Le dossier de demande d’autorisation d’un projet d’expérimentation animale est communicable en y occultant les mentions « dont la communication porterait atteinte, notamment, à la protection de la vie privée de personnes physiques ». L’existence d’un résumé non technique librement accessible en ligne ne suffit pas à nullifier la communicabilité du dossier complet de DAP. Le ministère de la Recherche doit verser 1500€ à One Voice.
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 27 février 2023, complété par un mémoire enregistré le 11 décembre 2023, l’association One Voice, représentée par l’AARPI Géo Avocats, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche portant refus de communication du dossier de demande d’autorisation du projet intitulé « Préparation de poumons de rongeurs (ou cobayes) pour la fabrication de médicaments homéopathiques » ;
2°) d’enjoindre à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de lui communiquer les documents sollicités, ou à titre subsidiaire, de lui ordonner par un jugement avant dire-droit, de remettre à la juridiction le document en cause afin qu’elle constate sa communicabilité ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 400 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– les documents administratifs sollicités sont bien communicables au sens de la loi, comme l’a relevé la CADA dans des hypothèses similaires ;
– la communication effectuée par la ministre le 3 janvier 2023 est particulièrement partielle et ne couvre pas l’intégralité de la demande initiale ;
-la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche est en capacité, au besoin, d’occulter les mentions protégées par la loi avant la communication desdits documents.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 décembre 2023, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu :
– l’avis n° 20227896 26 janvier 2023 de la commission d’accès aux documents administratifs ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de santé publique ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Après avoir, au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. xxx,
– les conclusions de Mme xxx, rapporteure publique,
– et les observations de Me xxx pour l’association One Voice.
Considérant ce qui suit :
- Par un courrier en date du 21 octobre 2022, l’association One Voice a demandé à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche la communication du dossier de demande d’autorisation de la procédure expérimentale intitulée : « Préparation de poumons de rongeurs (ou cobayes) pour la fabrication de médicaments homéopathiques », l’autorisation reçue à ce titre par la personne porteuse de cette procédure ainsi que l’avis complet du comité d’éthique. En l’absence de réponse, l’association requérante a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) le 20 décembre 2022. Le 2 janvier 2023, la ministre a communiqué à l’association requérante la copie de l’avis du comité d’éthique ainsi que la décision d’autorisation de ce projet. La CADA a rendu un avis favorable avec réserves le 26 janvier 2023. Par la présente requête, l’association One Voice demande au tribunal l’annulation de la décision de la ministre de la transition écologique en tant qu’elle a refusé de lui communiquer le dossier de demande d’autorisation du projet en cause.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
- Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par les dispositions des titres Ier, III et IV du présent livre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs ». Aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, (…), quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ». Selon l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : « Ne sont pas communicables : (…) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / (…) / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ». Aux termes de l’article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs:/ 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée ; (…) / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice ». L’article L. 311-7 de ce même code dispose : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».
- Aux termes de l’article L. 124-1 du code de l’environnement : « Le droit de toute personne d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues, reçues ou établies par les autorités publiques mentionnées à l’article L. 124-3 ou pour leur compte s’exerce dans les conditions définies par les dispositions du titre Ier du livre III du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve des dispositions du présent chapitre ».
