Les éléments d’évaluation des comités d’éthique en expérimentation animale (évaluations éthiques, avis adressés au ministère de la Recherche et appréciations rétrospectives des projets) relèvent du champ du code de l’environnement, ouvrant un droit à communication plus étendu. Ils sont communicables sous réserve d’y occulter les mentions « de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou au respect de leur vie privée ou à faire apparaître le comportement d’une personne dont la divulgation pourrait lui porter préjudice ».
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 16 novembre 2022, le 31 mai 2023 et le 27 septembre 2023, l’association One Voice, représentée par l’AARPI Géo Avocats, agissant par Me Coline Robert, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le président du muséum national d’histoire naturelle (MNHN) a refusé de lui communiquer divers documents relatifs à l’établissement d’élevage et d’utilisation d’animaux à des fins scientifiques du centre d’écologie générale de Brunoy ;
2°) d’enjoindre au MNHN de lui communiquer ces documents ;
3°) de mettre à la charge du MNHN la somme de 2 400 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :
– sa requête est recevable ;
– les documents qui lui ont finalement été communiqués étant incomplets, elle n’a pas perdu son objet ;
– les documents dont la communication a été demandée constituant des documents administratifs communicables, aucune exception à leur communication n’étant susceptible d’être opposée et le MNHN étant nécessairement en leur possession, la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit ;
– les avis, évaluations et appréciations portées par le comité Cuvier sur des données objectives de projet ayant un impact sur la diversité biologique dans le but de contrôler le respect de la réglementation applicable et des principes permettant d’assurer le bien-être des animaux constituant des informations relatives à l’environnement dont la communication doit être largement assurée et étant insusceptibles de relever des exceptions à la communication visées par le code de l’environnement, la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mai 2023, le MNHN conclut au rejet de la requête.
Il soutient que, étant parvenu, malgré les difficultés, à obtenir les documents demandés par One Voice et les lui ayant finalement transmis, sa requête est devenue sans objet.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code rural ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Julinet, premier conseiller ;
– les conclusions de M. Degand, rapporteur public ;
– et les observations de M. A pour le MNHN.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 15 octobre 2021, l’association One Voice a demandé au muséum national d’histoire naturelle (MNHN) la communication des évaluations éthiques réalisées depuis 2013 par le comité d’éthique en expérimentation animale Cuvier (le comité Cuvier) sur les projets expérimentaux impliquant des microcèbes du laboratoire d’écologie générale du MNHN à Brunoy, des avis du comité Cuvier sur ces projets et des évaluations rétrospectives de ces projets. En l’absence de réponse à sa demande, One Voice a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande d’avis enregistrée le 22 novembre 2021. Le 27 janvier 2022, la CADA a émis un avis favorable à la communication de ces documents, sous réserve de l’occultation des mentions relevant des secrets protégés en application des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Par sa requête, One Voice demande au tribunal d’annuler la décision implicite de rejet née, en application de l’article R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, du silence gardé par le MNHN plus de deux mois à compter de la saisine, le 22 janvier 2022, de la CADA sur la demande de communication de documents administratifs qu’elle lui avait adressée le 15 octobre 2021.
Sur l’exception de non-lieu à statuer :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les évaluations antérieures à octobre 2015 et les avis et appréciations rétrospectives relatives à ces projets n’ont pas été communiqués à One Voice, à l’exception de l’avis du 15 janvier 2015 et de l’évaluation rétrospective relatifs au projet » Etude des mécanismes impliqués dans les variations saisonnières du métabolisme chez le microcèbe : un modèle « d’obésité réversible » « , communiqués par le MNHN en annexe à son courrier à One Voice du 9 mai 2023 et également, pour le second, par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Dès lors, les conclusions de la requête relatives à ces informations n’ont pas perdu, à l’exception de ces documents, leur objet et il y a lieu, dans cette mesure, d’y statuer.
3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que deux des douze avis communiqués par le MNHN ne sont pas accompagnés des rapports d’évaluation sur le fondement desquels ils ont été donnés, d’autre part, que les rapports d’évaluation sur le fondement desquels l’avis sur le projet » Technique de cathétérisation de la veine jugulaire chez le microcèbe et pose d’une chambre implantable « , communiqué par ailleurs à One Voice par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, n’a pas non plus été communiqué et, enfin, que les dix rapports d’évaluation produits concluaient tous à la nécessité d’apporter des précisions ou des corrections sur les projets évalués avant qu’un avis puisse être donné et ont dès lors nécessairement été suivis de nouveaux rapports qui n’ont pas été communiqués. D’ailleurs, dix des treize avis se rapportent à une deuxième, troisième, quatrième ou cinquième version du projet. Dès lors, les conclusions de la requête relatives à la communication des rapports d’évaluation n’ont pas perdu, à l’exception des dix rapports communiqués, leur objet et il y a lieu, dans cette mesure, d’y statuer.
