Les rapports d’inspection sont communicables en y occultant l’identité des personnes physiques qui travaillent dans les laboratoires et les éléments couverts par le secret des affaires. Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées. Les provisions de confidentialité indiquées dans l’arrêté sur la base de données RESYTAL ne sont pas applicables.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 décembre 2020, les 16 juin, 29 septembre et 16 décembre 2021 et le 14 mars 2022, M. Nicolas Marty demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle la direction départementale de la protection des populations (DDPP) de Vaucluse a rejeté sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans ce département ;
2°) d’enjoindre à la DDPP de Vaucluse de lui communiquer, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département de Vaucluse, sans occultation des noms des établissements, des dates des inspections et des rapports, des intitulés de la grille d’inspection, des niveaux de non-conformité et les commentaires.
Il soutient que :
– la DDPP de Vaucluse n’est pas compétente territorialement pour prendre la décision attaquée ;
– la décision attaquée est entachée d’un défaut de motivation ;
– la décision méconnaît les dispositions des articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ;
– compte tenu de l’illégalité entachant la décision attaquée, il y a lieu d’enjoindre à la DDPP de Vaucluse de lui communiquer les documents sollicités, sans occultation des noms des établissements, des dates des inspections et des rapports, des intitulés de la grille d’inspection, des niveaux de non-conformité et les commentaires, seul le nom des personnes physiques travaillant dans les établissements concernés pouvant être occulté.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 juin 2021 et le 11 mars 2021, le préfet de Vaucluse conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
– le moyen tiré de l’incompétence territoriale de la DDPP de Vaucluse est infondé dès lors que la demande de communication lui a été adressée et qu’elle établit les documents administratifs en cause ;
– la décision contestée est justifiée au regard des dispositions du d) de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration, dès lors que la communication des documents demandés risquerait de porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, laissant craindre des représailles ciblées ;
– la demande de M. Marty est disproportionnée ;
– le refus opposé à M. Marty est justifié au regard du préjudice porté aux personnes et à l’atteinte au secret industriel et commercial en cas de communication des documents demandés ;
– alors que les informations relatives aux établissements d’expérimentation animale suivis par les DDPP sont traitées dans une base de données métier autorisée par un arrêté ministériel du 18 avril 2016, M. Marty ne justifie pas avoir conclu une convention avec le directeur général de l’alimentation et sa demande de rapport d’inspection non anonymisés méconnaît l’article 3 de cet arrêté.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– l’arrêté du 18 avril 2016 autorisant la mise en œuvre par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (direction générale de l’alimentation) d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé RESYTAL destiné à gérer les missions relatives à la sécurité des aliments, à la santé, à la protection des animaux et des végétaux, et à la politique de l’alimentation exercées par l’Etat ;
– le code de justice administrative ;
Le président du tribunal a désigné M. xxx en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx,
– et les conclusions de Mme xxx, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Le 7 mai 2020, M. Marty a adressé à la DDPP de Vaucluse une demande de communication portant sur les derniers rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département de Vaucluse et sur les dates des inspections précédentes. En l’absence de réponse de la DDPP de Vaucluse, M. Marty a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA), laquelle a émis le 29 octobre 2020 un avis favorable, sous certaines réserves, à la communication des derniers rapports d’inspection et s’est déclarée incompétente s’agissant des dates des inspections précédentes au motif que cette demande porte sur des renseignements. Le 4 décembre 2020, la cheffe de service du service santé protection animales et environnement a adressé à M. Marty un courriel par lequel elle lui a indiqué qu’elle n’avait aucun document à lui transmettre dès lors qu’aucune inspection n’avait été réalisée en 2020 dans les établissements d’expérimentation animale et qu’elle ne disposait pas d’un tableau de suivi des dates des inspections. Par la présente requête, M. Marty demande au tribunal d’annuler la décision par laquelle la DDPP de Vaucluse a refusé de lui communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale du département de Vaucluse.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 de ce code : « Ne sont pas communicables : / (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / (…) ». Aux termes de l’article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (…) et au secret des affaires (…) / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) ». Enfin, aux termes de l’article L. 311-7 du même code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. ».
