Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que l’identité des personnes physiques employées par les établissements. Les craintes de sécurité ne sont pas caractérisées, et les rapports d’inspection ne sont pas des documents préparatoires.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 décembre 2020, 11 août 2021,
30 septembre 2021, 15 décembre 2021 et 27 juillet 2022, M. D A demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision implicite intervenue le 27 septembre 2020 en tant que la directrice départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Marne a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale implanté dans le département de la Marne ;
2°) d’enjoindre à la directrice départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Marne de lui communiquer, sans occultation, les documents administratifs sollicités, dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de cent euros par jour de retard.
Il soutient que :
– la décision attaquée est entachée d’incompétence ;
– elle est insuffisamment motivée ;
– le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale implanté dans le département de la Marne présente les caractères d’un document administratif communicable en vertu de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 août 2021, 2 septembre 2021,
27 juillet 2022 et 14 septembre 2022, le préfet de la Marne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
– la requête est irrecevable, dès lors que le requérant ne satisfait pas aux prescriptions de l’article R. 411-1 du code de la justice administrative en ce qui concerne la domiciliation du requérant ;
– la demande de communication ne satisfait pas aux prescriptions des articles L. 112-8 et R. 112-9-1 du code des relations entre le public et l’administration ;
– les moyens soulevés par M. A ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles ;
– le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. F en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. B F,
– les conclusions de Mme E de Laporte, rapporteure publique,
– et les observations de M. C, représentant le préfet de la Marne.
Considérant ce qui suit :
1. M. A a demandé à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de la Marne, par un courriel du 7 mai 2020, la communication du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale implanté dans le département de la Marne, ainsi que les dates des inspections précédentes dont ces établissements ont fait l’objet. En l’absence de réponse de la part de cette administration, il a saisi, le 27 juillet 2020, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a émis un avis le 29 octobre 2020. L’administration ayant gardé le silence pendant les deux mois suivant la saisine de cette commission, une décision implicite est réputée être intervenue le 27 septembre 2020 en rejet de ce recours administratif préalable. Par la présente requête, M. A demande au tribunal d’annuler cette décision, en tant qu’elle lui refuse la communication du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale implanté dans le département de la Marne.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Marne :
2. Aux termes de l’article R. 411-1 du code de justice administrative : » La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. () « .
3. M. A a indiqué dans sa requête ses nom et prénom, ainsi que sa domiciliation. Ainsi, celle-ci satisfait aux dispositions précitées de l’article R. 411 du code de justice administrative et, par suite, la fin de non-recevoir tirée de leur méconnaissance doit être écartée.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
En ce qui concerne la régularité formelle de la demande de communication :
4. Les dispositions comprises sous l’article L. 112-7 et suivants du code des relations entre le public et l’administration sont uniquement applicables aux relations entre le public et l’administration lorsque celle-ci met en place un téléservice pour l’accès auquel les intéressés doivent s’identifier. Or, l’adresse fonctionnelle de la DDCSPP de la Marne, au moyen de laquelle M. A l’a saisie de sa demande de communication, ne peut être regardée comme un téléservice au sens de ces dispositions. Par suite, le préfet de la Marne ne saurait utilement se prévaloir de ces dispositions pour soutenir que, à défaut pour M. A d’avoir indiqué une adresse de domiciliation, il n’aurait été saisi d’aucune demande, alors qu’au demeurant le courriel de saisine en date du 7 mai 2020 comprend des éléments permettant d’identifier l’intéressé sans ambigüité.
En ce qui concerne l’existence des documents en cause :
5. Aux termes de l’article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction applicable au litige : » Les agents mentionnés à l’article L. 214-23 sont habilités à exercer dans les établissements utilisateurs, les établissements éleveurs et les établissements fournisseurs le contrôle de l’application des dispositions de cette section. / Les établissements éleveurs, fournisseurs et utilisateurs sont inspectés de façon régulière selon les modalités définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense. »
6. Il résulte de ces dispositions que les établissements procédant à des expérimentations animales à des fins scientifiques font l’objet d’inspections régulières réalisées par les inspecteurs vétérinaires de la DDCSPP du département où ces établissements sont implantés et qui donnent lieu à un rapport d’inspection, ainsi que le prescrivent les dispositions du dernier alinéa de l’article 5 du l’arrêté du 1er février 2013 susvisé. Alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les services de la DDCSPP de la Marne aurait négligé d’exercer les attributions qui leur sont dévolues, le préfet de la Marne n’est pas fondé à soutenir en défense que ces documents seraient inexistants, ni à faire valoir qu’il appartiendrait au requérant d’en établir lui-même l’existence.
En ce qui concerne la communicabilité des documents en cause :
7. D’une part, aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. () « . Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Aux termes de l’article L. 311-2 du même code : » () Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration. / () L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. »
8. D’autre part, aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : » Ne sont pas communicables : / () 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / () d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / () f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ; g) A la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ; () « . Aux termes de l’article L. 311-6 du même code : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. () « .
9. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) du 2° de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 du même code et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions, doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
10. Il ressort des pièces du dossier que les rapports d’inspection dont M. A demande la communication se rattachent aux missions de service public qui sont dévolues à la DDCSPP de la Marne. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens des dispositions précitées de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration.
11. Contrairement à ce que soutient le préfet de la Marne, les rapports d’inspection en cause ne présentent pas les caractères de documents préparatoires au sens des dispositions précitées de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration. De plus, la seule circonstance que M. A sollicite la communication de ces rapports sous la forme d’une copie numérique n’est pas de nature à faire regarder sa demande de communication comme présentant un caractère abusif et, en tout état de cause, elle est sans incidence sur la communicabilité des documents en cause. En vertu de l’article L. 311-1 du même code, ces rapports sont communicables de plein droit à quiconque en fait la demande, sans que puissent légalement y faire obstacle les intentions que le préfet de la Marne prête à M. A.
12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’identité des personnes morales et physiques figurant dans les rapports d’inspection devrait être occultée en application des dispositions des d), f) et g) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée et, dès lors, l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement de l’article L. 311-6 du même code.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens, que la décision du 27 septembre 2020, en tant que le préfet de la Marne a refusé de communiquer à M. A le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département de la Marne, doit être annulée.
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
14. L’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet de la Marne communique à M. A le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale dans le département de la Marne au jour de sa demande, sous réserve des occultations mentionnées au point 12. Il y a donc lieu d’enjoindre au préfet de la Marne, sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, de procéder à cette communication dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a, en revanche, pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du 27 septembre 2020 est annulée en tant que le préfet de la Marne a refusé de communiquer à M. A le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale implanté dans le département de la Marne.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Marne de communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du présent jugement, à M. A le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale implanté dans le département de la Marne au jour de sa demande, sous réserve des occultations qu’implique le respect de la vie privée des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle au sein de ces établissements.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. D A et au ministre de l’intérieur.
Copie pour information en sera adressée au préfet de la Marne.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2022.