Les rapports d’inspection sont communicables en y occultant les mentions protégées par le secret des affaires (titres, références et explications sur les procédés techniques) et la vie privée (identification des personnes physiques). Les craintes de sécurité publique ne sont pas caractérisées, les documents existants ne portent pas atteinte à la recherche et à la prévention d’infractions, et leur communication ne ferait pas peser une charge de travail disproportionnée sur la préfecture.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 décembre 2020, 15 février 2021, 9 juin 2021, 29 septembre 2021, 12 janvier 2022, 26 août 2022 (non communiqué), 14 novembre 2022 et 10 juillet 2023 (non communiqué), M. B A demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle la direction départementale de la protection des populations des Hauts-de-Seine (DDPP 92) a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale dans ce département ;
2°) d’enjoindre à la DDPP 92 de lui communiquer, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires, quelle que soit la date de production de ces rapports.
Il soutient que :
– la décision est entachée d’une erreur de droit ;
– elle est insuffisamment motivée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 juin 2021 et 23 novembre 2022 (non communiqué), le préfet des Hauts-de-Seine conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu’aucun des moyens n’est fondé.
Par ordonnance du 19 janvier 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 21 février 2022.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles ;
– l’arrêté du 18 avril 2016 autorisant la mise en œuvre par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (direction générale de l’alimentation) d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé RESYTAL destiné à gérer les missions relatives à la sécurité des aliments, à la santé, à la protection des animaux et des végétaux, et à la politique de l’alimentation exercées par l’Etat ;
– le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Buisson, vice-président, pour statuer sur les litiges visés à l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Buisson, président-rapporteur ;
– les conclusions de M. Gabarda, rapporteur public ;
– les observations de M. A ;
– les observations de Mme C, représentant la direction départementale de la protection des populations des Hauts-de-Seine.
Une note en délibéré a été enregistrée le 8 décembre 2023 pour le préfet des Hauts-de-Seine et n’a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 7 mai 2020, M. B A a saisi la direction départementale de la protection des populations des Hauts-de-Seine d’une demande tendant à la communication des copies du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur son territoire. À la suite du rejet implicite né du silence gardé par l’administration sur cette demande, le requérant a saisi, le 27 juillet 2020, la commission d’accès aux documents administratifs qui a rendu un avis favorable le 29 octobre 2020, sous réserve de l’occultation des informations non communicable en application des d), f) et g) du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations avec le public et l’administration. Par une décision implicite, dont le requérant demande l’annulation, l’administration a confirmé son refus initial de communication des documents demandés.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. D’une part, aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : » Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. « . Aux termes de l’article L. 300-2 de ce code : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. « . Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre « .
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : » Ne sont pas communicables : / () / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / () / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / () f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ; / g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ; () « . Selon l’article L. 311-6 de ce code : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. / () « . Aux termes de l’article L. 311-7 de ce même code : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions « .
4. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par le 2° de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 du même code et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 de ce code. En application de ces dispositions, doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
5. Aux termes de l’article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime : » Les agents mentionnés à l’article R. 206-1 et au 1° de l’article R. 206-2 sont habilités à exercer dans les établissements utilisateurs, les établissements éleveurs et les établissements fournisseurs le contrôle de l’application des dispositions de cette section. / Les établissements éleveurs, fournisseurs et utilisateurs sont inspectés de façon régulière selon les modalités définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense « .
6. Il résulte de ces dispositions que les établissements procédant à des expérimentations animales à des fins scientifiques font l’objet d’inspections régulières réalisées par des agents de l’Etat dans le département où ces établissements sont implantés et qui donnent lieu à un rapport d’inspection, ainsi que le prescrivent les dispositions du dernier alinéa de l’article 5 du l’arrêté du 1er février 2013. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent à la mission de service public exercée par les services de la direction départementale de la protection de la population des Hauts-de-Seine. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont, par suite, communicables au requérant en application de l’article L.311-1 du même code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 de ce code.
7. Contrairement aux allégations du préfet des Hauts-de-Seine, ne sont pas de nature à faire obstacle à cette communication, les circonstances, non établies par les pièces versées au débat, que cette communication aurait pour effet de faire peser une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont dispose l’administration, que la communication de ces rapports contreviendrait à la recherche ou à la prévention d’infractions ou porterait atteinte au suivi des procédures judiciaires. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que cette communication porterait atteinte à la sécurité des personnes ou à la sécurité publique, dès lors que la seule communication de tels documents n’est pas, par elle-même, de nature à favoriser des dénonciations, intrusions, dégradation ou d’autres actes de malveillance à l’encontre des établissements concernés, des personnes physiques y travaillant ou des agents de l’administration en assurant l’inspection.
8. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements accueillant des expérimentations sur les animaux ainsi que les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée, ont droit à la protection de leur vie privée. En outre, sont protégées par le secret des affaires, et en conséquence doivent être occultées, les mentions des rapports d’inspection qui comporteraient une description, même sommaire, de procédés ou techniques scientifiques ou industrielles, une telle description ne résultant en revanche pas de la seule mention du titre ou de la référence d’un projet scientifique ou industriel, dès lors que cette mention n’est pas assortie d’une explicitation, même sommaire, du contenu technique de ces projets.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A est fondé à demander l’annulation de la décision refusant de lui communiquer l’ensemble des rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale dans le département des Hauts-de-Seine, non occultés des mentions autres que celles permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports et celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées au point 8.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
10. Aux termes de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration : » L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration : / 1° Par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas ; / 2° Sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret ; / 3° Par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique ; / 4° Par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu’à l’intéressé en application de l’article L. 311-6 « .
11. Compte tenu de ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que le préfet des Hauts-de-Seine communique à M. A les rapports d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département, sollicités par l’intéressé, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports et de celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées au point 8, par l’un des moyens mentionnés par les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration. Il y a lieu d’adresser au préfet des Hauts-de-Seine une injonction en ce sens et de lui impartir, pour ce faire, un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : La décision implicite de la directrice départementale des finances publiques des Hauts-de-Seine rejetant la demande de communication des documents administratifs sollicités par M. A est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de communiquer à M. A, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent jugement, les rapports d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale implanté dans le département des Hauts-de-Seine au jour de sa demande, sous réserve des occultations qu’impliquent la protection du secret des affaires et le respect de la vie privée des personnes physiques mentionnées au point 11 du présent jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera adressée au préfet des Hauts-de-Seine.
Lu en audience publique le 5 janvier 2024.