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TA Orléans, jugement n°2004559 du 07/04/2022 (Nicolas Marty c. DDPP37)

Les rapports d’inspection sont communicables sous réserve d’occulter « les seules mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein des établissements et des inspecteurs ayant effectué ces contrôles ». La crainte de sécurité publique n’est pas attestée.

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2004559 du 25 janvier 2022, la magistrate désignée, avant de statuer sur la requête de M. Nicolas Marty tendant, d’une part, à l’annulation de la décision de la préfète d’Indre-et-Loire en tant qu’elle refuse la communication des dates, des numéros des rapports, du nom des établissements, du contexte des inspections et de passages entiers de commentaires figurant dans les rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques » établis en son nom et pour son compte par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d’Eure-et-Loir et par la direction départementale de la protection des populations d’Indre-et-Loire et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à ces directions de communiquer ces documents en y rendant apparentes les occultations, a ordonné un supplément d’instruction tendant à la production par la préfète d’Indre-et-Loire de ces documents au seul tribunal, sans aucune occultation mais avec indication des occultations jugées nécessaires.

Les quatorze rapports d’inspection établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d’Eure-et-Loir et par la direction départementale de la protection des populations d’Indre-et-Loire ont été produits par la préfète d’Indre-et-Loire et enregistrés au greffe du tribunal le 1er mars 2022, sans que communication de ces documents soit adressée à M. Marty, conformément aux motifs du jugement avant dire droit du 25 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme xxx, vice-présidente, pour statuer sur le litige en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de Mme xxx ;
– et les conclusions de Mme xxx, rapporteure publique.

 

Considérant ce qui suit :

1. En réponse à la demande de communication que lui a adressée M. Marty, la préfète d’Indre-et-Loire a transmis à l’intéressé par voie électronique, le 3 décembre 2020, quatorze rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques » établis en son nom et pour son compte par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d’Eure-et-Loir et par la direction départementale de la protection des populations d’Indre-et-Loire après avoir occulté un certain nombre d’informations y figurant. Par un jugement n° 2004559 du 25 janvier 2022, le tribunal, avant de statuer sur la requête de M. Marty tendant, d’une part, à l’annulation de la décision de la préfète d’Indre-et-Loire en tant qu’elle refuse la communication des dates, des numéros des rapports, du nom des établissements, du contexte des inspections et de passages entiers de commentaires figurant dans ces rapports et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à l’administration de communiquer ces documents en y rendant apparentes les occultations, a ordonné un supplément d’instruction tendant à la production par la préfète d’Indre-et-Loire de ces documents au seul tribunal, sans aucune occultation mais avec indication des occultations jugées nécessaires.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 de ce code : « Ne sont pas communicables : (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / (…) ». Selon l’article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle ; / (…) /3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice (…) ». Enfin, l’article L. 311-7 de ce code dispose : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».

3. Il résulte de ces dispositions qu’un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

4. En premier lieu, après avoir pris connaissance des rapports non occultés transmis par la préfète d’Indre-et-Loire, il est constant qu’aucun motif ne s’oppose à la communication du numéro de ces rapports, dont plusieurs n’ont d’ailleurs pas été dissimulés dans les documents adressés à M. Marty le 3 décembre 2020, ni à celle des dates des inspections ainsi que du contexte dans lequel sont intervenus ces contrôles.

5. En deuxième lieu, la préfète d’Indre-et-Loire soutient que la communication des rapports litigieux non occultés est susceptible de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes au sens du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration en raison des risques importants de représailles, tant à l’encontre d’établissements pratiquant l’expérimentation animale que des personnes qui y travaillent, de la part de certaines associations d’activistes pour la protection animale avec lesquelles M. Marty entretient publiquement des liens étroits. La préfète invoque, à cet égard, le risque que présenterait la diffusion, sur un site internet notamment, d’informations actuellement non publiques permettant l’identification des sites concernés et de leurs dirigeants, voire de leurs salariés. Toutefois, en se bornant à faire état d’articles de presse à caractère très général relatifs à l’activité d’associations antispécistes dans le département de la Gironde, ainsi qu’à la condamnation de militants pour s’être introduits par effraction dans les locaux de l’INRAE près de Toulouse pour libérer des lapines gestantes et à un reportage sur l’association « 269 Libération animale », la préfète ne caractérise pas, en l’espèce, l’existence d’une menace avérée pour la sécurité des locaux et des biens ainsi que pour celle des personnes physiques y exerçant une activité professionnelle en cas de divulgation, notamment, de l’identité des établissements en cause, de leur lieu d’implantation, des espèces d’animaux concernés ainsi que de la nature et de la gravité des non-conformités relevées tant au plan technique qu’administratif.

6. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que le ou les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée ont droit à la protection de leur vie privée. L’administration fait donc valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. Marty est fondé à demander l’annulation de la décision du 3 décembre 2020 par laquelle la préfète d’Indre-et-Loire, statuant sur sa demande de communication de documents réitérée le 1er décembre 2020 à la suite de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents administratifs, a décidé de lui communiquer quatorze rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques » établis en son nom et pour son compte par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d’Eure-et-Loir et par la direction départementale de la protection des populations d’Indre-et-Loire, en occultant dans ces documents des mentions autres que celles mentionnées au point 6 du présent jugement.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

8. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».

9. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que la préfète d’Indre-et-Loire communique à M. Marty les rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d’Eure-et-Loir et par la direction départementale de la protection des populations d’Indre-et-Loire, après avoir occulté dans chacun de ces documents, les seules mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein des établissements et des inspecteurs ayant effectué ces contrôles. Il y a lieu, dès lors, d’ordonner à la préfète de procéder à ces diligences dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 3 décembre 2020 par laquelle la préfète d’Indre-et-Loire a communiqué à M. Marty les quatorze rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d’Eure-et-Loir et par la direction départementale de la protection des populations d’Indre-et-Loire en occultant des mentions autres que celles permettant l’identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans ces établissements ainsi que des rédacteurs des rapports de contrôle, est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à la préfète d’Indre-et-Loire de communiquer à M. Marty, dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement, les quatorze rapports d’inspection dénommés « Eleveur/utilisateur d’animaux utilisés à des fins scientifiques » établis par la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations d’Eure-et-Loir et par la direction départementale de la protection des populations d’Indre-et-Loire, après avoir occulté les mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein des établissements et des inspecteurs ayant effectué ces contrôles.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au ministre de l’intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, à la préfète d’Indre-et-Loire.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 avril 2022.