Les dossiers de demande d’autorisation de projet (DAP) et les évaluations éthiques réalisées par le comité d’éthique en expérimentation animale du ministère des Armées sont communicables. Les agents de l’IRBA « n’entrent pas dans le champ d’application du dernier alinéa de l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle », le droit de propriété intellectuelle ne peut donc pas être opposé à la communication des documents. Les craintes de sécurité, liées d’après le ministère à la description de « capacités réelles des équipements militaires » dans les documents, ne sont pas caractérisées puisque les documents ne contiennent pas ces éléments. L’identification des personnes physiques est justifiée par la sécurité des personnes.
Vu la procédure suivante :
Par une ordonnance du 30 mai 2022, le président du tribunal administratif de Versailles a renvoyé au tribunal administratif de Paris la requête présentée par M. Nicolas Marty. Par cette requête et des mémoires enregistrés les 4 décembre 2020, 9 mars 2022,30 juin 2023 et 16 février 2024, M. Nicolas Marty demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle l’institut de recherche biomédicale des armées a refusé de lui communiquer des dossiers de projets et des comptes rendus des réunions du comité d’éthique expérimentation animale depuis 2018 ;
2°) d’enjoindre à l’institut de recherche biomédicale des armées de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, lesdits documents.
Par des mémoires en défense enregistrés les 14 février 2022, 30 juin 2023 et 2 février 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête en soutenant que son refus est justifié par les dispositions des articles L. 311-5 2° d) et L. 311-4 du code des relations entre le public et l’administration.
Par un courrier du 7 novembre 2023, le ministre des armées a été invité, en application de l’article R. 613-1-1 du code de justice administrative, à produire des éléments ou des pièces en vue de compléter l’instruction. Les pièces produites par le ministre des armées en réponse à cette invitation ont été enregistrées le 2 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de la propriété intellectuelle ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. xxx, rapporteur,
– et les conclusions de Mme xxx, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courriel du 18 juin 2020, M. Nicolas Marty a demandé à l’institut de recherche biomédicale des armées, de lui communiquer les dossiers de projets de recherche impliquant des animaux qui auraient été soumis au comité d’éthique en expérimentation animale ainsi que les comptes rendus de ce comité d’éthique depuis 2018. Sans réponse à ce courriel, M. Marty a saisi la commission d’accès aux documents administratifs qui a rendu le 29 octobre 2020 un avis favorable, sous réserve que la communication ne porte pas atteinte aux secrets protégées par l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Par la présente requête, M. Marty demande l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des armées a refusé de lui communiquer lesdits documents.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article R. 214-99 du code rural et de la pêche maritime : « Tout établissement éleveur, fournisseur ou utilisateur doit être agréé. A cet effet, sous réserve des dispositions de l’article R. 214-127, une demande d’agrément est adressée par le responsable de l’établissement au préfet du département du lieu d’implantation de l’établissement. Cette demande est accompagnée d’un dossier dont les éléments sont précisés par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense. (…) » L’article R. 214-117 du même code dispose que : « I.-Sous réserve des dispositions de l’article R. 214-127, tout projet fait l’objet d’une évaluation éthique par un comité d’éthique en expérimentation animale agréé par arrêté du ministre chargé de la recherche. A cet effet, des comités d’éthique en matière d’expérimentation animale sont créés à l’initiative des établissements utilisateurs. Tout établissement utilisateur doit relever d’un seul comité. Plusieurs établissements utilisateurs peuvent dépendre d’un même comité. (…) ». L’article R. 214-99 du même code dispose que : « L’évaluation éthique des projets mentionnée à l’article R. 214-123 est effectuée par le comité d’éthique en expérimentation animale dont relève l’établissement utilisateur. Elle permet de vérifier que le projet satisfait aux critères suivants : 1° Le projet est justifié du point de vue scientifique ou éducatif, ou requis par la loi ; 2° Les objectifs justifient l’utilisation des animaux ; 3° Le projet est conçu pour permettre le déroulement des procédures expérimentales dans les conditions les plus respectueuses de l’animal et de l’environnement. (…) ». Aux termes de l’article R. 214-122 de ce code : « Sans préjudice de l’application des dispositions de l’article R. 214-127, la réalisation d’un projet comportant l’exécution d’une ou de plusieurs procédures expérimentales est soumise à l’obtention d’une autorisation accordée par le ministre chargé de la recherche dans les conditions prévues à l’article R. 214-123. (…) » Enfin, l’article R. 214-127 dispose que : « Pour l’application des dispositions de la présente section, le ministre de la défense est seul compétent pour recevoir et instruire les demandes d’autorisation, d’agrément et de dérogation et pour accorder ou refuser ces autorisations, agréments et dérogations lorsque les procédures expérimentales concernent les établissements relevant de son autorité ou de sa tutelle (…) ».
3. Par ailleurs, aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une oeuvre de l’esprit n’emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n’est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l’auteur de l’oeuvre de l’esprit est un agent de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale, de la Banque de France, de l’Institut de France, de l’Académie française, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, de l’Académie des sciences, de l’Académie des beaux-arts ou de l’Académie des sciences morales et politique. Les dispositions des articles L. 121-7-1 et L. 131-3-1 à L. 131-3-3 ne s’appliquent pas aux agents auteurs d’oeuvres dont la divulgation n’est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique ». Aux termes de l’article L. 112-2 de ce code : Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : 1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ; (…) ».
