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TA Paris, jugement n°2212174 du 29/02/2024 (Nicolas Marty c. ministère des Armées)

Les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale de l’armée française sont communicables en y occultant l’identité des personnes physiques et la localisation des établissements (au titre de la vie privée et des craintes de sécurité). Contrairement aux prétentions du ministère, les documents concernés ne contiennent pas d’éléments spécifiquement militaires justifiant le refus de communication.

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance du 30 mai 2022, le président du tribunal administratif de Versailles a renvoyé au tribunal administratif de Paris la requête présentée par M. B A.

Par cette requête et des mémoires enregistrés les 25 août 2021, le 19 janvier 2022, le 1er septembre 2022 et 5 juillet 2023, M. B A demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le ministre des armées a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animal relevant de son ministère ;

2°) d’enjoindre au ministre des armées de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale relevant de son ministère dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de conformité, ni des passages entiers de commentaires, quelle que soit la date de productions de ces rapports.

Il soutient que la décision de refus est insuffisamment motivée et que les documents demandés sont administratifs et par suite communicables.

Par un mémoire en défense enregistré le 4 juillet 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête en soutenant que le refus de communiquer lesdits documents est justifié par le risque d’atteinte à la sécurité publique, à la sécurité des personnes et au droit à la protection de la vie privée.

Par une ordonnance du 5 juillet 2023, la clôture d’instruction a été fixée au

25 juillet 2023.

Vu :

– les autres pièces du dossier.

Vu :

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Rebellato, rapporteur,

– les conclusions de Mme Nikolic, rapporteure publique,

– et les observations M. A.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courriel du 7 mai 2021, M. B A a demandé à l’institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale relevant du ministère des armées. Sans réponse à ce courriel, M. A a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a rendu le 8 juillet 2021 un avis favorable, sous réserve que la communication ne porte pas atteinte aux secrets protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Par la présente requête, M. A demande l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des armées a refusé de lui communiquer les rapports d’inspection sollicités.

2. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs.  » Aux termes de l’article L. 300-2 de ce code :  » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions.  » Aux termes de l’article L. 311-1 du même code :  » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre.  »

3. Aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration :  » Ne sont pas communicables : / () / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / () / d) () à la sécurité publique, à la sécurité des personnes (); Selon l’article L. 311-6 de ce code :  » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée,. Aux termes de l’article L. 311-7 de ce même code :  » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions.  »

4. Pour refuser de communiquer les rapports élaborés par les inspections du ministère des armées, le ministre fait valoir que ces rapports mentionnent les sujets des missions et les lieux des recherches portant notamment sur l’expérimentation de nouveaux équipements de protection des combattants, tout comme sur les techniques et gestes chirurgicaux spécifiques à la pratique militaire ainsi que sur l’utilisation et la manipulation de produits classés comme stupéfiants. Le ministre soutient ainsi que le refus de communiquer lesdits documents est justifié par le risque d’atteinte à la sécurité publique, à la sécurité des personnes et au droit à la protection de la vie privée.

5. Par une mesure d’instruction, le tribunal administratif de Paris a ordonné à l’administration de lui transmettre les documents litigieux afin de se prononcer sur son caractère communicable. Si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige.

6. Il résulte de l’examen des documents demandés que ceux-ci peuvent être communiqués à M. A, sous réserve de l’occultation préalable des noms et prénoms cités ainsi que de l’adresse des sites faisant l’objet des inspections, en raison du droit à la protection de la vie privée, à la sécurité des personnes et du risque d’atteinte à la sécurité publique. En revanche et contrairement à ce que soutient le ministre des armées, il ne ressort pas des documents transmis qu’ils porteraient sur des sujets de missions militaires, sur l’expérimentation de nouveaux équipements de protection des combattants, ou sur des techniques et gestes chirurgicaux spécifiques à la pratique militaire. Par suite, M. A est fondé à soutenir que c’est à tort que le ministre des armées lui a refusé communication desdits rapports.

7. Le présent jugement, eu égard à ses motifs, implique nécessairement qu’il soit enjoint au ministre des armées de communiquer à M. A les documents mentionnés au point 1 dans les conditions définis au point précédent. Il y a lieu, dès lors, d’enjoindre au ministre des armées de procéder à cette communication dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu, en revanche, d’assortir le prononcé de cette injonction de l’astreinte prévue à l’article L. 911-3 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La décision implicite attaquée du ministre des armées est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de procéder à la communication, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale relevant du ministère des armées dans les conditions définies au point 6 du présent jugement.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au ministre des armées.

Délibéré après l’audience du 8 février 2024, à laquelle siégeaient :

M. Gros, président,

M. Feghouli, premier conseiller,

M. Rebellato, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 29 février 2024.