aux termes de l’article L. 311-7 du même code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. ».

3. En premier lieu, le préfet de la Seine-Saint-Denis soutient que la communication des rapports d’inspection entrainerait une atteinte au secret des affaires en conduisant à dévoiler des informations sur la finalité des projets ainsi que des indices sur les projets en cours. Toutefois, le préfet n’apporte aucun élément probant qui serait susceptible d’établir que les rapports d’inspection en cause porteraient atteinte au secret des affaires, lequel vise à éviter que soit dévoilée la stratégie commerciale d’une entreprise quant aux produits qu’elle envisage de commercialiser.

4. En deuxième lieu, le préfet de la Seine-Saint-Denis soutient que la communication des rapports d’inspection serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes. Il fait valoir que le requérant, qui se présente sur son site internet comme un militant antispéciste, entretient des liens avérés avec des associations ayant mené des opérations d’intrusion dans des sites d’élevages d’animaux ou d’expérimentation animale, qu’il existe en France une forte opposition aux expérimentations sur les animaux et que la divulgation de ces rapports pourrait dans ces conditions faciliter des intrusions dans les établissements d’expérimentation concernés, qui seraient ainsi rendus identifiables et dès lors entraîner un risque pour la sécurité publique et celle des personnes qui y travaillent. Si le requérant allègue sans être sérieusement contredit que diverses informations permettant d’identifier des établissements qui procèdent à des expérimentations animales sont librement accessibles par internet, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces informations concerneraient spécifiquement les sites où sont implantés les laboratoires réalisant ces expérimentations. En outre, les éléments apportés par le préfet sont de nature à établir que ces laboratoires sont exposés aux risques qu’il invoque. Dans ces conditions, alors que le requérant n’allègue d’ailleurs pas que les informations relatives aux lieux d’implantation des laboratoires ne seraient pas susceptibles d’être diffusées au travers de l’ouvrage relatif à l’expérimentation animale qu’il déclare avoir l’intention de rédiger, la communication sollicitée serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes en tant qu’elle conduirait à identifier les sites où sont implantés les laboratoires réalisant ces expérimentations. Il suit de là que les informations relatives à l’identification de l’établissement qui procède à des expérimentations animales peuvent être communiquées, à l’exception de celles portant sur les sites où sont implantés les laboratoires dans lesquels ces expérimentations sont réalisées.

5. En troisième lieu, ainsi que le soutient le préfet de la Seine-Saint-Denis, la communication des rapports d’inspection serait de nature à porter atteinte à la protection de la vie privée des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans les laboratoires réalisant des expérimentations animales ainsi que des agents qui ont établi les rapports sollicités. Il suit de là que les informations permettant l’identification de ces personnes ne sont pas communicables aux tiers.

6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que les dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration s’opposent à la communication à des tiers de certaines informations contenues dans les rapports d’inspection des laboratoires réalisant des expérimentations sur les animaux. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que les mentions relatives aux informations non communicables relevées aux points 4 et 5 ci-dessus constitueraient des éléments indivisibles du rapport dans lequel elles figurent. Il s’ensuit que M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a implicitement rejeté sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements procédant à des expérimentations animales situés dans le département de la Seine-Saint-Denis, en tant qu’elle porte sur des informations légalement communicables.

Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :

7. L’exécution du présent jugement implique que les documents administratifs précités soient communiqués à M. Marty, sous réserve des informations non communicables. Il y a lieu, par suite, d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de communiquer au requérant, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, la copie du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements procédant à des expérimentations animales situés dans le département de la Seine-Saint-Denis en occultant les mentions relatives aux sites où sont implantés les laboratoires réalisant ces expérimentations ainsi que celles permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle dans ces laboratoires et des agents ayant établi ces rapports. Dans les circonstances de l’espèce il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.

D E C I D E :

Article 1er : La décision par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis a implicitement rejeté la demande de communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements réalisant des expérimentations animales situés dans le département de la Seine-Saint-Denis est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de communiquer à M. Marty, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, la copie du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements réalisant des expérimentations animales situés dans le département de la Seine-Saint-Denis, en occultant les mentions relatives aux sites où sont implantés les laboratoires réalisant ces expérimentations ainsi que celles permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle dans ces laboratoires et des agents ayant établi ces rapports.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 juin 2022.