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TA Rouen, jugement n°2005203 du 08/12/2021 (Nicolas Marty c. DDPP76)

Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que le nom des personnes physiques qui y travaillent. Les craintes de préjudice et de sécurité ne sont pas caractérisées.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 décembre 2020 et le 29 septembre 2021, M. Nicolas Marty demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision implicite par laquelle la direction départementale des populations de la Seine Maritime a refusé de fournir le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département ;

2°) d’enjoindre à la direction départementale des populations de la Seine Maritime de communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100€ par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département sans aucune occultation.

M. Marty soutient que :
– la décision est entachée d’incompétence ;
– en refusant de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, la direction départementale des populations de la Seine Maritime a méconnu les dispositions des article L.300-1 et suivant du code des relations entre le public et l’administration, relatif à la communication des documents administratifs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 mars 2021, le préfet de la Seine Maritime conclut au rejet de la requête.

Le préfet soutient que les moyens invoqués par M. Marty ne sont pas fondés.

 

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme xxx, pour statuer sur les litiges relevant de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx,
– les conclusions de M. xxx, – et les observations de M. Marty.

Considérant ce qui suit :

1. Le 7 mai 2020, M. Marty a envoyé un message électronique à la direction départementale de la protection des populations de la Seine-Maritime (DDPP76) pour demander la communication des copies numériques du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département de la Seine-Maritime. Le préfet de la Seine-Maritime a implicitement rejeté cette demande. L’intéressé a alors exercé, par une saisine enregistrée le 27 juillet 2020, le recours administratif préalable obligatoire devant la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) laquelle a rendu, le 29 octobre 2020, un avis sous le n° 20202248.

2. M. Marty demande l’annulation de la décision implicite par laquelle la direction départementale des populations de la Seine-Maritime a refusé de fournir le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

En ce qui concerne le moyen de légalité externe :

3. M. Marty soutient que « l’illégalité externe repose ici sur l’incompétence territoriale de la DDPP76, qui n’est pas compétente pour décider de ne pas fournir les documents demandés ». Il ressort cependant des pièces produites que M. Marty a adressé sa demande à la DDPP76 qui a réalisé les rapports d’inspection et dont il n’est pas contesté qu’elle les détient. L’auteur de la décision implicite de refus est par suite le préfet de la Seine-Maritime au demeurant régulièrement appelé à défendre dans laprésente instance. Lemoyen doitêtre écarté.

En ce qui concerne le moyen de légalité interne :

4. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions, doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

5. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent directement à la mission de service public de la DDPP27. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils étaient, par suite, communicables de plein droit au requérant en application de l’article L. 311-1 du même code, sous les réserves énoncées au point 4. Contrairement à ce que soutient le préfet de la Seine-Maritime, même s’il existe un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal, les personnes morales qui accueillent des expérimentations sur les animaux et les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans de tels établissements ne peuvent pas être regardés comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier et n’est d’ailleurs pas allégué que l’identité des personnes morales et physiques figurant dans les deux rapports d’inspection devrait en l’espèce être occultée en application des dispositions des d), f) et g) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration.

6.Toutefois, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée. Le préfet de la Seine-Maritime fait donc valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occulté sur le fondement de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

7. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que M. Marty est fondé à demander l’annulation de cette décision en tant qu’elle a refusé de communiquer le dernier rapport d’inspection au jour de sa demande de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département de la Seine-Maritime.

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

8. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».

9. L’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet de la Seine-Maritime communique à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale dans le département de la Seine-Maritime au jour de sa demande. Toutefois, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle au sein de ces établissements ont droit à la protection de leur vie privée. Dès lors, il y a lieu d’ordonner au préfet de procéder à ces diligences dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement en occultant l’identification de ces personnes sur le fondement de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

DECIDE :

Article 1er : La décision implicite du préfet de la Seine-Maritime est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de transmettre à M. Marty le dernier rapport d’inspection au jour de sa demande de chaque établissement d’expérimentation animale dans le département de la Seine-Maritime en occultant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle au sein de ces établissements.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au préfet de la Seine-Maritime.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2021.