4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que seulement six des treize évaluations rétrospectives imposées par les avis communiqués à One Voice l’ont également été et, d’autre part, que, comparées à la copie de l’appréciation rétrospective du projet » Etude des mécanismes impliqués dans les variations saisonnières du métabolisme chez le microcèbe : un modèle « d’obésité réversible » » communiquée par ailleurs à One Voice par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche qui la tenait lui-même du MNHN, les copie des évaluations rétrospectives qui lui ont été communiquées par le MNHN n’en constituent qu’une version très résumée. Dès lors, les conclusions de la requêtes relatives à la communication des évaluations rétrospectives n’ont pas perdu, à l’exception de celle du projet précité, leur objet et il y a lieu, dans cette mesure, d’y statuer.
5. Il résulte de tout ce qui précède que l’exception de non-lieu à statuer doit être rejetée dans la mesure résultant de ce qui est dit ci-dessus.
Sur le surplus des conclusions à fin d’annulation :
6. D’une part, aux termes de l’article L. 124-1 du code de l’environnement : » Le droit de toute personne d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques mentionnées à l’article L. 124-3 ou pour leur compte s’exerce dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions du présent chapitre « . Aux termes de l’article L. 124-2 du même code : » Est considérée comme information relative à l’environnement au sens du présent chapitre toute information disponible, quel qu’en soit le support, concernant : / () / 5° Les rapports établis par les autorités publiques ou pour leur compte sur l’application des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement « . Aux termes de l’article L. 124-3 dudit code : » Toute personne qui en fait la demande reçoit communication des informations relatives à l’environnement détenues par : / 1° L’Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les établissements publics ; / () « . D’autre part, aux termes de l’article L. 124-4 de ce code : » I. – Après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, l’autorité publique peut rejeter la demande d’une information relative à l’environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : / 1° Aux intérêts mentionnés aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l’administration, à l’exception de ceux visés au e et au h du 2° de l’article L. 311-5 ; / 2° A la protection de l’environnement auquel elle se rapporte ; / 3° Aux intérêts de la personne physique ayant fourni, sans y être contrainte par une disposition législative ou réglementaire ou par un acte d’une autorité administrative ou juridictionnelle, l’information demandée sans consentir à sa divulgation ; / 4° A la protection des renseignements prévue par l’article 6 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. / II. – Sous réserve des dispositions du II de l’article L. 124-6, elle peut également rejeter : / 1° Une demande portant sur des documents en cours d’élaboration ; / 2° Une demande portant sur des informations qu’elle ne détient pas ; / 3° Une demande formulée de manière trop générale « . Aux termes de l’article L. 124-6 de ce code : » () / II.- Lorsque ce rejet est fondé sur le 1° du II de l’article L. 124-4, cette décision indique le délai dans lequel le document sera achevé, ainsi que l’autorité publique chargée de son élaboration. () « .
7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et il n’est d’ailleurs pas contesté en défense qu’en application de ces dispositions, les informations dont One Voice demande la communication au MNHN, qui se rapportent directement aux missions de contrôle des modalités d’utilisation d’animaux vivants à des fins scientifiques prévues par la section 6 du chapitre IV du titre Ier du livre II de la partie réglementaire du code rural et de la pêche maritime aux fins d’évaluation éthique des projets prévue par les articles R. 214-17 et suivants du même code constituent des informations relatives à l’environnement et qu’elles n’entrent dans aucune des exceptions prévues par les dispositions précitées de l’article L. 124-4 du code de l’environnement, sous réserve de l’occultation des mentions relevant des secrets protégés en application des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration tenant à la sécurité des personnes, au respect de la vie privée ou faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. Dès lors, elles lui sont, sous cette réserve, communicables.
8. En deuxième lieu, le MNHN fait valoir que les principes d’indépendance sur lesquels reposent le fonctionnement des comités d’éthique en expérimentation animale créés à l’initiative des établissements utilisateurs et agréés par le ministre chargé de la recherche et le manque de clarté sur leur statut, en particulier sur celui du comité Cuvier qui a produit les informations dont One Voice lui a demandé la communication et dont il n’a pas forcément été destinataire, expliquent les difficultés qu’il a rencontrées pour les obtenir. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que les avis du comité Cuvier sur les projets qui lui ont été soumis par le laboratoire de Brunoy, qui conditionnent la mise en œuvre de ces projets, ont nécessairement été transmis au laboratoire de Brunoy, unité mixte de recherche du CNRS et du MNHN, d’autre part, que les évaluations rétrospectives sont rédigées, en réponse à un questionnaire type établi par le Comité Cuvier, par les établissements utilisateurs, en l’espèce le laboratoire de Brunoy, qui en détient dès lors nécessairement une copie. En outre, le Comité Cuvier, créé à l’initiative du MNHN et fonctionnant avec les moyens qu’il lui alloue, n’a pas de personnalité morale distincte du MNHN et la communication au président du MNHN des rapports d’évaluation, des avis et des évaluations rétrospectives des projets sur lesquels il a émis un avis pour qu’il les communique à One Voice n’est pas de nature à remettre en cause l’indépendance de son fonctionnement. Dès lors, les difficultés invoquées par le MNHN ne sont pas de nature à justifier une impossibilité pour le MNHN de les communiquer à One Voice.
