Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que l’identité des personnes physiques, sans occulter le nom des établissements, leur localisation et les non-conformités. Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées, et les documents existants ne portent pas atteinte à la recherche d’infractions.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 décembre 2020, 26 mai 2021, 21 juin 2021, 29 septembre 2021 et 5 novembre 2021, M. Nicolas Marty demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision du 7 décembre 2020 par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne a décidé de lui communiquer une partie des documents administratifs demandés et d’occulter certaines mentions des documents transmis ;
2°) d’enjoindre au directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne de communiquer l’intégralité des documents en cause sans occultation, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Il soutient que :
– la direction départementale de la protection des populations de l’Essonne n’a pas motivé le recours à une telle occultation des documents en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-3 du code des relations entre le public et l’administration ;
– les documents en cause sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de l’occultation éventuelle des mentions relevant des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ;
– si l’occultation des noms de personnes est justifiée, celle de longs passages de commentaires ou de dates ne peut se justifier au regard des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ; aucun préjudice porté aux personnes morales et aux personnes physiques ne peut être caractérisé ; il en va de même de l’atteinte à la sécurité publique ou à celle des personnes, au secret des affaires, des projets scientifiques et des procédés, ainsi que pour la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ; l’occultation effectuée et le refus de communiquer les documents en cause sans cette occultation portent atteinte à son droit d’accès aux documents administratifs ;
– la transmission en date du 7 décembre 2020 ne concernait que les rapports d’inspection de l’année 2020, alors qu’il avait demandé la communication des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département de l’Essonne, qui peuvent ainsi être antérieurs à l’année 2020 ;
– sa demande de communication de documents administratifs ne présente pas un caractère abusif ; elle est motivée par le fait qu’il effectue des recherches sur la situation actuelle de l’expérimentation animale, de ses pratiques, de sa législation et de son application en France, dans la perspective d’écrire un livre sur le sujet ; il a, en outre, fourni son numéro de téléphone, notamment, à la direction départementale de la protection des populations de l’Essonne pour être contacté en cas de doute ou pour plus de précisions, ce que celle-ci n’a pas fait ; par ailleurs, il ne dissimule pas sa véritable adresse, sa véritable profession ni ses véritables motivations.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 mai 2021, 10 mai 2021, 16 juin 2021, 29 juin 2021 et 20 octobre 2021, le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
– la demande de M. Marty ne concerne pas l’application des articles L. 211-2 et L.211-3 du code des relations entre le public et l’administration, mais celle des articles L. 311-1 à L. 311-7 du même code ;
– le refus de communication est fondé dès lors que la demande est abusive en application des dispositions de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration, dès lors que le requérant a effectué la même demande auprès de presque toutes les directions départementales de la protection des populations de France, ce qui traduit un caractère répétitif et systématique ; en outre, les motifs pour lesquels M. Marty demande la communication des documents en cause demeurent imprécis et surprenants, d’autant plus de la part d’une personne sans emploi et qui n’a pas de domicile personnel ;
– ce refus se justifie au regard des dispositions du d) et du g) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, dès lors que la communication des documents en cause risquerait de porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, laissant craindre des représailles ciblées, notamment de la part de M. Marty ;
– ce refus se justifie par le souci de protéger les préjudices pouvant résulter de cette communication pour les personnes morales concernées et les personnes physiques travaillant pour elles, en application des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
Par ordonnance du 21 octobre 2021, la clôture d’instruction a été reportée au 5 novembre 2021.
Un mémoire présenté par M. Marty a été enregistré le 12 janvier 2022.
Vu :
– l’avis n°20202224 du 29 octobre 2020 de la commission d’accès aux documents administratifs ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.
La présidente du tribunal administratif de Versailles a désigné Mme xxx pour statuer sur les litiges mentionnés à l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de Mme xxx, magistrate désignée,
– les conclusions de M. xxx, rapporteur public,
– et les observations de M. xxx, représentant le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courriel du 7 mai 2020, M. Nicolas Marty a demandé à la direction départementale de la protection des populations de l’Essonne de lui communiquer des copies numériques du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département ainsi que les dates des inspections précédentes. En l’absence de réponse, il a saisi, le 27 juillet 2020, la commission d’accès aux documents administratifs, qui a rendu, le 29 octobre 2020, un avis favorable, sous certaines réserves, à sa demande de communication de copies numériques du dernier rapport d’inspection des laboratoires du département de l’Essonne, et a considéré que sa demande de communication des dates des inspections précédentes était irrecevable en ce qu’elle constitue une demande d’information. Par un courriel du 7 décembre 2020, la direction départementale de la protection des populations lui a transmis des rapports des inspections effectuées en Essonne en 2020 dans les établissement pratiquant de l’expérimentation animale, en ayant occulté certaines mentions, telles que le nom et la signature des inspecteurs, le nom, l’adresse et le numéro d’identification de l’établissement concerné, l’identifiant de l’unité d’activité et le site d’intervention, ainsi que les commentaires relatifs à chaque item inspecté. M. Marty demande l’annulation de la décision du 7 décembre 2020 en tant que la direction départementale de la protection des populations de l’Essonne a refusé de lui communiquer l’ensemble des rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département et a occulté des mentions des documents transmis.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 300-2 de ce code : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. (…) ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : / (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations; / (…) g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ; (…) ». Aux termes de l’article L. 311-6 de ce même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires (…) / ; 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ». Aux termes de l’article L. 311-7 du même code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».
3. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent à la mission de service public exercée par les services vétérinaires de la direction départementale de la protection des populations de l’Essonne. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont, par suite, communicables à M. Marty en application de l’article L.311-1 du même code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 citées au point 2. Le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne ne contestant pas ne pas avoir transmis l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département, qui pouvant ainsi être antérieurs à l’année 2020, et ne faisant valoir aucunement valoir que de tels documents seraient inexistants, son refus de les communiquer est entaché d’illégalité.
4. En deuxième lieu, aux termes du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ». Revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.
5. Pour justifier du caractère abusif de la demande de communication présentée par M. Marty, le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne fait valoir que le requérant a effectué la même demande auprès de presque toutes les directions départementales de la protection des populations de France, ce qui traduit un caractère répétitif et systématique. Toutefois, cette seule circonstance ne permet pas d’établir que la demande en cause aurait pour objet de perturber le bon fonctionnement de la direction départementale de la protection des populations de l’Essonne, ni pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, une seule demande ayant par ailleurs été adressée à cette même administration. Dans ces conditions, la demande de communication présentée par M. Marty ne revêt pas un caractère abusif au sens des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration.
6. En troisième lieu, eu égard aux principes régissant l’accès aux documents administratifs, qui n’est pas subordonné à un intérêt établi, les motifs pour lesquels une personne demande la communication d’un document administratif sur le fondement des dispositions de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration sont sans incidence sur la communicabilité d’un tel document. Par suite, le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne ne peut utilement faire valoir que les motifs pour lesquels M. Marty demande la communication des documents en cause demeurent imprécis pour justifier de la légalité de la décision attaquée.
7. En dernier lieu, pour justifier l’occultation des mentions des rapports transmis à M. Marty le 7 décembre 2020, le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne soutient que l’expérimentation animale est un sujet particulièrement sensible et qu’il existe un risque important de pressions, de menaces ou d’actions violentes contre les établissements dans lesquels ont lieu ces expérimentations, contre les personnes qui les pratiquent, et contre les fonctionnaires qui vérifient que ces établissements et ces personnes respectent bien la règlementation. Il soutient, en outre, que les inspections effectuées par les enquêteurs de la direction départementale de protection des populations de l’Essonne ont pour but de rechercher des infractions qui sont transmises par procès-verbal au procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes. Il soutient également que, dans un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal, notamment dans le cadre de la conduite d’expérimentations, le fait pour une personne physique de travailler dans un établissement conduisant de telles expérimentations et pour un établissement d’accueillir de telles activités est interprété négativement par une grande partie de la population, ce qui peut porter préjudice à la réputation et à l’honneur des personnes et des établissements concernés.
8. Toutefois, ces seules affirmations ne suffisent pas à regarder la communication des rapports d’inspection des établissements menant des expérimentations sur des animaux comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, au sens des dispositions du d) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, dès lors que la seule communication de ces documents n’est pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés.
9. En outre, la seule circonstance que les inspections effectuées par les enquêteurs de la direction départementale de protection des populations de l’Essonne aient pour but de rechercher des infractions qui sont transmises par procès-verbal au procureur de la République près le tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes, ce qui n’est d’ailleurs pas établi, n’implique pas, par elle-même, que la communication des rapports en cause porterait atteinte à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature, au sens des dispositions du g) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration.
10. Par ailleurs, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens des dispositions du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En outre, il n’est pas établi, ni même allégué, que les rapports en cause contiendraient des mentions portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable au sens des dispositions du 2° de l’article L. 311-6 du même code. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que la divulgation des mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux dates des rapports, aux éventuelles non-conformités relevées par les inspecteurs ou aux commentaires relatifs à chaque item inspecté, serait de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes morales concernées ou au secret des affaires, en méconnaissance des dispositions du 1° de l’article L. 311-6 du même code.
11. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux, ainsi que les inspecteurs de la direction départementale de la protection des populations, ont droit à la protection de leur vie privée. C’est ainsi à bon droit que l’administration a occulté les mentions permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports en cause, sans avoir eu l’obligation de motiver le recours à une telle occultation qui ne peut être regardée comme une décision défavorable au sens des dispositions de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. Marty est seulement fondé à demander l’annulation de la décision du 7 décembre 2020 du directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne, en tant qu’il a refusé de lui communiquer l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département et a occulté dans les documents transmis des mentions autres que celles permettant d’identifier les personnes physiques citées dans ces rapports.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
13. Aux termes de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration : « L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration : / 1° Par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas ; / 2° Sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret ; / 3° Par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique ; / 4° Par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu’à l’intéressé en application de l’article L. 311-6. ».
14. Compte tenu de ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que le directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne communique à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports, par l’un des moyens mentionnés par les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration. Il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir, pour ce faire, un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E:
Article 1er : La décision du 7 décembre 2020 du directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne est annulée en tant qu’il a refusé de communiquer à M. Marty l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département et a occulté des mentions autres que celles permettant d’identifier les personnes physiques citées dans ces rapports.
Article 2 : Il est enjoint au directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne de communiquer à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département de l’Essonne, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au directeur départemental de la protection des populations de l’Essonne.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2022.