Les dossiers de demande d’autorisation de projet (DAP) sont communicables sous réserve d’occultations justifiées par le secret des affaires et le secret de la vie privée (non délimitées par le jugement). Le ministère de la Recherche doit verser 1500€ à Transcience.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 janvier 2023 et 2 février 2023, l’association Transcience, représentée par Me Monpion, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a implicitement refusé de lui communiquer dix-huit dossiers de demande d’autorisation de projets utilisant des animaux vivants à des fins scientifiques prévue par les dispositions de l’article R. 214-117 du code rural et de la pêche maritime ;
2°) d’enjoindre à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de lui communiquer les documents sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
– les documents sollicités sont communicables ;
– ils ont perdu leur caractère préparatoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 janvier 2024, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par l’association Transcience ne sont pas fondés.
Un mémoire a été enregistré le 5 janvier 2024 pour l’association Transcience et n’a pas fait l’objet d’une communication.
L’affaire a été renvoyée en formation collégiale en application de l’article R. 222-19 du code de justice administrative.
Vu :
– l’avis n° 20226977 du 15 décembre 2022 de la commission d’accès aux documents administratifs ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique, tenue en présence de Mme Sueur, greffière d’audience :
– le rapport de Mme Leravat,
– les conclusions de M. Lamy, rapporteur public,
– et les observations de Mme Obriet, présidente de l’association Transcience et de
Mme A, représentant la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Une note en délibéré présentée pour l’association Transcience a été enregistrée le 15 janvier 2024.
Considérant ce qui suit :
1. L’association Transcience, créée en 2020 et ayant pour objet de soutenir la transition vers une recherche scientifique sans utilisation d’animaux, a, par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 août 2022, reçue le 2 septembre 2022, sollicité auprès de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche la communication de dix-huit dossiers de demande d’autorisation de projets utilisant des animaux vivants à des fins scientifiques et ayant donné lieu à l’octroi d’agréments ministériels à trente comités d’éthique en expérimentation animale. Du silence gardé par l’administration est née une décision implicite de refus de communication desdits documents. L’association Transcience a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande d’avis le 7 novembre 2022. La CADA a émis un avis favorable, avec réserves, le 15 décembre 2022. Par la présente requête, l’association Transcience demande au tribunal l’annulation de la décision rejetant implicitement sa demande de communication des documents intervenue, conformément à l’article R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, deux mois après l’enregistrement de sa demande par la commission.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. D’une part, aux termes de l’article R. 214-122 du code rural et de la pêche maritime : » Sans préjudice de l’application des dispositions de l’article R. 214-127, la réalisation d’un projet comportant l’exécution d’une ou de plusieurs procédures expérimentales est soumise à l’obtention d’une autorisation accordée par le ministre chargé de la recherche dans les conditions prévues à l’article R. 214-123. / La demande est introduite par le responsable du projet. Elle précise la classe de sévérité ( » sans réveil « , » légère « , » modérée » ou » sévère « ) des procédures expérimentales utilisées pour la réalisation du projet. / Les modalités de dépôt de la demande et la composition du dossier de cette demande ainsi que les critères de classification des procédures sont précisés par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense. » Aux termes de l’article 5 de l’arrêté du 1er février 2013 relatif à l’évaluation éthique et à l’autorisation des projets impliquant l’utilisation d’animaux dans des procédures expérimentales : » En application de l’article
R. 214-122 du code rural et de la pêche maritime, tout responsable de projet adresse au ministre chargé de la recherche une demande d’autorisation de projet accompagnée d’un dossier comprenant les éléments suivants : / -la proposition de projet tel que défini au 2° de l’article
R. 214-89 du code rural et de la pêche maritime ; / -un résumé non technique du projet, anonyme et ne contenant ni le nom ni l’adresse de l’utilisateur ou des membres de son personnel, qui, sous réserve de garantir le respect de la propriété intellectuelle et de la confidentialité des informations, fournit des informations sur les objectifs du projet, y compris les avantages et les dommages attendus, ainsi que sur le nombre et les types d’animaux utilisés. Il fournit également une démonstration de la conformité avec les exigences de Remplacement, de Réduction et de Raffinement ; / -des informations sur : / a) La justification du projet du point de vue scientifique, éducatif ou requis par la loi ; / b) La pertinence et la justification : / i) De l’utilisation d’animaux, y compris en ce qui concerne leur origine, les espèces, les nombres estimés et les stades de développement et, le cas échéant, en application du dernier alinéa de l’article
R. 214-90, les éléments scientifiques justifiant la demande de dérogation concernant les espèces utilisées ; / ii) Des procédures expérimentales ; / c) L’application de méthodes pour Remplacer, Réduire et Raffiner l’utilisation des animaux dans les procédures expérimentales ; / d) Le recours prévu à l’anesthésie, à l’analgésie et à d’autres méthodes pour soulager la douleur ;
