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TA Rennes, jugement n°2005747 du 08/03/2022 (Nicolas Marty c. DDPP35)

Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que le nom des personnes physiques. L’identité des établissements et les non-conformités ne doivent pas être occultées, les craintes de sécurité et de préjudice n’étant pas caractérisées, même en présence de pathogènes dangereux dans les laboratoires.

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 décembre 2020, 29 septembre, 15 décembre 2021 et 19 janvier 2022, M. Nicolas Marty, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet d’Ille-et-Vilaine a refusé de lui communiquer les derniers rapports d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département de l’Ille-et-Vilaine ;

2°) d’enjoindre au préfet d’Ille-et-Vilaine de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires, quelle que soit la date de productions de ces rapports.

Il soutient que :
– la direction départementale de la protection des populations d’Ille-et-Vilaine n’est pas compétente pour décider de la communication des documents demandés ;
– la décision est entachée d’incompétence négative ;
– ladécision méconnaît les articles L. 300-1 etsuivant du codedes relations entre le public et l’administration ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ;
– la communication des documents demandés ne porte pas préjudice aux personnes ;
– le public a le droit de savoir ce qui ne va pas dans les sites pratiquant l’expérimentation animale.

Par un mémoire enregistré le 12 janvier 2022, le préfet d’Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :
– la requête est tardive, donc irrecevable ;
– la demande de communication est abusive : la personne en charge du suivi et du contrôle des établissements d’expérimentation animale, au demeurant absente à la période de la demande de M. Marty, doit consacrer l’essentiel sinon la totalité de son temps de travail à l’instruction des demandes d’agrément des établissements, de leur suivi, et de celui des signalements et plaintes déposées concernant la protection animale ne disposait pas du temps nécessaire de travail et de surcroît était absente au moment de la demande de M. Marty, et cette demande représentait une charge de travail supplémentaire et disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose ;
– et les autres moyens invoqués par M. Marty ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ; – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx,
– et les conclusions de M. xxx, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. Nicolas Marty a sollicité par courriel du 7 mai 2020, de la direction départementale de la protection des populations d’Ille-et-Vilaine (ci-après la DDPP) la communication des copies numériques des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements situés dans ce département pratiquant l’expérimentation animale. En l’absence de réponse de la DDPP à sa demande, M. Marty a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a rendu un avis favorable avec réserve le 29 octobre 2020. M. Marty a de nouveau sollicité la DDPP d’Ille-et-Vilaine les 15 octobre et 1er décembre 2020 afin d’obtenir communication des documents précités. Du silence de l’administration est née une décision implicite de rejet dont M. Marty demande l’annulation.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet d’Ille-et-Vilaine :

2. D’une part, aux termes de l’article R. 343-3 du code des relations entre le public et l’administration : « La commission notifie son avis à l’intéressé et à l’administration mise en cause, dans un délai d’un mois à compter de l’enregistrement de la demande au secrétariat. Cette administration informe la commission, dans le délai d’un mois qui suit la réception de cet avis, de la suite qu’elle entend donner à la demande. ». Selon l’article R. 343-4 de ce code : « Le silence gardé pendant le délai prévu à l’article R. 343-5 par l’administration mise en cause vaut décision de refus. » L’article R. 343-5 du même code dispose : « Le délai au terme duquel intervient la décision implicite de refus mentionnée à l’article R. 343-4 est de deux mois à compter de l’enregistrement de la demande de l’intéressé par la commission. ». Si, en vertu de ces dispositions, la commission notifie en principe son avis à l’intéressé et à l’administration mise en cause dans un délai d’un mois à compter de l’enregistrement de la demande au secrétariat et si l’administration doit informer la commission, dans le délai d’un mois qui suit la réception de cet avis, de la suite qu’elle entend donner à la demande, cette même administration est toutefois réputée avoir implicitement confirmé son refus initial à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la demande de l’intéressé par la commission.

3. D’autre part, il résulte de l’article R. 421-5 du code de justice administrative et des dispositions des articles L. 112-3, L. 112-6, L. 412-3 et R. 112-5 du code des relations entre le public et l’administration qu’en matière de communication de documents administratifs, pour que les délais prévus aux articles R. 311-12, R. 311-13 et R. 311-15 de ce même code soient opposables, la notification de la décision administrative de refus, ou l’accusé de réception de la demande l’ayant fait naître si elle est implicite, doit nécessairement mentionner l’existence d’un recours administratif préalable obligatoire devant la CADA ainsi que les délais selon lesquels ce recours peut être exercé. En revanche, aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à l’autorité administrative mise en cause d’informer le demandeur du recours contentieux qu’il peut former auprès de la juridiction administrative, et des délais y afférents, si la décision de refus est confirmée après la saisine de cette commission. L’absence de telles mentions a seulement pour effet de rendre inopposables les délais prévus par les articles R. 343-3 à R. 343-5 du code des relations entre le public et l’administration pour l’exercice du recours contentieux.

