
Le dossier de demande d’autorisation d’un projet d’expérimentation animale est communicable en y occultant les mentions « relevant du secret de la vie privée et du secret des affaires ». Le ministère doit verser 1500€ à One Voice.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 13 octobre 2022, le 25 juin 2024, l’association One Voice, représentée par Me Rigal-Casta demande du tribunal :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a refusé de lui communiquer le dossier de demande d’autorisation transmis par le comité d’éthique relatif au projet de Modulation de la tVTA dans le trouble de l’humeur ;
2°) d’enjoindre à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de lui communiquer ce document ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2400 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
– le dossier de demande d’autorisation transmis par le comité d’éthique relatif au projet de Modulation de la tVTA dans le trouble de l’humeur ne relève pas des dispositions de L.111-1 du code de la propriété intellectuelle ;
– le document est intégralement communicables à toute personne, sans que puisse être opposé le secret des affaires mentionné à l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ;
– la ministre n’établit pas que l’occultation des informations couvertes par le secret des procédés conduirait à vider de leur intérêt les documents demandés ;
– en l’absence de mention de l’identité de l’organisme souhaitant réaliser la recherche, il n’est pas possible d’apprécier si l’agent rédacteur du dossier sollicité serait soumis au contrôle préalable de sa hiérarchie ou non ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2024, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Un mémoire, présenté pour la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a été enregistré le 15 octobre 2024, postérieurement à la clôture instruction.
L’affaire a été renvoyée en formation collégiale en application de l’article R. 222-19 du code de justice administrative.
Vu :
– l’avis n° 20224479 du 08 septembre 2022 de la commission d’accès aux documents administratifs ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de Mme Rivet,
– les conclusions de M. Gandolfi, rapporteur public,
– les observations de Me RIGAL-CASTA, représentant l’association ONE VOICE.
Considérant ce qui suit :
1. Le 13 juin 2022, One Voice, association agréée dont le but est notamment d’œuvrer pour la protection des animaux, quelle que soit leur espèce et leur statut juridique, et contre toutes les formes d’exploitation de l’animal, a sollicité auprès du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, la communication du dossier de demande d’autorisation relatif au projet de » Modulation de tVTA dans les troubles de l’humeur » transmis par le comité d’éthique concerné par ce projet. A la suite du refus implicite opposé à sa demande, l’association requérante a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), laquelle s’est prononcée par un avis favorable avec réserves, le 8 septembre 2022. Par la présente requête, l’association demande l’annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande et qu’il soit enjoint à la ministre de lui communiquer le document demandé.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. D’une part, aux termes de l’article R. 214-122 du code rural et de la pêche maritime : » Sans préjudice de l’application des dispositions de l’article R. 214-127, la réalisation d’un projet comportant l’exécution d’une ou de plusieurs procédures expérimentales est soumise à l’obtention d’une autorisation accordée par le ministre chargé de la recherche dans les conditions prévues à l’article R. 214-123. / La demande est introduite par le responsable du projet. Elle précise la classe de sévérité ( » sans réveil « , » légère « , » modérée » ou » sévère « ) des procédures expérimentales utilisées pour la réalisation du projet. / Les modalités de dépôt de la demande et la composition du dossier de cette demande ainsi que les critères de classification des procédures sont précisés par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense. » Aux termes de l’article 5 de l’arrêté du 1er février 2013 relatif à l’évaluation éthique et à l’autorisation des projets impliquant l’utilisation d’animaux dans des procédures expérimentales : » En application de l’article R. 214-122 du code rural et de la pêche maritime, tout responsable de projet adresse au ministre chargé de la recherche une demande d’autorisation de projet accompagnée d’un dossier comprenant les éléments suivants : / -la proposition de projet tel que défini au 2° de l’article R. 214-89 du code rural et de la pêche maritime ; / -un résumé non technique du projet, anonyme et ne contenant ni le nom ni l’adresse de l’utilisateur ou des membres de son personnel, qui, sous réserve de garantir le respect de la propriété intellectuelle et de la confidentialité des informations, fournit des informations sur les objectifs du projet, y compris les avantages et les dommages attendus, ainsi que sur le nombre et les types d’animaux utilisés. Il fournit également une démonstration de la conformité avec les exigences de Remplacement, de Réduction et de Raffinement ;() » .
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. () » Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Aux termes de l’article L. 311-2 de ce code : » Le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. / Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration. () » Aux termes de l’article L. 311-6 dudit code : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; () « . Enfin, aux termes de l’article L. 311-7 du code précité : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. »
4. Enfin, aux termes de l’article L. 151-1 du code de commerce : » Est protégée au titre du secret des affaires toute information répondant aux critères suivants : / 1° Elle n’est pas, en elle-même ou dans la configuration et l’assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ; / 2° Elle revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ; / 3° Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret. « . Il en résulte qu’une information est communicable en application du code des relations entre le public et l’administration si elle ne remplit pas au moins une des trois conditions cumulatives fixées à l’article L. 151-1 du code de commerce.
5. Il résulte de ces dispositions que tout projet impliquant l’utilisation d’un animal dans le cadre d’une procédure expérimentale telle que définie par l’article R. 214-89 du code rural et de la pêche maritime fait l’objet, en vertu de l’article R. 214-117 de ce code, d’une évaluation éthique par un comité d’éthique en expérimentation animale, avant d’être soumis, dans les conditions définies par l’article R. 214-122 et hors le cas prévu par l’article R. 214- 127 du même code, à l’obtention d’une autorisation par le ministre chargé de la recherche. Le dossier de demande d’autorisation constitue un document administratif communicable dans les conditions prévues par le code des relations entre le public et l’administration.
6. De par leur nature et leur contenu, ces dossiers de demande d’autorisation sont susceptibles de contenir des mentions relatives à la vie privée ou au secret des affaires, qui peuvent, cependant, faire l’objet d’une occultation ou d’une disjonction, en application des dispositions de l’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche fait valoir que l’ampleur des occultations conduirait à vider de leur intérêt les documents demandés, sans toutefois le justifier. Dans ces conditions, en refusant de communiquer les documents sollicités à l’association One Voice, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a méconnu les dispositions précitées du code des relations entre le public et l’administration.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la décision implicite par laquelle la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a rejeté la demande de communication de l’association One Voice suite à l’avis de la CADA, doit être annulée.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
8. Eu égard à ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que la ministre communique le document administratif demandé, sous les réserves indiquées aux point 6 du présent jugement, en l’espèce l’occultation ou de la disjonction des mentions relevant du secret de la vie privée et du secret des affaires. Par suite, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu de lui enjoindre de les lui communiquer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à l’association One Voice sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a refusé de communiquer le dossier de demande d’autorisation transmis par le comité d’éthique relatif au projet de Modulation de la tVTA dans le trouble de l’humeur est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, de communiquer à l’association One Voice le document sollicité, sous réserve de l’occultation ou de la disjonction des mentions relevant du secret de la vie privée et du secret des affaires, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L’Etat versera la somme de 1 500 euros à l’association One Voice en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’association One Voice et au ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l’audience du 23 octobre 2024