/ e) Les dispositions prises en vue de Réduire, d’éviter et d’atténuer toute forme de souffrance des animaux, de la naissance à la mort, le cas échéant ; / f) Le recours à des points limites adaptés, suffisamment prédictifs et précoces pour permettre de limiter au maximum la douleur, sans remettre en cause les résultats du projet ; / g) La stratégie d’expérimentation ou d’observation et le modèle statistique utilisé afin de Réduire au minimum le nombre d’animaux, la douleur, la souffrance et l’angoisse infligées et l’impact environnemental, le cas échéant ;
/ h) La réutilisation des animaux et l’effet cumulatif de cette réutilisation sur les animaux ;
/ i) La proposition concernant la classification des procédures expérimentales selon leur degré de gravité, conformément à l’annexe ; / j) Les dispositions prises pour éviter tout double emploi injustifié des procédures expérimentales, le cas échéant ; / k) Le numéro d’agrément du ou des établissements utilisateurs, attribué selon les modalités de l’arrêté interministériel du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles; / l) Les méthodes de mise à mort utilisées et, le cas échéant, en application du quatrième alinéa de l’article R. 214-98, les éléments scientifiques justifiant la demande de dérogation concernant les méthodes utilisées ; / m) Les compétences des personnes participant au projet, selon les modalités de l’arrêté interministériel du 1er février 2013 relatif à l’acquisition et à la validation des compétences des personnels des établissements utilisateurs, éleveurs et fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques dans les conditions définies à l’article R. 214-114 ; / n) Le nom de la ou des personnes responsables du bien-être des animaux; / o) Le nom de la ou les personnes responsables de la mise en œuvre générale du projet et de sa conformité à l’autorisation ; / p) Conformément à l’article R. 214-99, les éléments scientifiques justifiant la demande de dérogation pour faire réaliser tout ou partie des procédures expérimentales en dehors de l’établissement agréé dont le responsable a déposé la demande d’autorisation de projet. / Le ministre chargé de la recherche met à disposition des établissements utilisateurs le formulaire de demande d’autorisation de projet. »
3. D’autre part, aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. () » Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Aux termes de l’article L. 311-2 de ce code : » Le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. / Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration. () » Aux termes de l’article L. 311-6 dudit code : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; () « . Enfin, aux termes de l’article L. 311-7 du code précité : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. »
4. Il ressort des pièces du dossier que les documents sollicités par l’association requérante, à savoir les dossiers de demande d’autorisation prévue par les dispositions citées au point 2 du code rural et de la pêche maritime, constituent des documents administratifs communicables au sens des dispositions précitées du code des relations entre le public et l’administration. De plus, il ressort des pièces du dossier que les documents demandés se rapportent à des autorisations qui ont été délivrées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ainsi, ils ne revêtent plus le caractère d’un document préparatoire à une ou plusieurs décisions administratives.
5. De par leur nature et leur contenu, ces dossiers de demande d’autorisation sont susceptibles de contenir des mentions relatives à la vie privée ou au secret des affaires, qui peuvent, cependant, faire l’objet d’une occultation ou d’une disjonction, en application des dispositions de l’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration. Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche fait valoir que l’ampleur des occultations conduirait à vider de leur intérêt les documents demandés, sans toutefois le justifier. Dans ces conditions, en refusant de communiquer les documents sollicités à l’association Transcience, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a méconnu les dispositions précitées du code des relations entre le public et l’administration.
6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la décision implicite par laquelle la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a rejeté la demande de communication de l’association Transcience, suite à l’avis de la CADA, doit être annulée.
Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :
7. Eu égard au motif d’annulation retenu, il y a lieu d’enjoindre à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de communiquer les documents sollicités, sous réserve de l’occultation ou de la disjonction des mentions relevant du secret de la vie privée et du secret des affaires, dans un délai d’un mois à compter de la date de notification du présent jugement. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros à verser à l’association Transcience sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a implicitement refusé de communiquer dix-huit dossiers de demande d’autorisation de projets utilisant des animaux vivants à des fins scientifiques prévue par les dispositions de l’article R. 214-117 du code rural et de la pêche maritime est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, de communiquer les documents sollicités, sous réserve de l’occultation ou de la disjonction des mentions relevant du secret de la vie privée et du secret des affaires, dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L’Etat versera la somme de 1 500 euros à l’association Transcience en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association Transcience, à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et à Me Monpion.
Délibéré après l’audience du 10 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Ladreyt, président,
M. Gandolfi, premier conseiller,
Mme Leravat, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2024.