Les rapports d’inspection sont communicables en y occultant l’identification des personnes physiques. Les craintes de sécurité ne sont pas caractérisées.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 décembre 2020, 28 avril 2021 et 29 septembre 2021, M. Nicolas Marty demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le directeur départemental de la protection des populations des Yvelines a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale du département ;
2°) d’enjoindre au directeur départemental de la protection des populations des Yvelines de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale du département, sans occultation des noms des établissements, des dates d’inspection et de rapport, des intitulés de la grille d’inspection, des niveaux de non-conformité, des passages entiers de commentaires, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Il soutient que :
– la direction départementale de la protection des populations des Yvelines n’est territorialement pas compétente pour décider de ne pas communiquer les documents demandés ;
– la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation ;
– elle est illégale dès lors que les documents en cause sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de l’occultation éventuelle des mentions relevant des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ;
– aucun préjudice porté aux personnes morales et aux personnes physiques ne peut être caractérisé ; il en va de même de l’atteinte à la sécurité publique ou à celle des personnes, au secret des affaires, des projets scientifiques et des procédés, ainsi que pour la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ; l’occultation effectuée et le refus de communiquer les documents en cause sans cette occultation portent atteinte à son droit d’accès aux documents administratifs ;
– sa demande de communication de documents administratifs ne présente pas un caractère abusif ; elle est motivée par le fait qu’il effectue des recherches sur la situation actuelle de l’expérimentation animale, de ses pratiques, de sa législation et de son application en France, dans la perspective d’écrire un livre sur le sujet ; il a, en outre, fourni son numéro de téléphone, notamment, à la direction départementale de la protection des populations des Yvelines pour être contacté en cas de doute ou pour plus de précisions, ce que celle-ci n’a pas fait ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2021, le préfet des Yvelines conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
– la demande du requérant a été présentée à la direction départementale de la protection des populations des Yvelines, qui dispose effectivement des documents demandés, de sorte qu’elle était bien compétente pour prendre la décision attaquée ;
– le refus de communication est fondé dès lors que la demande est abusive en application des dispositions de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration, dès lors que le requérant a déposé au moins quatre-vingt demandes auprès des différentes directions départementales de protection des populations sur la France entière, ce qui induit un caractère systématique de la démarche ; la situation sanitaire du pays ayant affecté profondément et durablement la capacité opérationnelle de la direction départementale de la protection des populations des Yvelines, qui souffre d’un sous-effectif, et le département recensant douze établissements pratiquant de l’expérimentation animale, la communication des documents en cause aurait fait peser une charge importance sur le service concerné, notamment la charge que représente l’occultation des éléments non communicables, et ne peut être traitée par ce service au regard des moyens dont il dispose sans le faire dysfonctionner ;
– les documents en cause ne peuvent être communiqués à M. Marty dès lors que cette communication risquerait de porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes au sens des dispositions du d) du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration.
Par une ordonnance du 30 septembre 2021, la clôture d’instruction a été fixée au 21 octobre 2021.
Un mémoire présenté par M. Marty a été enregistré le 12 janvier 2022.
Vu :
– l’avis n°20202246 du 29 octobre 2020 de la commission d’accès aux documents administratifs ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.
La présidente du tribunal administratif de Versailles a désigné Mme xxx pour statuer sur les litiges mentionnés à l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de Mme xxx, magistrate désignée,
– et les conclusions de M. xxx, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courriel du 7 mai 2020, M. Nicolas Marty a demandé à la direction départementale de la protection des populations des Yvelines de lui communiquer des copies numériques du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département ainsi que les dates des inspections précédentes. En l’absence de réponse, il a saisi, le 27 juillet 2020, la commission d’accès aux documents administratifs, qui a rendu, le 29 octobre 2020, un avis favorable, sous certaines réserves, à sa demande de communication de copies numériques du dernier rapport d’inspection des laboratoires du département des Yvelines, et a considéré que sa demande de communication des dates des inspections précédentes était irrecevable en ce qu’elle constitue une demande d’information. A la suite du silence gardé pendant deux mois par l’administration à compter de l’enregistrement de la demande d’avis par la commission d’accès aux documents administratifs, une décision implicite confirmant le refus de communication initialement opposé à l’intéressé est née. M. Marty demande l’annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. En premier lieu, d’une part, aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 300-2 de ce code : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. (…) ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : / (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations; / (…) g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ; (…) ». Aux termes de l’article L. 311-6 de ce même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires (…) / ; 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ». Aux termes de l’article L. 311-7 du même code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».
3. D’autre part, aux termes du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration : « L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ». Revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.
4. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent à la mission de service public exercée par les services vétérinaires de la direction départementale de la protection des populations des Yvelines. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration, qui sont communicables en application de l’article L. 311-1 du même code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 citées au point 2.
5. Pour justifier le refus contesté, le préfet des Yvelines soutient que la demande de communication présentée par M. Marty présente un caractère abusif. A cet égard, il fait valoir que l’intéressé a déposé au moins quatre-vingt demandes auprès des différentes directions départementales de protection des populations de France, ce qui induit un caractère systématique de la démarche, que la situation liée à la crise sanitaire de Covid-19 a affecté la capacité opérationnelle de la direction départementale de la protection des populations des Yvelines, et que le département recense douze établissements pratiquant de l’expérimentation animale, de sorte que la communication des documents en cause aurait fait peser une charge importance sur le service concerné au regard des moyens dont il dispose, notamment pour l’occultation des éléments non communicables. Toutefois, ces seules circonstances ne permettent pas d’établir que la demande en cause aurait pour objet de perturber le bon fonctionnement de la direction départementale de la protection des populations des Yvelines ni pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, une seule demande ayant par ailleurs été adressée à cette même administration. Dans ces conditions, la demande de communication présentée par M. Marty ne revêt pas un caractère abusif au sens des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration.
6. En second lieu, pour justifier le refus attaqué, le préfet des Yvelines soutient que la communication des documents administratifs en cause peut faire courir un danger pour les personnes travaillant dans ces établissements, et mentionne la condamnation de deux militants antispécistes pour intrusion dans un abattoir du département pour démontrer le danger potentiel auquel sont exposés, selon lui, les sites et leurs personnels. Toutefois, ces affirmations ne suffisent pas à regarder la communication des rapports d’inspection des établissements menant des expérimentations sur des animaux comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes au sens du d) du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, la seule communication de ces documents n’étant pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés. En revanche, les personnes physiques exerçant une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux et les inspecteurs de la direction départementale de la protection des populations ayant droit à la protection de leur vie privée, il y a lieu d’occulter les mentions permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports en cause.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision implicite du 27 septembre 2020 par laquelle le directeur départemental de la protection des populations des Yvelines a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale du département des Yvelines.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
8. Aux termes de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration : « L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration : / 1° Par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas ; / 2° Sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret ; / 3° Par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique ; / 4° Par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu’à l’intéressé en application de l’article L. 311-6. ».
9. Compte tenu de ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que le préfet des Yvelines communique à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département, avec occultation des mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports, par l’un des moyens mentionnés par les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration. Il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir, pour ce faire, un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E:
Article 1er : La décision du 27 septembre 2020 du directeur départemental de la protection des populations des Yvelines est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Yvelines de communiquer à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département des Yvelines, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au préfet des Yvelines
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juillet 2022.