Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que l’identité des personnes physiques et éventuellement des mentions protégées par le secret des affaires (sans plus de précision). Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 décembre 2020 et 19 juillet 2021, M. A demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de la Côte-d’Or (DDPP 21) a implicitement refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale du département ;
2°) d’enjoindre au directeur départemental de la protection des populations de la Côte-d’Or (DDPP 21) de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, sans occultation des noms des établissements, des dates d’inspection et de rapport, des intitulés de la grille d’inspection, des niveaux de non-conformité, des passages entiers de commentaires, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Il soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
– il abandonne le moyen tiré de l’incompétence territoriale du directeur départemental de la protection des populations de la Côte-d’Or ;
– la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation ;
– la décision attaquée est illégale, dès lors que les documents en cause sont communicables à toute personne qui en fait la demande, sous réserve de l’occultation éventuelle des mentions relevant des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ;
– sa demande ne revêt pas un caractère abusif ;
– la communication demandée n’est pas de nature à porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ;
– la mention de l’identité des personnes morales et des personnes physiques n’est pas de nature à divulguer un comportement susceptible de leur porter préjudice ;
– la communication demandée n’est pas de nature à porter atteinte au secret des affaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juillet 2021, le préfet de la Côte-d’Or conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
– la DDPP 21 dispose effectivement des documents demandés par le requérant, de sorte qu’elle est compétent pour les communiquer ou refuser leur communication ;
– la demande de M. A présente un caractère abusif, dès lors qu’elle a pour effet de faire peser sur la DDPP 21 une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose ;
– les rapports d’inspection demandés ne peuvent être communiqués, compte tenu d’un contexte d’opposition forte à l’expérimentation animale et de la possibilité d’intrusions dans les établissements d’expérimentation ainsi identifiés, faisant courir un risque à la sécurité des personnes qui y travaillent, aux personnes morales concernées et à la sécurité publique en général ;
– dans un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal, le fait pour une personne physique de travailler dans un établissement conduisant des expérimentations animales ou, pour une personne morale, d’accueillir une telle activité peut être interprété comme un comportement considéré en soi comme négatif, et ainsi porter préjudice aux personnes concernées ;
– les inspections étant essentiellement diligentées dans des établissements d’enseignement et de recherche ayant pour objet l’élaboration de nouveaux médicaments et protocoles de traitement, la communication des rapports d’inspections est susceptible de faire apparaître des informations qui, corrélées entre elles, peuvent être de nature à porter atteinte au secret commercial et industriel, dans le domaine de la recherche scientifique et médicale, alors même que les recherches conduites peuvent avoir pour objet le dépôt de brevets protégés ;
– dès lors qu’il est nécessaire d’occulter le nom des personnes physiques et morales et leurs coordonnées, les non-conformités relevées dans le rapport, ainsi que toute information liée au secret industriel et commercial, ces occultations font perdre tout sens aux rapports dont la communication était demandée.
Par une ordonnance du 4 août 2021, la clôture de l’instruction a été fixée au 27 août 2021 à 12 heures.
Des mémoires présentés par M. A ont été enregistrés les 29 septembre 2021, 3 janvier 2022 et 26 août 2022, soit postérieurement à la clôture de l’instruction, et n’ont pas été communiqués.
Vu :
– l’avis n° 20203214 du 29 octobre 2020 de la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. B,
– les conclusions de M. Puglierini, rapporteur public.
Les parties n’étaient ni présentes, ni représentées.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courriel du 7 mai 2020, M. C A a demandé à la direction départementale de la protection des populations de la Côte-d’Or (DDPP 21) de lui communiquer des copies numériques du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département ainsi que les dates des inspections précédentes. En l’absence de réponse de l’administration, il a saisi, le 27 juillet 2020, la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a rendu, le 29 octobre 2020, un avis favorable, sous certaines réserves, à sa demande de communication de copies numériques du dernier rapport d’inspection des laboratoires du département de la Côte-d’Or, et a considéré que sa demande de communication des dates des inspections précédentes était irrecevable en ce qu’elle constitue une demande d’information. A la suite du silence gardé pendant deux mois par l’administration à compter de l’enregistrement de la demande d’avis par la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), une décision implicite confirmant le refus de communication initialement opposé à l’intéressé est née. M. A demande l’annulation de cette décision.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues () de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande () « .
3. En premier lieu, aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. () « .
4. En l’espèce, les rapports d’inspection dont la communication est demandée, élaborés dans le cadre des missions de service public exercées par les services vétérinaires des directions départementales en charge de la protection des populations, constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont donc soumis au droit d’accès prévu à l’article L. 311-1 de ce code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6.
5. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration : » () L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. « . Il résulte de ces dispositions que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.
6. En l’espèce, pour justifier le refus de communication, le préfet de la Côte-d’Or soutient que la demande de communication de M. A est abusive dès lors que, dans un contexte de vacance d’un poste d’inspecteur vétérinaire, elle aurait pour effet de faire peser sur le seul agent de la DDPP 21 qualifié pour procéder aux occultations nécessaires après analyse des rapports, par ailleurs mobilisé sur une priorité locale de gestion et de suivi des foyers de tuberculose bovine dans le département et sur une mission de veille du respect de la réglementation relative à la protection animale, une charge de travail supplémentaire disproportionnée au regard des moyens dont il dispose. Toutefois, en dépit de la charge supplémentaire de travail, y compris d’occultation éventuelle des documents que le traitement d’une telle demande est susceptible d’entraîner, rien dans les éléments exposés ne permet de considérer qu’elle serait manifestement disproportionnée au regard des moyens dont dispose cet agent de la DDPP 21, lesquels doivent être considérés globalement. Dans ces conditions, la demande de communication présentée par M. A qui, selon les écritures du préfet, concerne onze établissements au sein du département, ne peut être regardée comme présentant un caractère abusif au sens des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration.
7. En troisième lieu, aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : » Ne sont pas communicables : () 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : () d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes () « .
8. En l’espèce, pour justifier le refus de communication, le préfet de la Côte-d’Or fait valoir qu’il existe, notamment à travers les associations antispécistes, des courants d’opposition forte à l’encontre des expérimentations menées sur les animaux et que la divulgation au public des rapports demandés peut conduire à l’identification des établissements concernés et à la survenance d’intrusions dans les établissements d’expérimentation concernés, faisant ainsi courir un risque pour la sécurité des personnes qui y travaillent, pour les personnes morales concernées, et pour la sécurité publique en général. Toutefois, la seule communication des rapports d’inspection des établissements menant de telles expérimentations n’est pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés et ne permet pas, dès lors, de regarder cette communication comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes.
9. En quatrième lieu, aux termes de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée () et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / () / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. () « .
10. D’une part, contrairement à ce que soutient le préfet de la Côte-d’Or, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que le ou les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée ont droit à la protection de leur vie privée. Dans ces conditions, l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.
11. D’autre part, le préfet de la Côte-d’Or fait valoir que les inspections sont essentiellement diligentées dans des établissements d’enseignement et de recherche ayant pour objet l’élaboration de nouveaux médicaments et protocoles de traitement, de sorte que les rapports d’inspections sont susceptibles de faire apparaître des informations qui, corrélées entre elles, peuvent être de nature à porter atteinte au secret commercial et industriel, dans le domaine de la recherche scientifique et médicale, alors même que les recherches conduites peuvent avoir pour objet le dépôt de brevets protégés. Toutefois, les termes très généraux et hypothétiques utilisés par le préfet, dont il ressort également que l’atteinte au secret des affaires supposerait un croisement avec d’autres données des informations contenues dans les rapports demandés, ne permettaient pas de refuser la communication demandée au nom d’une atteinte du secret commercial et industriel alors que le préfet n’établit pas, ni même n’allègue, que de telles mentions ne pourraient pas, en tout état de cause, être occultées.
12. En dernier lieu, aux termes de l’article L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. « .
13. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’occultation des mentions permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports litigieux et les rédacteurs desdits rapports, ainsi que celle des éventuelles mentions protégées par le secret des affaires, aurait pour effet de faire perdre tout sens aux documents dont la communication est demandée.
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A est fondé à demander l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Côte-d’Or (DDPP 21) sur sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département.
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
15. Eu égard au motif d’annulation retenu, l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet de la Côte-d’Or (DDPP 21) communique à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des rédacteurs de ces rapports ainsi que, le cas échéant, des mentions protégées par le secret des affaires. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’ordonner au préfet de procéder à cette communication dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : La décision implicite, par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de la Côte-d’Or (DDPP 21) a implicitement refusé de communiquer à M. A le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale du département, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Côte-d’Or (DDPP 21) de communiquer à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des rédacteurs de ces rapports ainsi que, le cas échéant, des mentions protégées par le secret des affaires, dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. C A et au préfet de la Côte-d’Or.
Délibéré après l’audience du 6 octobre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Delespierre, président,
M. Blacher, premier conseiller,
Mme Desseix, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2022.