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TA Paris, jugements n°2220291-2221455 du 03/05/2024 (One Voice c. Inserm)

Les vidéos de tests comportementaux standardisés réalisés sur des rongeurs sont communicables, leur caractère standardisé ne leur permettant pas d’être protégés par le code de la propriété intellectuelle et le droit d’auteur. Les craintes de sécurité ne sont pas caractérisées. Les vidéos visées par la requête 2221455 ayant été détruites lors d’un déménagement du laboratoire, cette requête est rejetée.

Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 2220291, par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 septembre 2022 et le 3 avril 2023, l’association One Voice, représentée par l’AARPI Géo Avocats, agissant par Me Coline Robert, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision implicite de rejet née, en application de l’article R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, du silence gardé par l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) plus de deux mois à compter de la saisine, le 22 juin 2022, de la commission d’accès aux documents administratifs sur la demande de communication de documents administratifs qu’elle lui avait adressée le 29 avril 2022 ;

2°) d’enjoindre à l’INSERM de lui communiquer ces documents, de préférence par courrier électronique ;

3°) de mettre à la charge de l’INSERM la somme de 2 400 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

– sa requête est recevable ;

– la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la caractérisation des documents demandés comme des œuvres de l’esprit ;

– elle est entachée d’une erreur de droit résultant de l’inapplicabilité de l’alinéa 4 de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle aux agents des établissements publics à caractère scientifique et technologique ;

– elle est entachée d’une erreur d’appréciation résultant de l’absence de risque d’atteinte à la sécurité des personnes lié à la communication des documents demandés.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 mars 2023, l’INSERM conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l’association One Voice ne sont pas fondés.

II. Sous le n° 2221455, par une requête et un mémoire, enregistrés le 14 octobre 2022 et le 3 avril 2023, l’association One Voice, représentée par l’AARPI Géo Avocats, agissant par Me Coline Robert, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision implicite de rejet née, en application de l’article R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, du silence gardé par l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) plus de deux mois à compter de la saisine, le 22 juin 2022, de la commission d’accès aux documents administratifs sur la demande de communication de documents administratifs qu’elle lui avait adressée le 29 avril 2022 ;

2°) d’enjoindre à l’INSERM de lui communiquer ces documents, de préférence par courrier électronique ;

3°) de mettre à la charge de l’INSERM la somme de 2 400 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

– sa requête est recevable ;

– la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation quant à la caractérisation des documents demandés comme des œuvres de l’esprit ;

– elle est entachée d’une erreur de droit résultant de l’inapplicabilité de l’alinéa 4 de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle aux agents des établissements publics à caractère scientifique et technologique ;

– l’inexistence de documents est à distinguer de la destruction volontaire de documents ayant existé ; il n’est pas justifié de la destruction des documents demandés.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 mars et 17 avril 2023, l’INSERM conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les documents demandés ayant été détruits, ils n’existent plus et que la requête, dépourvue d’objet, est irrecevable.

Vu les pièces des dossiers.

Vu :

– le code de la propriété intellectuelle ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Julinet, premier conseiller ;

– et les conclusions de M. Degand, rapporteur public.

Une note en délibéré, présentée par l’INSERM sous le n° 2220291, a été enregistrée le 15 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par deux courriers du 29 avril 2022, l’association One Voice a demandé, d’une part, au Neurocentre Magendie, unité mixte de recherche de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de l’université de Bordeaux et, d’autre part, à l’institut de psychiatrie et neurosciences de Paris (IPNP), unité mixte de recherche de l’INSERM et de l’université Paris Cité, la communication, par voie électronique, de l’enregistrement audiovisuel de sessions de tests comportementaux réalisés dans le cadre de recherches portant respectivement sur les effets secondaires d’un médicament par l’observation de l’augmentation des troubles anxieux du comportement chez des souris et sur l’efficacité antidépressive d’un agoniste des récepteurs dopaminergiques de type D1 de rats ayant donné lieu à la publication d’articles scientifiques en mars 2021 et en octobre 2020. En l’absence de réponse à ses demandes, One Voice a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) de demandes d’avis enregistrées le 22 juin 2022. Le 8 septembre 2022, la CADA a émis un avis défavorable à la communication des vidéos réalisées au Neurocentre Magendie en raison du refus des agents concernés et un avis favorable, en l’absence de réponse de l’administration, à la communication des vidéos réalisées à l’IPNP, sous réserve, s’ils sont grevés de droits d’auteur et s’ils n’ont pas fait au préalable l’objet d’une divulgation, de l’autorisation de leurs auteurs. Par les requêtes susvisées, One Voice demande au tribunal d’annuler les décisions implicites de rejet nées, en application de l’article R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, du silence gardé par l’INSERM plus de deux mois à compter de la saisine, le 22 juin 2022, de la CADA sur les demandes de communication de documents administratifs qu’elle lui avait adressées le 29 avril 2022.

2. Les requêtes n° 2220291 et n° 2221455, présentées par One Voice, présentent à juger des questions semblables. Dès lors, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul jugement.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

3. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : «  » Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs «  ». Aux termes de l’article L. 300-2 du même code : «  » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. () «  ». Selon l’article L. 311-1 du code précité : «  » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre «  ».