3. Il résulte de ces dispositions qu’un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature, au secret des affaires, ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
4. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée, élaborés dans le cadre des missions de service public exercées par les services vétérinaires des directions départementales en charge de la protection des populations, constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont donc soumis au droit d’accès prévu à l’article L. 311-1 de ce code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 cités au point 3.
5. En premier lieu, le préfet de Vaucluse fait valoir qu’il existe, notamment à travers les associations antispécistes, des courants d’opposition forte et violente à l’encontre des expérimentations menées sur les animaux, qu’une antenne « Bénévoles L214 Vaucluse » est implantée à Avignon, et que M. Marty est membre de plusieurs associations antispécistes. Toutefois, ces affirmations ne suffisent pas à regarder la communication des rapports d’inspection des établissements menant des expérimentations sur des animaux comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, la seule communication de ces documents n’étant pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le préfet de Vaucluse, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
6. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée, ainsi que le fait valoir le préfet de Vaucluse. L’administration fait, par conséquent, valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.
7. En deuxième lieu, pour justifier le refus de communication, le préfet de Vaucluse soutient que la demande de communication de M. Marty fait peser une charge de travail disproportionnée. Toutefois, le préfet n’apporte aucun élément au soutien de cette affirmation, la préfecture n’indiquant pas le nombre d’établissements concernés au sein du département, et il ne ressort pas des pièces du dossier que la charge de travail associée à la demande de communication de M. Marty serait disproportionnée au regard des moyens humains dont dispose la DDPP de Vaucluse. Dès lors, le préfet de Vaucluse n’est pas fondé à soutenir que la demande présentée par M. Marty ferait spécialement peser sur les services de l’Etat une charge excessive ou viserait à en perturber le bon fonctionnement et, en conséquence, qu’elle serait abusive.
8. En troisième lieu, le préfet de Vaucluse se prévaut de la protection du secret des affaires au motif que les rapports dont la communication est demandée décrivent les molécules en cours de test ou de développement ainsi que les protocoles d’expérimentation. Toutefois, une telle circonstance, à la supposer avérée, ne fait pas obstacle à la communication des rapports, le préfet étant seulement tenu d’occulter les mentions protégées par le secret des affaires conformément aux dispositions combinées des articles L. 311-6, 1° et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.
9. En quatrième et dernier lieu, le préfet de Vaucluse fait valoir que M. Marty n’a pas conclu avec le directeur général de l’alimentation la convention préalable telle que prévue par l’article 3 de l’arrêté du 18 avril 2016 susvisé et que la demande de M. Marty méconnaît l’article 3 de cet arrêté. Toutefois, il ressort des écritures du requérant que sa demande de communication ne porte pas sur des informations extraites du traitement automatisé de données Resytal régi par l’arrêté du 18 avril 2016. Par suite, les dispositions dudit arrêté relatives à la mise en œuvre de ce traitement automatisé de données ne sont pas opposables à la demande de communication en cause.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision du préfet de Vaucluse par laquelle la communication du dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale du département de Vaucluse lui a été refusée.
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
11. Il résulte de ce qui précède que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet de Vaucluse communique à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département de Vaucluse, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements ainsi que des mentions protégées, le cas échéant, par le secret des affaires. Il y a, dès lors, lieu d’enjoindre au préfet d’y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. En revanche, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : La décision du préfet de Vaucluse est annulée en tant qu’elle refuse de communiquer à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale du département de Vaucluse.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de Vaucluse de communiquer à M. Marty, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, les rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale de ce département après occultation des mentions relatives à l’identification des physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des mentions protégées, le cas échéant, par le secret des affaires.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2022.