- Aux termes de l’article R. 214-87 du code rural et de la pêche maritime : « Les dispositions de la présente section s’appliquent lorsque des animaux sont utilisés ou destinés à être utilisés dans des procédures expérimentales telles que définies à l’article R. 214-89, ou lorsqu’ils sont élevés pour que leurs organes ou tissus puissent être utilisés à des fins scientifiques (…) ». Aux termes de l’article R. 214-89 : « Au sens de la présente section et des textes pris pour son application, on entend par : 1° » procédure expérimentale » : – toute utilisation, invasive ou non, d’un animal à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques, y compris lorsque les résultats sont connus, ou à des fins éducatives (…) Dès lors que cette utilisation ou cette intervention sont susceptibles de causer à cet animal une douleur, une souffrance, une angoisse ou des dommages durables équivalents ou supérieurs à ceux causés par l’introduction d’une aiguille effectuée conformément aux bonnes pratiques vétérinaires ». L’article R. 214-119 prévoit que : « L’évaluation éthique des projets mentionnée à l’article R. 214-123 est effectuée par le comité d’éthique en expérimentation animale dont relève l’établissement utilisateur. Elle permet de vérifier que le projet satisfait aux critères suivants : 1° Le projet est justifié du point de vue scientifique ou éducatif, ou requis par la loi ; 2° Les objectifs justifient l’utilisation des animaux ; 3° Le projet est conçu pour permettre le déroulement des procédures expérimentales dans les conditions les plus respectueuses de l’animal et de l’environnement ». L’article R. 214-120 dispose qu’« au vu du dossier fourni pour l’évaluation éthique d’un projet, le comité d’éthique en expérimentation animale dont relève l’établissement peut exiger qu’une appréciation rétrospective de ce projet soit menée à l’issue de la réalisation de celui-ci ». Enfin aux termes de l’article R. 214-121 de ce code : « Tous les documents pertinents, y compris l’autorisation de projet et le résultat de l’évaluation éthique du projet, sont conservés par l’établissement utilisateur pendant au moins cinq ans à compter de la date d’expiration de l’autorisation du projet et mis à la disposition des agents habilités. Sans préjudice de l’alinéa précédent, les documents portant sur des projets qui doivent faire l’objet d’une appréciation rétrospective sont conservés jusqu’à l’aboutissement de celle-ci ».
- Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que l’ensemble des documents relatif au dossier de demande d’autorisation d’une expérimentation animale telle que définie par les dispositions précitées du code rural et de la pêche maritime, qui sont produits et détenus par les services du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, en ce qu’ils se rapportent directement aux missions de contrôle des modalités d’utilisation d’animaux vivants à des fins scientifiques, constituent des documents administratifs et sont donc communicables en application des dispositions précitées du code des relations entre le public et l’administration sous réserve, le cas échéant, et conformément à l’article L. 311-6 dudit code, de l’occultation des mentions dont la communication porterait atteinte, notamment, à la protection de la vie privée de personnes physiques.
- Si la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche fait valoir en défense l’ampleur des occultations à réaliser dans le document en cause pour justifier sa décision, elle ne l’établit pas. En outre, si la ministre se prévaut de l’existence en ligne d’un résumé non-technique de la demande d’autorisation en cause, l’association requérante soutient toutefois, sans être sérieusement contredite, que ces documents publics, accessibles sur la base de données ALURES, sont particulièrement partiels et ne couvrent pas l’ensemble des documents administratifs communicables relatifs au projet expérimental sollicité.
- Il résulte de ce qui précède que l’association requérante est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a refusé de lui communiquer le dossier de demande d’autorisation du projet intitulé « Préparation de poumons de rongeurs (ou cobayes) pour la fabrication de médicaments homéopathiques ».
Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :
- L’exécution du jugement implique nécessairement qu’il soit enjoint à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de communiquer à l’association requérante, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, le dossier de demande d’autorisation du projet intitulé « Préparation de poumons de rongeurs (ou cobayes) pour la fabrication de médicaments homéopathiques » sous réserve, le cas échéant, et conformément à l’article L. 311-6 dudit code, de l’occultation des mentions dont la communication porterait atteinte, notamment, à la protection de la vie privée de personnes physiques. Il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
- Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision par laquelle la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche a refusé de communiquer le dossier de demande d’autorisation du projet intitulé « Préparation de poumons de rongeurs (ou cobayes) pour la fabrication de médicaments homéopathiques » est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de procéder à la communication à l’association One Voice des documents visés à l’article 1er selon les modalités prévues au point 8 du présent jugement, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L’Etat versera l’association One Voice la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de requête de l’association One Voice est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’Association One Voice et à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l’audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- xxx , président,
- xxx, premier conseiller,
- xxx, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024