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TA Rennes, jugement n°2005745 du 08/03/2022 (Nicolas Marty c. DDPP22)

Les rapports d’inspection sont communicables en y occultant le nom des personnes physiques. L’identité des établissements et les procédés de recherche ne doivent pas être occultés, les craintes de préjudice n’étant pas caractérisées et rien dans les rapports ne semblant pouvoir être concerné par le secret des affaires.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 décembre 2020, 29 septembre 2021, 15 décembre 2021 et 12 janvier 2022, M. Nicolas Marty, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet des Côtes-d’Armor a refusé de lui communiquer les derniers rapports d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département des Côtes-d’Armor ;

2°) d’enjoindre au préfet des Côtes-d’Armor de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires, quelle que soit la date de productions de ces rapports.

Il soutient que :
– la direction départementale de la protection des populations des Côtes-d’Armor n’est pas compétente pour décider de la communication des documents demandés ;
– la décision est entachée d’incompétence négative ;
– ladécision méconnaît les articles L. 300-1 etsuivant du codedes relations entre le public et l’administration ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ;
– la communication des documents demandés ne porte pas préjudice aux personnes ;
– le public a le droit de savoir ce qui ne va pas dans les sites pratiquant l’expérimentation animale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2022, le préfet des Côtes-d’Armor conclut au non-lieu à statuer.

Il soutient qu’à son mémoire est joint le rapport sollicité et que les anonymisations sont justifiées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ; – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx,
– et les conclusions de M. xxx, rapporteur public.

 

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier électronique du 7 mai 2020, M. Marty a demandé à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) des Côtes-d’Armor de lui communiquer des copies numériques du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements pratiquant l’expérimentation animale sur le territoire de ce département. En l’absence de réponse de l’administration, M. Marty a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) le 27 juillet 2020, laquelle a rendu, le 29 octobre 2020, deux avis favorables, sous certaines réserves, à la communication des documents sollicités. Par la présente requête, M. Marty demande l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les services de l’Etat sur sa demande de communication des derniers rapports d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département des Côtes-d’Armor et qu’il soit enjoint sous astreinte à ces services de lui communiquer ces documents, sans occulter les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires.

 

Sur l’étendue du litige :

2. Le préfet des Côtes-d’Armor a adressé au tribunal en annexe à son mémoire enregistré le 10 janvier 2022, dont M. Marty a eu communication, le rapport du 4 novembre 2021 en occultant cependant les éléments relatifs aux noms des personnes et de l’établissement. Par suite, il n’y a pas lieu à statuer sur les conclusions de M. Marty tendant àl’annulation de la décision du préfet des Côtes-d’Armor en tant qu’il a implicitement refusé de communiquer le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département des Côtes-d’Armor.

Sur le surplus des conclusions de la requête :

3. Un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves notamment prévues par les d), f) et g) de l’article L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute natureou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

4. Tout d’abord, il ressort des pièces du dossier que, le 10 janvier 2022, le préfet des Côtes-d’Armor a transmis à M. Marty un rapport d’inspection du 4 novembre 2011 concernant un établissement d’expérimentation animale situé sur le territoire de son département, établi dans un « contexte » de « demande d’approbation » le 9 juin 2021 après avoir occulté, les mentions relatives à l’identification de l’établissement inspecté et des personnes nommément désignées, y compris l’inspecteur ayant exercé le contrôle.

5. Ensuite, contrairement à ce que soutient le préfet des Côtes-d’Armor, même s’il existe un contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection du bien-être animal, les personnes morales qui accueillent des expérimentationssur les animaux et les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans de tels établissements ne peuvent pas être regardées commeayant, en ces seules qualités, un comportement telquela simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice.

6. Par ailleurs, les personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements, qui accueillent des expérimentations sur les animaux ont droit à la protection de leur vie privée, ainsi que les inspecteurs qui en assurent le contrôle. En occultant l’identification de ces personnes sur le fondement de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, le préfetdes Côtes-d’Armor n’a ainsi pas entaché ladécision attaquéed’illégalité.

7. Enfin, le préfet des Côtes-d’Armor soutient que la divulgation des méthodes utilisées au sein de l’établissement porterait atteinte au secret des affaires au sens du 1° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration dès lors que les rapports d’inspection peuvent concerner des laboratoires de recherche. Toutefois, il ne ressort pas du rapport et n’est au demeurant pas démontré que la communication des informations demandées, lesquelles concernent, outre les éléments d’identification du laboratoire, le niveau de respect des normes imposées en vue de garantir le bien-être animal, aurait pour conséquence la divulgation de techniques industrielles protégées par le secret des affaires.

8. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que, d’une part, les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée sont devenues sans objet en tant qu’elles concernent les mentions non occultées des rapports d’inspection établis le 9 juin 2021 et que, d’autre part, M. Marty est fondé à demander l’annulation de cette décision en tant qu’elle a refusé de communiquer les mentions relatives aux méthodes utilisées au sein de l’établissement inspecté.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

9. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».

10. L’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet des Côtes-d’Armor communique à M. Marty une version du rapport d’inspection établi le 4 novembre 2021 sans occultation de l’identification des méthodes utilisées au sein de l’établissement inspecté. Dès lors, il y a lieu d’ordonner au préfet des Côtes-d’Armor de transmettre à M. Marty une version du rapport d’inspection établi le 4 novembre 2021 comportant l’identification des méthodes utilisées au sein de l’établissement inspecté de procéder à ces diligences dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

 

D E C I D E :

Article 1er : Il n’y a pas lieu à statuer sur les conclusions de M. Marty tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les services de l’Etat sur sa demande de communication des derniers rapports d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale situé dans le département des Côtes-d’Armor.

Article 2 : La décision du préfet des Côtes-d’Armor est annulée en tant qu’elle concerne les mentions occultées, définies au point 8, du rapport d’inspection établi le 4 novembre 2021.

Article 3 : Il est enjoint au préfet des Côtes-d’Armor de transmettre à M. Marty une version du rapport d’inspection établi le 4 novembre 2021 comportant l’identification des méthodes utilisées au sein de l’établissement inspecté dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent jugement.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty et au préfet des Côtes-d’Armor.

Délibéré après l’audience du 22 février 2022, à laquelle siégeaient :

 

 

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2022 .