4. Aux termes de l’article L. 121-7-1 du même code : « Le droit de divulgation reconnu à l’agent mentionné au troisième alinéa de l’article L. 111-1, qui a créé une œuvre de l’esprit dans l’exercice de ses fonctions ou d’après les instructions reçues, s’exerce dans le respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d’agent et de celles qui régissent l’organisation, le fonctionnement et l’activité de la personne publique qui l’emploie (…) »
5. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. » Aux termes de l’article L. 300-2 de ce code : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. » Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. »
6. Enfin, aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : « Ne sont pas communicables : / (…) / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) / d) à la sureté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations (…). Selon l’article L. 311-4 de ce code : « Les documents administratifs sont communiqués ou publiés sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique. » Enfin, aux termes de l’article L. 311-7 de ce même code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. »
7. En premier lieu, pour refuser de communiquer les dossiers de projets de recherche impliquant des animaux soumis au comité d’éthique en expérimentation animale, le ministre des armées indique dans son mémoire en défense s’être fondé sur l’article L. 311-4 du code des relations entre le public et l’administration précité. Il fait valoir que ces projets de recherche qui détaillent de manière précise les objectifs scientifiques et médicaux des études envisagées sont élaborés par des médecins chercheurs. Les écrits scientifiques appartiendraient, en conséquence, à ces chercheurs qui en leur qualité d’auteurs se sont opposés à leur divulgation.
8. Pour déterminer si le refus de communiquer les documents demandés par M. Marty est justifié par les dispositions des articles L. 311-5 2° d) et L. 311-4 code des relations entre le public et l’administration, le tribunal administratif de Paris, a, par le courrier visé ci-dessus du 7 novembre 2023, ordonné à l’administration de lui transmettre les documents litigieux afin de se prononcer sur leur caractère communicable. Si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige.
9. Il ressort de l’examen des documents produits en application de ce supplément d’instruction que, d’une part, l’identité des auteurs des formulaires de demandes d’autorisation de projet soumis ultérieurement au comité d’éthique en expérimentation animale ne figure pas sur les documents. Ainsi, il n’est pas possible d’identifier leurs auteurs. D’autre part, ces écrits scientifiques sont dépourvus de tout caractère d’originalité dès lors qu’il ne s’agit que de résumés succincts des expérimentations accompagnés d’une présentation sommaire du protocole expérimental et des motivations des démarches. Par suite, ils ne reflètent pas l’empreinte de la personnalité de leur auteur en ce qu’ils ne font état ni des caractéristiques traduisant un authentique parti-pris scientifique ni des résultats des expérimentations. Il en résulte que le ministre des armées ne démontre pas que les dossiers de projets et des comptes rendus des réunions du comité d’éthique expérimentation animale depuis 2018 sont des œuvres originales et, à ce titre, qu’ils sont éligibles à la protection par le droit d’auteur. En tout état de cause, il résulte de l’instruction que les agents de l’IRBA n’entrent pas dans le champ d’application du dernier alinéa de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dès lors qu’ils sont soumis au contrôle du comité d’éthique en expérimentation animale chargé de remettre des avis préalables sur les demandes d’autorisation de projet. Il s’ensuit que, conformément aux dispositions de l’article L. 121-7-1 du code de la propriété intellectuelle, le personnel de l’établissement en cause détient un droit de divulgation sur les œuvres de l’esprit qu’il créé, sous réserve des règles régissant le droit de toute personne à se voir communiquer des documents administratifs. Il en résulte que le refus des chercheurs qui ont élaboré les projets de recherche de divulguer leurs études n’est pas opposable à la demande de communication desdites études.
10. En second lieu, le ministre des armées soutient également que la communication des documents litigieux porterait atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations. Il ressort des pièces du dossier que la circonstance, alléguée par le ministre de la défense, que les comptes rendus demandés décriraient les capacités réelles des équipements militaires ainsi que les procédures utilisées pour évaluer les contre-mesures médicales ne peut être tenue pour établie. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que les documents demandés se bornent à faire état des justifications et objectifs des expérimentations sans mentionner des données militaires sensibles ou stratégiques de nature à porter atteinte à la sécurité publique. Partant, M. Marty est fondé à demander la communication des documents administratifs en cause, sous réserve de l’occultation préalable des noms et prénoms cités en raison de la sécurité des personnes, et l’annulation de la décision attaquée lui refusant cette communication.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
11. Eu égard à ses motifs, le présent jugement implique nécessairement que le ministre des armées communique à M. Marty les documents administratifs demandés, sous les réserves indiquées aux points 8 et 9 du présent jugement. Par suite, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu de lui enjoindre de les lui communiquer, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction de l’astreinte prévue à l’article L. 911-3 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle le ministre de la défense a implicitement refusé à M. Marty la communication des dossiers de projets et des comptes rendus des réunions du comité d’éthique expérimentation animale depuis 2018 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de la défense, sous les réserves indiquées aux points 8 et 9 du présent jugement, de communiquer à M. Marty les dossiers de projets et des comptes rendus des réunions du comité d’éthique expérimentation animale depuis 2018 et ce, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au ministre des armées.
Délibéré après l’audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. xxx, président,
M. xxx, premier conseiller,
M. xxx, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 30 mai 2024.