Les rapports d’inspection sont communicables « sans autre occultation que celle des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements », et notamment sans l’occultation des non-conformités les plus graves constatées. Les craintes de sécurité et de préjudice ne sont pas caractérisées.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 13 avril 2023, 13 juillet 2023 et 7 septembre 2023, l’association One Voice, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de Paris a refusé de lui communiquer les derniers rapports d’inspection de plusieurs établissements détenant des animaux utilisés ou destinés à être utilisés à des fins scientifiques dont :
– l’Agence générale des équipements et produits de santé ;
– l’Association Institut de myologie ;
– l’Institut Pasteur, numéro d’agrément 75-15-01-5 ;
– l’Institut Pasteur, numéro d’agrément 75-15-01-2 ;
– l’Institut national des sciences et industries du vivant et des technologies ;
– l’Association recherche scientifique de la fondation Alain Carpentier ;
– l’UFR de médecine de Paris V ;
2°) d’enjoindre au directeur départemental de la protection des populations de Paris de lui communiquer l’ensemble des documents sollicités, en n’occultant que les noms des personnes physiques, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous astreinte de cinq cents euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
4°) de condamner l’Etat aux entiers dépens.
Elle soutient que :
– sa requête est recevable ;
– les documents sollicités constituent des documents administratifs au sens des dispositions des articles L. 124-1 et L. 124-3 du code de l’environnement ainsi que des articles L. 300-2 et L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration ;
– le litige conserve son objet dès lors que les documents communiqués par la préfecture de police comportent l’occultation de nombreuses mentions en méconnaissance de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration ;
– c’est à tort que le préfet de police a refusé de lui communiquer les rapports de l’association recherche scientifique de la fondation Alain Carpentier en soutenant que cette fondation n’existe pas à l’adresse communiquée ;
– en procédant à l’occultation de nombreuses mentions lors de la communication des rapports sollicités, le préfet de police a méconnu les dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 juin 2023, 2 août 2023 et 3 octobre 2023, le préfet de police conclut, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, au non-lieu à statuer et, à titre subsidiaire, au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
– les documents sollicités ont été communiqués à l’association One Voice le 19 juin 2023 et le 28 juillet 2023 ;
– il pouvait, en application de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, procéder à l’occultation des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée ainsi qu’à celles qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne morale physique et celles qui font apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.
Par un mémoire enregistré le 11 avril 2024, le préfet de police a produit des pièces non-soumises au contradictoire, en application de l’article R. 412-2-1 du code de justice administrative.
L’affaire a été renvoyée en formation collégiale en application de l’article R. 222-19 du code de justice administrative.
Vu :
– l’avis n° 20230581 du 9 mars 2023 de la Commission d’accès aux documents administratifs ;
– les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique, tenue en présence de Mme Sueur, greffière d’audience :
– le rapport de Mme Leravat,
– et les conclusions de M. Lamy, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 décembre 2022, l’association One Voice a demandé au directeur départemental de la protection des populations la communication des derniers rapports d’inspection de plusieurs établissements détenant des animaux utilisés ou destinés à être utilisés à des fins scientifiques dont l’Agence générale des équipements et produits de santé, l’association Institut de myologie, l’Institut Pasteur (numéros d’agrément 75-15-01-5 et 75-15-01-2), l’Institut national des sciences et industries du vivant et des technologies, l’association recherche scientifique de la fondation Alain Carpentier et l’UFR de médecine de Paris V. Le 27 janvier 2023, l’association One Voice a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Le 9 mars 2023, la CADA a rendu un avis favorable à la demande de communication présentée par l’association sous réserve de l’occultation de certaines mentions en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. A la suite de cet avis, l’administration a, par un courrier du 19 juin 2023, communiqué à l’association One Voice les documents sollicités à l’exception du rapport d’inspection de l’association recherche scientifique de la fondation Alain Carpentier en procédant à l’occultation des mentions protégées par la loi. Puis, par un courrier du 28 juillet 2023, l’administration a communiqué à l’association requérante le rapport d’inspection de l’association recherche scientifique de la fondation Alain Carpentier en procédant également à une telle occultation des mentions protégées par la loi. Par la présente requête, l’association One Voice doit être regardée comme demandant l’annulation des décisions du 19 juin et du 28 juillet 2023, qui se sont substituées en cours d’instance à la décision implicite de rejet qui s’était d’abord formée par laquelle le directeur départemental de la protection des populations de Paris a refusé de faire droit à sa demande de communication dans leur intégralité des documents sollicités.