9. En troisième lieu, d’une part, s’il ressort des pièces du dossier, et en particulier de l’extrait du compte rendu de la réunion du comité Cuvier du 1er octobre 2015 joint au courrier du MNHN à One Voice du 9 mai 2023, que le président du Comité s’est fait voler le 11 septembre 2015 son ordinateur portable, il n’en ressort pas en revanche que les avis du comité n’étaient archivés que dans cet ordinateur et que le comité n’en détenait pas une autre copie au format papier ou sous forme de fichiers informatiques stockés dans la mémoire d’un autre appareil. Dès lors, la perte des avis antérieurs à cette date ne peut être regardée comme établie. D’autre part, il résulte de ce qui est dit au point précédent que le laboratoire de Brunoy détient nécessairement ces avis. Dès lors, l’impossibilité pour le MNHN de communiquer à One Voice les avis antérieurs à octobre 2015 ne peut être regardée comme établie. Par suite, le refus de communiquer ces avis est illégal.
10. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, en particulier de la copie de l’évaluation rétrospective du projet » Etude des mécanismes impliqués dans les variations saisonnières du métabolisme chez le microcèbe : un modèle « d’obésité réversible » » communiquée à One Voice par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que les informations contenues dans ces évaluations et supprimées dans les résumés qui lui ont communiqués par le MNHN, autres que les informations nominatives qui peuvent être occultées sans difficulté particulière comme elles l’ont été dans l’évaluation communiquée par le ministre, ne portent pas atteinte à la sécurité des personnes, au respect de la vie privée et ne font pas apparaître le comportement d’une personne dont la divulgation pourrait lui porter préjudice. Dès lors, le refus de communiquer ces informations est illégal.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la décision par laquelle le MNHN a refusé de communiquer à One Voice les informations dont elle lui a demandé la communication le 15 octobre 2021, sauf en tant qu’elle porte sur les dix rapports d’évaluation et les douze avis qu’elle lui a communiqués le 9 mai 2023 et sur l’avis et l’évaluation rétrospective qui lui ont été communiqués par ailleurs par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, est illégale. Dès lors, One Voice est fondée à demander l’annulation, dans cette mesure, de la décision implicite par laquelle le MNHN a refusé de lui communiquer les évaluations éthiques réalisées depuis 2013 par le comité Cuvier sur les projets expérimentaux impliquant des microcèbes du laboratoire d’écologie générale du MNHN à Brunoy, des avis du comité Cuvier sur ces projets et des évaluations rétrospectives de ces projets.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
12. En raison des motifs qui la fondent, l’annulation de la décision implicite par laquelle l’INSERM a refusé de communiquer à One Voice les évaluations éthiques réalisées depuis 2013 par le comité Cuvier sur les projets expérimentaux impliquant des microcèbes du laboratoire d’écologie générale du MNHN à Brunoy, des avis du comité Cuvier sur ces projets et des évaluations rétrospectives de ces projets implique nécessairement que ces documents lui soient communiqués. Il y a lieu, sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre au MNHN de communiquer ces documents à One Voice, sous réserve de l’occultation des mentions nominatives de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou au respect de leur vie privée ou à faire apparaître le comportement d’une personne dont la divulgation pourrait lui porter préjudice, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du MNHN, sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par One Voice et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de One Voice tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le MNHN a refusé de lui communiquer les évaluations éthiques réalisées depuis 2013 par le comité Cuvier sur les projets expérimentaux impliquant des microcèbes du laboratoire d’écologie générale du MNHN à Brunoy, des avis du comité Cuvier sur ces projets et des évaluations rétrospectives de ces projets en tant qu’elle porte sur la communication des dix rapports d’évaluation et des douze avis qu’il lui a communiqués le 9 mai 2023 et de l’avis et de l’évaluation rétrospective qui lui ont été communiqués par ailleurs par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Article 2 : Le surplus de la décision du MNHN est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au MNHN de communiquer à One Voice les évaluations éthiques réalisées depuis 2013 par le comité Cuvier sur les projets expérimentaux impliquant des microcèbes du laboratoire d’écologie générale du MNHN à Brunoy, les avis du comité Cuvier sur ces projets et les évaluations rétrospectives de ces projets, sous réserve de l’occultation des mentions nominatives de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou au respect de leur vie privée ou à faire apparaître le comportement d’une personne dont la divulgation pourrait lui porter préjudice, à l’exception des dix rapports d’évaluation et des douze avis qu’il lui a communiqués le 9 mai 2023 et de l’avis et de l’évaluation rétrospective qui lui ont été communiqués par ailleurs par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : le MNHN versera à One Voice une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association One Voice et au muséum national d’histoire naturelle.
Une copie en sera adressée à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l’audience du 17 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Ho Si Fat, président,
M. Julinet, premier conseiller,
M. Medjahed, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2024.