Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que l’identification des personnes physiques (protection de la vie privée) et les descriptions des procédés de recherche (secret des affaires). Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées. L’arrêté ministériel concernant la base de données RESYTAL ne s’oppose pas à la communication des rapports.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 décembre 2020, 29 septembre 2021, 15 décembre 2021, 3 janvier 2022, 9 mars 2022 et 26 août 2022, M. B A demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de la Drôme (DDPP) a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale dans ce département ;
2°) d’enjoindre au directeur départemental de la protection des populations de la Drôme de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires.
Il soutient que :
– la DDPP de la Drôme n’est pas compétente pour refuser de lui fournir les documents demandés ;
– la décision en litige méconnaît le droit d’accès aux documents administratifs garanti par les articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ;
– l’administration est seulement fondée à occulter le nom des personnes physiques travaillant dans les établissements concernés ;
– sa demande ne présente pas de caractère abusif ;
– sa demande de communication ne porte pas atteinte à la protection des données, à la sécurité publique ou à un secret légal.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 24 décembre 2021 et 16 février 2022, la préfète de la Drôme conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu’aucun moyen n’est fondé.
Par une ordonnance du 29 août 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 29 septembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de la recherche ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles ;
– l’arrêté du 18 avril 2016 autorisant la mise en œuvre par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (direction générale de l’alimentation) d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé RESYTAL destiné à gérer les missions relatives à la sécurité des aliments, à la santé, à la protection des animaux et des végétaux, et à la politique de l’alimentation exercées par l’Etat ;
– le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Heintz en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus, au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Heintz, magistrat désigné,
– les conclusions de Mme d’Elbreil, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A a adressé à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Drôme, les 7 mai 2020, 15 octobre 2020 et 1er décembre 2020, une demande de communication sous format électronique du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale. En l’absence de réponse de l’administration, M. A a alors saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) le 27 juillet 2020, laquelle a rendu, le 29 octobre 2020, un avis favorable à la communication des documents sollicités. Par sa requête, M. A demande l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les services de l’Etat sur sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département de la Drôme et qu’il soit enjoint sous astreinte à ces services de lui communiquer ce document, sans occulter les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime : » Les agents mentionnés à l’article R. 206-1 et au 1° de l’article R. 206-2 sont habilités à exercer dans les établissements utilisateurs, les établissements éleveurs et les établissements fournisseurs le contrôle de l’application des dispositions de cette section. / Les établissements éleveurs, fournisseurs et utilisateurs sont inspectés de façon régulière selon les modalités définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense. « .
3. Il résulte de ces dispositions que les établissements procédant à des expérimentations animales à des fins scientifiques font l’objet d’inspections régulières réalisées par des agents de l’Etat du département où ces établissements sont implantés et qui donnent lieu à un rapport d’inspection, ainsi que le prescrivent les dispositions du dernier alinéa de l’article 5 du l’arrêté du 1er février 2013 visé ci-dessus.
4. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : » Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. « . Aux termes de l’article L. 300-2 de ce code : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. « . Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. « .
5. Aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : » Ne sont pas communicables : / () / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / () / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / () / h) Ou sous réserve de l’article L. 124-4 du code de l’environnement, aux autres secrets protégés par la loi. « . Selon l’article L. 311-6 de ce code : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. / () « . Aux termes de l’article L. 311-7 de ce même code : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. « .
6. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de communication de documents administratifs sur le fondement des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.
7. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par le 2° de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 du même code et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 de ce code. En application de ces dispositions, doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
8. Revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.
9. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent à la mission de service public exercée par les services de la direction départementale de la protection de la population de la Drôme. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont, par suite, communicables à M. A en application de l’article L.311-1 du même code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 citées au point 5.