Sur l’exception de non-lieu à statuer opposée en défense :
2. Le préfet de police fait valoir qu’il n’y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête de l’association One Voice dès lors que les documents sollicités ont été régulièrement communiqués en cours d’instance à cette dernière. Toutefois, l’association requérante, qui ne conteste pas avoir été destinataire de ces documents par des courriers du 19 juin et du 28 juillet 2023, reproche au préfet de police d’avoir occulté un nombre trop important de mentions, et ce, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
3. Il ressort des pièces du dossier que l’association One Voice a obtenu, le 19 juin 2023 et le 28 juillet 2023, la communication après occultation de plusieurs mentions des rapports d’inspection sollicités par elle le 19 décembre 2022. Toutefois, une telle circonstance n’est pas susceptible de priver le litige d’objet dès lors que l’association requérante a sollicité la communication de l’ensemble de ces rapports dans leur intégralité, sans occultation. Par suite, l’exception de non-lieu opposée en défense par le préfet de police ne peut qu’être écartée.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
4. Aux termes de de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. » Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Aux termes de l’article L. 311-6 de ce code : » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée () / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. () « . Aux termes de l’article L. 311-7 du code précité : » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. »
5. Il ressort de l’ensemble de ces dispositions qu’un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par le 2° de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 du même code et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 de ce code. En application de ces dispositions, doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
6. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de communication de documents administratifs sur le fondement des dispositions des articles L. 311-1 et L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.
7. D’une part, aux termes de l’article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime : » () Les établissements éleveurs, fournisseurs et utilisateurs sont inspectés de façon régulière selon les modalités définies par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture et de la recherche et du ministre de la défense « . Selon l’article 5 de l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et leurs contrôles : » Des inspections régulières sont conduites dans les établissements éleveurs, fournisseurs et utilisateurs conformément à l’article R. 214-104 du code rural et de la pêche maritime (). / Un rapport d’inspection est rédigé à l’issue de chaque inspection ; il est adressé au responsable de l’établissement inspecté qui le conserve cinq années. »
8. Il résulte de ces dispositions que les établissements procédant à des expérimentations animales à des fins scientifiques font l’objet d’inspections régulières réalisées par des agents de l’Etat du département où ces établissements sont implantés et qui donnent lieu à un rapport d’inspection.
9. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée se rattachent à la mission de service public exercée par les services de la direction départementale de la protection des populations de Paris. Ils constituent ainsi des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont, par suite, communicables à l’association One Voice en application de l’article L. 311-1 du même code, sous les réserves prévues par l’article L. 311-6 citées au point 5 du présent jugement.
10. D’autre part, en l’espèce, pour s’opposer à la communication de certaines mentions et informations telles que le nom des personnes physiques et les éléments qui, soit portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable, soit font apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, le préfet de police fait valoir que la communication à un tiers de telles mentions serait de nature à occasionner aux personnes morales concernées un préjudice résultant de l’atteinte à leur image ou à leur réputation. Il fait également valoir qu’une telle communication de ces mentions serait donc susceptible d’affecter la générosité du public ou la conclusion de contrats de recherches qui peuvent constituer une source de financement pour les établissements inspectés.
11. En l’espèce, le préfet de police a procédé, en communiquant à l’association requérante les rapports d’inspection sollicités, à l’occultation de certaines évaluations de rubriques ou de sous-rubriques en ne divulguant pas les notes » C- Non-conformité moyenne » et » D- Non-conformité majeure « . De plus, le préfet a occulté certains commentaires rédigés par l’inspecteur à propos de pratiques des établissements inspectés. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la divulgation de telles mentions serait de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes morales concernées. En outre, la circonstance alléguée par le préfet de police que la communication des mentions alléguées serait de nature à porter préjudice aux établissements concernés n’est pas assortie des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé alors même qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle ont, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
12. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements qui pratiquent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée de sorte que c’est sans méconnaître les dispositions précitées de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration que le préfet de police a pu légalement occulter les noms des personnes physiques contenues dans les rapports d’inspection sollicités.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l’association One Voice est fondée à demander la communication des documents administratifs en cause sans occultation des mentions autres que celles mentionnées au point 12 du présent jugement et, par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, l’annulation des décisions attaquées lui refusant cette communication.
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
14. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : » Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public () prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution « . Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : » Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet « .
15. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet de police communique à l’association One Voice une copie des rapports d’inspection sollicités, sans autre occultation que celle des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements ainsi que le demande l’association requérante. Il y a, dès lors, lieu d’ordonner au préfet de police de procéder à ces diligences dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
16. L’association One Voice, qui n’a pas eu recours au ministère d’avocat, ne justifie pas avoir exposé des frais pour l’établissement de sa requête. Dès lors, sa demande présentée sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doit être rejetée.
D E C I D E :
Article 1er : Les conclusions à fin de non-lieu présentées par le préfet de police sont rejetées.
Article 2 : Les décisions par lesquelles le préfet de police a communiqué à l’association One Voice les rapports d’inspection sollicités sont annulées en tant que les occultations que comportent ces communications ne sont pas limitées aux seules mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein des établissements inspectés telles que spécifiées au point 12 du jugement.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police de communiquer à l’association One Voice dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, une copie des rapports d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale concernés situés dans le département, sans autre occultation que celle des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements telles que précisé au point 12 du jugement.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l’association One Voice est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association One Voice et au préfet de police.
Délibéré après l’audience du 15 mai 2024, à laquelle siégeaient :
M. Ladreyt, président,
M. Gandolfi, premier conseiller,
Mme Leravat, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mai 2024.