4. En premier lieu, aux termes de l’article L. 311-4 du code des relations entre le public et l’administration : «  » Les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique «  ». Aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : «  » L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. / () / L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’œuvre de l’esprit est un agent de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif (). / Les dispositions des articles L. 121-7-1 et L. 131-3-1 à L. 131-3-3 ne s’appliquent pas aux agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique «  ». Aux termes de l’article L. 112-1 du même code : «  » Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. «  ». Aux termes de l’article L. 112-2 dudit code : «  » Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : / () / 6° Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles ; / () «  ». Aux termes de l’article L. 113-7 de ce code : «  » Ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre. / Sont présumés, sauf preuve contraire, coauteurs d’une œuvre audiovisuelle réalisée en collaboration : / 1° L’auteur du scénario ; / 2° L’auteur de l’adaptation ; / 3° L’auteur du texte parlé ; / 4° L’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre ; / 5° Le réalisateur. / () «  ». Aux termes de l’article L. 121-7-1 de ce code : «  » Le droit de divulgation reconnu à l’agent mentionné au troisième alinéa de l’article L. 111-1, qui a créé une œuvre de l’esprit dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues, s’exerce dans le respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d’agent et de celles qui régissent l’organisation, le fonctionnement et l’activité de la personne publique qui l’emploie. / () «  ».

5. Ces dispositions impliquent, avant de procéder à la communication de documents administratifs qui constituent des œuvres de l’esprit n’ayant pas déjà fait l’objet d’une divulgation, au sens de l’article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle, créées par des enseignants, des enseignants-chercheurs ou des chercheurs, dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique, de recueillir l’accord de leur auteur.

6. Il ressort des pièces du dossier que les enregistrements audiovisuels dont One Voice demande la communication, dont il est constant qu’ils constituent des documents administratifs en principe communicables, ont été réalisés par le biais d’une caméra fixe connectée à un système de suivi informatisé pour enregistrer les données résultant de l’application sur des souris et des rats de laboratoire de tests usuels et standardisés en vue de leur recueil et de leur traitement automatisé afin d’élaborer des rapports sur la base de réglages prédéfinis. Dès lors, ces enregistrements ne sauraient être regardés comme une création originale reflétant la personnalité de leur auteur et, partant, être qualifiés d’œuvre de l’esprit. Par suite, leur communication n’est pas soumise à leur accord.

7. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : «  » Ne sont pas communicables : () / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / () / d) () à la sécurité des personnes () / () «  ».

8. La seule circonstance que la publication en 2010 par One Voice sur son site internet d’un vidéogramme d’un lapin enfermé dans un clapier a suscité un commentaire agressif contre le laboratoire concerné ne permet pas de regarder le risque d’atteinte à la sécurité des auteurs des études en cause dans les présentes requêtes comme établi et, dès lors, à justifier leur caractère non communicable.

9. En dernier lieu, l’INSERM soutient que les enregistrements vidéo des tests réalisés dans le cadre de l’étude menée par l’IPNP, dont la communication est demandée dans la requête n° 2221455, ont été détruits et produit une attestation de Mme B A, directrice de recherche émérite et auteure de l’article auquel cette étude a donné lieu certifiant que ces enregistrements, réalisés en 2012 par une étudiante de master 1 au cours d’un stage effectué à l’institut alors situé rue d’Alésia dans le 14ème arrondissement de Paris, n’ont pu, en raison de la lourdeur des fichiers informatiques sur lesquels ils étaient stockés, être conservés lors de son déménagement rue de la Santé, contrairement aux fichiers contenant les résultats de leur analyse, qui ont pu être transférés sur des ordinateurs plus récents. Dès lors, l’inexistence des documents demandés doit être regardée comme établie. Par suite, en en refusant la communication, l’INSERM n’a pas méconnu les dispositions précitées du code des relations entre le public et l’administration.

10. Il résulte de tout ce qui précède que One Voice est fondée à demander, sous le n° 2220291, l’annulation de la décision implicite par laquelle l’INSERM a refusé de lui communiquer les enregistrements audiovisuels réalisés par le Neurocentre Magendie et qu’en revanche, sous le n° 2221455, les conclusions à fin d’annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

11. En raison du motif qui la fonde, l’annulation, sous le n° 2220291, de la décision implicite par laquelle l’INSERM a refusé de communiquer à One Voice les enregistrements audiovisuels des tests réalisés par le Neurocentre Magendie implique nécessairement que ces enregistrements lui soient communiqués par voie électronique. Il y a lieu, sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’INSERM de communiquer ces documents à One Voice par voie électronique dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

12. Les conclusions à fin d’injonction de la requête enregistrée sous le n° 2221455 doivent en revanche être rejetées par voie de conséquence du rejet des conclusions de cette requête à fin d’annulation.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’INSERM, sous le n° 2220291, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par One Voice et non compris dans les dépens.

14. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’INSERM, qui n’est pas, dans l’instance n° 2221455, la partie perdante, la somme que One Voice demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite par laquelle l’INSERM a refusé de communiquer à One Voice les enregistrements audiovisuels des tests réalisés par le Neurocentre Magendie est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à l’INSERM de communiquer à One Voice les enregistrements audiovisuels des tests réalisés par le Neurocentre Magendie dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L’INSERM versera à One Voice une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête n° 2220291 et la requête n° 2221455 sont rejetés.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association One Voice et à l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).

Délibéré après l’audience du 12 avril 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Aubert, présidente,

M. Julinet, premier conseiller,

Mme Massiou, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2024.