10. En premier lieu, pour justifier le refus de communication, la préfète de la Drôme soutient que la demande de communication de M. A aurait pour objet de perturber le fonctionnement des services de la préfecture ou aurait pour effet de faire peser une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Toutefois, la préfecture n’apporte aucun élément au soutien de cette affirmation. Par ailleurs, elle n’indique pas le nombre d’établissements concernés au sein du département. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la charge de travail associée à la demande de communication de M. A serait disproportionnée au regard des moyens humains dont dispose la DDPP de la Drôme. Dès lors, la préfète de la Drôme n’est pas fondée à soutenir que la demande présentée par M. A ferait spécialement peser sur les services de l’Etat une charge excessive ou viserait à en perturber le bon fonctionnement et, en conséquence, qu’elle serait abusive.
11. En deuxième lieu, la préfète de la Drôme fait valoir que M. A n’a pas conclu avec le directeur général de l’alimentation la convention préalable telle que prévue par l’article 3 de l’arrêté du 18 avril 2016 susvisé et que sa demande méconnaît l’article 3 de cet arrêté. Toutefois, il ressort des écritures du requérant que sa demande de communication ne porte pas sur des informations extraites du traitement automatisé de données Resytal régi par l’arrêté du 18 avril 2016. Par suite, les dispositions dudit arrêté relatives à la mise en œuvre de ce traitement automatisé de données ne sont pas opposables à la demande de communication en cause.
12. En troisième lieu, la préfète de la Drôme fait valoir qu’il existe, notamment à travers les associations antispécistes, des courants d’opposition forte et violente à l’encontre des expérimentations menées sur les animaux de telle sorte que la divulgation des établissements menant des expérimentations serait de nature à les exposer à des risques d’atteinte à leur sécurité. Toutefois, ces affirmations ne suffisent pas à regarder la communication des rapports d’inspection des établissements menant des expérimentations sur des animaux comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, la seule communication de ces documents n’étant pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la préfète, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales comme ayant, en cette seule qualité, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements accueillant des expérimentations sur les animaux ainsi que le ou les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée, ont droit à la protection de leur vie privée. Par suite, l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.
13. En quatrième lieu, si la préfète de la Drôme fait valoir que la transmission des rapports sollicités porterait une atteinte au secret médical et au secret des affaires, dès lors que les établissements concernés mettent au point de nouveaux médicaments, toutefois elle ne justifie pas que les mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux dates des rapports, aux conformités ou éventuelles non-conformités relevées par les inspecteurs ou aux commentaires relatifs à chaque point de contrôle inspecté porteraient une telle atteinte, en méconnaissance du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, sont protégées par le secret des affaires, au même sens, et en conséquence doivent être occultées, les mentions des rapports d’inspection qui comporteraient une description, même sommaire, de procédés ou techniques scientifiques ou industrielles, une telle description ne résultant en revanche pas de la seule mention du titre ou de la référence d’un projet scientifique ou industriel, dès lors que cette mention n’est pas assortie d’une explicitation, même sommaire, du contenu technique de ces projets.
14. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A est fondé à demander l’annulation de la décision refusant de lui communiquer l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale dans le département de la Drôme, non occultés des mentions autres que celles permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports et celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées aux points 12 et 13 ci-dessus.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
15. Aux termes de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration : » L’accès aux documents administratifs s’exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l’administration : / 1° Par consultation gratuite sur place, sauf si la préservation du document ne le permet pas ; / 2° Sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction, dans des conditions prévues par décret ; / 3° Par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique ; / 4° Par publication des informations en ligne, à moins que les documents ne soient communicables qu’à l’intéressé en application de l’article L. 311-6. « .
16. Compte tenu de ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que la préfète de la Drôme communique à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports et de celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées aux points 12 et 13 ci-dessus, par l’un des moyens mentionnés par les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration, M. A ayant demandé une communication par courrier électronique, ces documents étant disponibles sous forme électronique. Il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir, pour ce faire, un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle la préfète de la Drôme a refusé de communiquer à M. A l’ensemble des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale dans le département de la Drôme est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Drôme de communiquer à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département de la Drôme, avec occultation des seules mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports et de celles protégées par le secret des affaires dans les conditions spécifiées aux points 12 et 13 du présent jugement, dans un délai de trois mois à compter de sa notification.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera adressée à la préfète de la Drôme et à la commission d’accès aux documents administratifs.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2023.