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TA Paris, jugement n°2303746 du 25/10/2024 (One Voice c. CEA)

Les dossiers de suivi individuel des primates de NeuroSpin (CEA), ainsi que le registre entrées-sorties, ont été communiqués après l’introduction du recours, de même que certains comptes-rendus de la SBEA. Les comptes-rendus de la SBEA produits postérieurement à la demande n’ont pas à être communiqués, mais ceux produits entièrement sont communicables en y occultant les mentions « de nature à porter atteinte à la vie privée de personnes privées ou au secret des affaires ». Le CEA doit verser 1500€ à One Voice.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 février 2023 et le 16 juin 2023, l’association One Voice, représentée par l’AARPI Géo Avocats, agissant par Me Coline Robert, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a refusé de lui communiquer divers documents relatifs au centre de recherche NeuroSpin ;

2°) d’enjoindre au CEA de lui communiquer ces documents ;

3°) de mettre à la charge du CEA la somme de 2 400 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de rejeter la demande présentée par le CEA sur le même fondement.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

– sa requête est recevable ;

– les documents dont la communication a été demandée constituant des documents administratifs communicables et aucune exception à leur communication n’étant susceptible d’être opposée, le refus du CEA de les lui communiquer est illégal ;

– les documents intitulés  » fiches individuelles  » ne correspondant pas aux dossiers de suivi individuel dont elle a demandé la communication et les comptes rendus établis par la structure chargée du bien-être des animaux (SBEA) de 2014 à 2018 et entre la date de sa demande et celle de son traitement complet n’ayant pas été communiqués, sa demande n’a pas perdu son objet.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 juin et 22 septembre 2023, le CEA, représenté par son administrateur général, représenté par la SELARL Delsol Avocats, agissant par Me Renaud-Jean Chaussade, avocat, conclut au non-lieu à statuer sur les conclusions aux fins d’annulation et d’injonction, au rejet du surplus des conclusions de la requête et à ce qu’une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de One Voice en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu’ayant communiqué l’ensemble des documents demandés et existants par un colis envoyé le 7 avril et livré le 11 avril 2023, la requête est devenue sans objet.

Vu les pièces du dossier.

Vu :

– le code de l’environnement ;

– le code des relations entre le public et l’administration ;

– le code rural ;

– l’arrêté du 1er février 2013 fixant les conditions d’agrément, d’aménagement et de fonctionnement des établissements utilisateurs, éleveurs ou fournisseurs d’animaux utilisés à des fins scientifiques et à leurs contrôles ;

– le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

– le rapport de M. Julinet, premier conseiller ;

– les conclusions de Mme Nikolic, rapporteure publique ;

– et les observations de Me Robert pour One Voice et de Me Robbe pour le CEA.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 12 octobre 2022, l’association One Voice a demandé au commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) la communication du registre entrées-sorties complet des primates utilisés par son centre de recherche NeuroSpin, l’ensemble des dossiers de suivi individuel de ces primates, l’ensemble des photographies réalisées dans le cadre de leur suivi clinique au sein de l’établissement depuis 2014 et l’ensemble des comptes-rendus de réunion, des recommandations et des décisions de la structure chargée du bien-être animal (SBEA) dans l’établissement. En l’absence de réponse à sa demande, One Voice a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) d’une demande d’avis enregistrée le 12 décembre 2022. Le 26 janvier 2023, la CADA a émis un avis favorable à la communication de ces documents, à l’exception des photographies qu’elle a estimé inexistantes, sous réserve de l’occultation des mentions relevant des secrets protégés en application des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Par sa requête, One Voice demande au tribunal d’annuler la décision implicite de rejet née, en application de l’article R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration, du silence gardé par le CEA plus de deux mois à compter de la saisine, le 12 décembre 2022, de la CADA sur la demande de communication de documents administratifs qu’elle lui avait adressée le 12 octobre 2022.

Sur l’exception de non-lieu à statuer :

2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier et il n’est d’ailleurs pas contesté que, le 7 avril 2023, le CEA a communiqué à One Voice les fiches de suivi des primates utilisés par NeuroSpin. Si l’association fait valoir en réplique que ces fiches ne correspondent ni par leur nature ni par leur teneur aux dossiers individuels prévus et définis par la réglementation, la circonstance que les documents élaborés par NeuroSpin et communiqués par le CEA ne sont pas conformes à la réglementation est sans incidence, en elle-même, sur le litige portant sur leur communication et ne suffit pas, à elle seule, à établir que d’autres documents, conformes à la réglementation, existeraient. En l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que de tels documents existent. Par suite, les dossiers de suivi individuels des primates utilisés par NeuroSpin doivent être regardés comme ayant été communiqués.

3. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et One Voice ne conteste pas en réplique que, le 7 avril 2023, le CEA lui a communiqué le registre entrées­sorties des primates utilisés par NeuroSpin.

4. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier et One Voice ne conteste pas en réplique que, le 7 avril 2023, le CEA lui a communiqué treize rapports de la structure chargée du bien-être des animaux (SBEA) de NeuroSpin datés du 13 mars 2018 au 30 août 2022.

5. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de One Voice ont perdu leur objet, postérieurement à l’introduction de la requête, en tant qu’elles concernent le registre entrées­sorties complet des primates utilisés par le centre de recherche NeuroSpin du CEA, les dossiers de suivi individuel de ces primates et les rapports de la SBEA de NeuroSpin datés du 13 mars 2018 au 30 août 2022. Par suite, l’exception de non-lieu à statuer doit être accueillie dans cette seule mesure.

Sur le surplus des conclusions à fin d’annulation :

6. Aux termes de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre « . Aux termes de l’article L. 300-2 du même code :  » Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions « . Aux termes de l’article L. 311-6 dudit code :  » Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence () « . Aux termes de l’article L. 311-7 du même code :  » Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions « .

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et One Voice ne le conteste d’ailleurs plus en réplique, que les photographies réalisées dans le cadre du suivi clinique des primates utilisés par NeuroSpin depuis 2014 n’existent pas, comme l’a d’ailleurs constaté la CADA. Par suite, en refusant implicitement de les communiquer à One Voice, le CEA n’a pas méconnu les dispositions précitées de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration.

8. En second lieu, d’une part, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n’est d’ailleurs pas soutenu par le CEA que la SBEA de NeuroSpin n’a pas élaboré de rapports entre 2014 et 2018. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier et il n’est d’ailleurs pas non plus soutenu par le CEA que ces rapports ne seraient pas des documents administratifs communicables, sous réserve de l’occultation des mentions nominatives de nature à porter atteinte à la vie privée de personnes privées ou au secret des affaires, ni qu’un motif justifiant qu’il soit dérogé à l’obligation de les communiquer est susceptible d’être opposé à leur communication.

9. D’autre part, le CEA, saisi le 12 octobre 2022 par One Voice d’une demande de communication de documents administratifs qu’il détenait, n’était pas tenu de lui communiquer des documents reçus ou produits postérieurement à cette date. Par suite, il a pu légalement refuser de lui communiquer les rapports éventuellement élaborés par la SBEA entre le 12 octobre 2022 et le 7 avril 2023, date à laquelle il lui a, pour l’essentiel, communiqué les documents demandés.

10. Il résulte de ce qui précède que la décision implicite de rejet du CEA doit être annulée en tant seulement qu’elle porte sur la communication des rapports élaborés par la SBEA de NeuroSpin entre 2014 et 2018.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

11. En raison des motifs qui la fondent, l’annulation partielle de la décision attaquée implique nécessairement que les rapports élaborés par la SBEA de NeuroSpin entre 2014 et 2018 soient communiqués à One Voice. Par suite, il y a lieu, sur le fondement de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre au CEA de communiquer ces documents à One Voice, sous réserve de l’occultation des mentions nominatives de nature à porter atteinte à la vie privée de personnes privées ou au secret des affaires, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de One Voice, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le CEA demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge du CEA une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par One Voice et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de One Voice tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le CEA a refusé de lui communiquer le registre entrées-sorties complet des primates utilisés par NeuroSpin, les dossiers de suivi individuel de ces primates et les rapports de la SBEA de NeuroSpin datés du 13 mars 2018 au 30 août 2022.

Article 2 : La décision implicite par laquelle le CEA a refusé de communiquer à One Voice les rapports élaborés par la SBEA de NeuroSpin entre 2014 et 2018 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au CEA de communiquer à One Voice les rapports élaborés par la SBEA de NeuroSpin entre 2014 et 2018, sous réserve de l’occultation des mentions nominatives de nature à porter atteinte à la vie privée de personnes privées ou au secret des affaires, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : le CEA versera à One Voice une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Les conclusions du CEA présentées sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à l’association One Voice et au commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Une copie en sera adressée au ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.