Aller au contenu

TA Limoges, jugement n°2100021 du 06/04/2023 (Nicolas Marty c. DDPP87)

Les rapports d’inspection sont communicables « sans occultation des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques » (dont les inspecteurs et inspectrices). Les craintes de préjudice ne sont pas caractérisées.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 6 janvier 2021, le 26 janvier 2021, le 19 mai 2021, le 29 septembre 2021, le 16 décembre 2021 et le 26 août 2022, M. C A demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui communiquer les derniers rapports d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département de la Haute-Vienne ;

2°) d’enjoindre à la préfète de la Haute-Vienne de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires.

Il soutient que :

– la direction départementale de la protection des populations de la Corrèze n’est pas compétente pour décider de la communication des documents demandés ;

– la décision méconnaît les articles L. 311-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ;

– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes justifiant un refus de communication ;

– la communication des documents demandés ne porte pas préjudice aux personnes ;

– le public a le droit de savoir ce qui ne va pas dans les sites pratiquant l’expérimentation animale.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 mai 2021, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

– le requérant n’a pas saisi la commission d’accès aux documents administratifs d’un recours amiable ;

– la décision de refus de communiquer les documents administratifs demandés en occultant des informations, pourtant demandées par le requérant, est légale.

Vu :

– l’avis favorable n°20202193 du 29 octobre 2020 de la commission d’accès aux documents administratifs ;

– les autres pièces du dossier ;

Vu :

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Nicolas Normand, vice-président, en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Le rapport de M. C D a été entendu au cours de l’audience publique, à laquelle aucune des parties n’était présente ou représentée.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier électronique du 7 mai 2020, M. A a demandé à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de la Haute-Vienne de lui communiquer des copies numériques du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire de ce département. En l’absence de réponse de l’administration, M. A a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) le 27 juillet 2020, laquelle a rendu, le 29 octobre 2020, un avis favorable, sous certaines réserves, à la communication des documents sollicités. Par la présente requête, M. A demande l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les services de l’Etat sur sa demande de communication des derniers rapports d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département de la Haute-Vienne et qu’il soit enjoint sous astreinte à ces services de lui communiquer ces documents, sans occulter les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires.

Sur la recevabilité de la requête :

2. D’une part, aux termes des articles R. 311-12 et R. 311-13 du code des relations entre le public et l’administration, le silence gardé pendant plus d’un mois par l’autorité compétente, saisie d’une demande de communication de documents en application de l’article L. 311-1 de ce code, vaut décision de refus. En vertu de l’article L. 342-1 du même code :  » () La saisine pour avis de la commission est un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux « . Aux termes de l’article R. 343-1 du même code :  » L’intéressé dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus () pour saisir la Commission d’accès aux documents administratifs () « . L’article R. 343-5 prévoit que :  » Le délai au terme duquel intervient la décision implicite de refus mentionnée à l’article R. 343-4 est de deux mois à compter de l’enregistrement de la demande de l’intéressé par la commission « . D’autre part, aux termes de l’article R. 421-1 du code de justice administrative :  » La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée () « .

3. Il ressort des pièces du dossier que, par courriel en date du 7 mai 2020, le requérant a demandé à la direction départementale de la protection des populations de la Haute-Vienne la communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire du département. En l’absence de communication des documents dans le délai d’un mois à compter de la réception de l’administration de la demande de M. A, une décision implicite de rejet est née.

4. Il ressort également des pièces du dossier que le 27 juillet 2020, M. A a saisi la commission d’accès aux documents administratifs d’un recours contre cette décision implicite de refus. Ainsi, le requérant satisfait aux obligations imposées par les articles L. 342-1 et R. 311-15 du code des relations entre le public et l’administration. Par suite, les conclusions du préfet de la Haute-Vienne concernant l’irrecevabilité de la requête pour absence de saisine de la Cada doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

Sur le moyen de légalité externe :

5. M. A soutient que  » l’illégalité externe repose ici sur l’incompétence territoriale de la DDPP87 (Haute-Vienne), qui n’est pas compétente pour décider de ne pas fournir les documents demandés « . Il ressort cependant des pièces produites et notamment du message électronique du 7 mai 2020 que M. A a adressé sa demande à la DDPP87. Par suite, la décision implicite contestée doit être regardée comme émanant du préfet de la Haute-Vienne. Le moyen doit par suite être écarté.

Sur le moyen de légalité interne :

6. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) de l’article L. 311-5 et l’article L. 311 6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

7. Il ressort des pièces du dossier que les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent directement à la mission de service public de la DDPP87. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils étaient, par suite, communicables de plein droit au requérant en application de l’article L. 311-1 du même code, sous les réserves énoncées au point 6. En outre, dès lors que les personnes morales qui accueillent des expérimentations sur les animaux ne peuvent être regardées comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible de leur porter préjudice et ce alors même qu’il existe un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal véhiculé notamment par des associations antispécistes, l’identité des personnes morales figurant dans les rapports d’inspection ne devait pas être occultée.

8. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée, ainsi que les inspecteurs qui en assurent le contrôle. En occultant l’identification de ces personnes sur le fondement de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, la préfète de la Haute-Vienne n’a ainsi pas entaché la décision attaquée d’illégalité. Le requérant précise d’ailleurs qu’il ne demande pas l’annulation de l’occultation du nom des personnes physiques travaillant dans les établissements concernés.

9. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, M. A est fondé à demander l’annulation de la décision par laquelle la préfète de la Haute-Vienne a communiqué un rapport d’inspection occultant des mentions autres que celles permettant d’identifier les personnes physiques citées dans ces rapports.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

10. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :  » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public () prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution « . Aux termes de l’article L. 911-3 du même code :  » Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet « .

11. Compte tenu de ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que la préfète de la Haute-Vienne communique à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département, mentionnant les intitulés de la grille d’inspection, les niveaux de non-conformité, sans suppression de passages entiers de commentaires, avec occultation toutefois des mentions permettant l’identification de toute personne physique citée dans ces rapports, par l’un des moyens mentionnés par les dispositions de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration. Il y a lieu de lui adresser une injonction en ce sens et de lui impartir, pour ce faire, un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, sans qu’il soit besoin d’assortir cette injonction d’une astreinte.

D E C I D E :

Article 1er: La décision de la préfète de la Haute-Vienne est annulée en tant qu’elle refuse de communiquer à M. A le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale de ce département sans occultation des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans ces établissements et celle des rédacteurs des rapports et des agents ayant exercé les contrôles.

Article 2:Il est enjoint au préfet de la Haute-Vienne de communiquer à M. A, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, l’entièreté du dernier rapport d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département après occultation des mentions relatives à l’identification de toute personne physique.

Article 3:Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4:Le présent jugement sera notifié à M. C A et à la préfète de la Haute-Vienne.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 avril 2023.