4. Il ressort des pièces du dossier que la demande de M. Marty n’a fait l’objet d’aucun accusé de réception par l’administration ni d’aucune décision expresse l’informant des voies de recours dont il disposait et des délais impartis pour y procéder. Dans ces conditions, le délai de recours contentieux contre la décision implicite née le 8 juin 2020, confirmant le refus de communication des documents administratifs sollicités, ne lui est pas opposable. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le préfet d’Ille-et-Vilaine, tirée de la tardiveté de la requête de M. Marty, ne peut être accueillie.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

5. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :/ d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; (…). ». L’article L.311-6 du même code dispose : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. ». Aux termes de l’article L. 232-4 de ce code : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. »

6. Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de refus de communication de documents administratifs. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité d’un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.

7. Il résulte de des dispositions citées au point 5 du présent jugement qu’un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.

8. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée, élaborés dans le cadre des missions de service public exercées par les services vétérinaires des directions départementales en charge de la protection des populations, constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont donc soumis au droit d’accès prévu à l’article L. 311-1 de ce code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 cités au point 5.

9. En premier lieu, pour justifier le refus de communication, le préfet d’Ille-et-Vilaine soutient que la demande de communication de M. Marty est abusive en ce qu’elle aurait pour effet de faire peser sur la personne de la DDPP 35 en charge du suivi et du contrôle des établissements d’expérimentation animale, au demeurant absente à la période de la demande de M. Marty, une charge de travail supplémentaire disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Toutefois, en dépit de la charge supplémentaire de travail, y compris d’occultation éventuelle des documentsque le traitement d’une telle demande est susceptible d’entraîner, rien dans les éléments exposés ne permet de dire qu’elle serait manifestement disproportionnée au regard des moyens dont dispose cet agent de la DDPP 35, lesquels doivent être considérés globalement et non pas par référence exclusive aux emplois dédiés de manière permanente à la mission d’agrément. Il n’apparaît pas que cette demande, alors même que la préfecture n’indique pas le nombre d’établissements concernés au sein du département, ferait spécialement peser sur les services de l’Etat une charge excessive ou viserait à en perturber le bon fonctionnement et, en conséquence, qu’elle serait abusive.
10. En deuxième lieu, la circonstance, alléguée par le préfet d’Ille-et-Vilaine, qu’il existe, notamment à travers les associations antispécistes, des courants d’opposition forte à l’encontre des expérimentations menées sur les animaux, ne suffit pas à regarder la communication des rapports d’inspection des établissements menant de telles expérimentations comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, alors même que ces établissements utilisent, pour leur activité, des agents hautement pathogènes et diffusibles, la seule communication de ces documents n’étant pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés. De même, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection animale, relevé par l’administration, ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Il ne ressort pas davantage des pièces des dossiers que la divulgation des mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux non-conformités relevées par les inspecteurs ou aux titres et références des projets scientifiques serait de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes morales concernées ou au secret des affaires, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

11. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activitéprofessionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que le ou les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée ont droit à la protection de leur vie privée. L’administration fait donc valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, dès lors que les occultations des mentions permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports litigieux ainsi que les rédacteurs desdits rapports n’ont pas pour effet de faire perdre tout sens aux documents dont la communication est demandée, M. Marty est fondé à demander l’annulation des décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le préfet d’Ille-et-Vilaine sur sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département.

Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :

13. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».

14. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet d’Ille-et-Vilaine communique à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des rédacteurs de ces rapports. Il y a, dès lors, lieu d’ordonner au préfet de procéder à ces diligences dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite par laquelle le préfet d’Ille-et-Vilaine a refusé de communiquer à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d’Ille-et-Vilaine de communiquer à M. Marty, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animalesitués dans le département du Finistère, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des rédacteurs de ces rapports.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty, au préfet d’Ille-et-Vilaine et à la commission d’accès aux documents administratifs.

Délibéré après l’audience du 22 février 2022, à laquelle siégeaient :

 

 

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2022 .