Les rapports d’inspection sont communicables en n’y occultant que le nom des personnes physiques. L’identité des établissements et les non-conformités ne doivent pas être occultées, les craintes de sécurité et de préjudice n’étant pas caractérisées, même en présence de pathogènes dangereux dans les laboratoires.
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 décembre 2020, 29 septembre, 15 décembre 2021 et 3 janvier 2022, M. Nicolas Marty, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle le préfet du Finistère a refusé de lui communiquer les derniers rapports d’inspection concernant des établissements d’expérimentation animale situés sur le territoire du département du Finistère ;
2°) d’enjoindre au préfet du Finistère de lui communiquer, dans un délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, le dernier rapport d’inspection de chaque établissement d’expérimentation animale de son département, dans lesquels ne seront occultés ni les noms des établissements, ni les dates d’inspection et de rapport, ni les intitulés de la grille d’inspection, ni les niveaux de non-conformité, ni des passages entiers de commentaires, quelle que soit la date de productions de ces rapports.
Il soutient que :
– la direction départementale de la protection des populations du Finistère n’est pas compétente pour décider de la communication des documents demandés ;
– la décision est entachée d’incompétence négative ;
– la décision méconnaît les articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l’administration ;
– il n’y a pas d’atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ;
– la communication des documents demandés ne porte pas préjudice aux personnes ;
– le public a le droit de savoir ce qui ne va pas dans les sites pratiquant l’expérimentation animale.
Par des mémoires enregistrés le 17 décembre 2021 et le 13 janvier 2022, le préfet du Finistère, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que la requête est prématurée et que les moyens invoqués par M. Marty ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code des relations entre le public et l’administration ; – la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
– le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ; – le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique : – le rapport de M. xxx,
– les conclusions de M. xxx, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. Nicolas Marty a sollicité par courrier électronique du 7 mai 2020, de la direction départementale de la protection des populations du Finistère (ci-après la DDPP) la communication des copies numériques des derniers rapports d’inspection de chacun des établissements situés dans ce département pratiquant l’expérimentation animale. En l’absence de réponse de la DDPP à sa demande, M. Marty a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a rendu un avis favorable avec réserve le 29 octobre 2020. M. Marty a de nouveau sollicité la DDPP du Finistère le 1er décembre 2020 afin d’obtenir communication des documents précités. Du silence de l’administration est née une décision implicite de rejet dont M. Marty demande l’annulation.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
2. Le préfet fait valoir que la requête serait prématurée, donc irrecevable en ce que M. Marty a introduit sa requête le 18 décembre 2020 alors que la décision implicite de rejet de son recours gracieux n’était effective qu’à compter du 1er février 2021. Toutefois, le requérant était en droit d’attaquer la décision du 1er décembre 2020 sans attendre le résultat de son recours gracieux dès lors que cette décision faisait suite au recours préalable obligatoire introduit le 27 juillet 2020 auprès de la CADA et au demeurant à l’avis de cette commission rendu le 29 octobre 2020 dès lors qu’à la date du présent jugement la décision implicite est née. Par suite, le préfet n’est pas fondé à soutenir que la requête serait prématurée. Dès lors, la fin de non-recevoir sera écartée.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
3. Aux termes de l’article L. 300-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ». Aux termes de l’article L. 311-5 du même code : « Ne sont pas communicables : / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte :/ d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; (…). ». L’article L.311-6 du même code dispose : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. ». Aux termes de l’article L. 232-4 de ce code : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. »
4. Il résulte de ces dispositions qu’un document administratif détenu par une collectivité publique est soumis au droit d’accès prévu par l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et l’article L. 311-6 et, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’article L. 311-7 du même code. En application de ces dispositions doivent ainsi être disjoints ou occultés les éléments dont la communication porterait atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente, à la recherche et à la prévention, par les services compétents, d’infractions de toute nature ou à la protection de la vie privée de personnes ou lorsque ces éléments portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou font apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, sauf à ce que ces disjonctions ou occultations privent d’intérêt la communication de ce document.
5. Les rapports d’inspection dont la communication est demandée, élaborés dans le cadre des missions de service public exercées par les services vétérinaires des directions départementales en charge de la protection des populations, constituent des documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration. Ils sont donc soumis au droit d’accès prévu à l’article L. 311-1 de ce code, sous les réserves prévues par les articles L. 311-5 et L. 311-6 cités au point 3.
6. La circonstance, alléguée par le préfet Finistère, qu’il existe, notamment à travers les associations antispécistes, des courants d’opposition forte à l’encontre des expérimentations menées sur les animaux, ne suffit pas à regarder la communication des rapports d’inspection des établissements menant de telles expérimentations comme étant de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, alors même que ces établissements utilisent, pour leur activité, des agents hautement pathogènes et diffusibles, la seule communication de ces documents n’étant pas, par elle-même, de nature à favoriser des intrusions, des dégradations ou tout autre acte de malveillance à l’encontre des établissements concernés. De même, le contexte de sensibilité sociétale accrue en matière de protection animale, relevé par l’administration, ne permet pas de regarder les établissements qui mènent des expérimentations animales et les personnes physiques qui y exercent leur activité professionnelle comme ayant, en ces seules qualités, un comportement tel que la simple divulgation de leur identité serait, par elle-même, susceptible, de leur porter préjudice au sens du 3° de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Il ne ressort pas davantage des pièces des dossiers que la divulgation des mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux non-conformités relevées par les inspecteurs ou aux titres et références des projets scientifiques serait de nature à porter atteinte à la vie privée des personnes morales concernées ou au secret des affaires, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.
7. En revanche, les personnes physiques qui exercent une activitéprofessionnelle dans des établissements qui accueillent des expérimentations sur les animaux ainsi que le ou les rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée ont droit à la protection de leur vie privée. L’administration fait donc valoir à bon droit que l’identification de ces personnes doit être occultée sur le fondement des dispositions des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l’administration.
8. Il résulte de tout ce qui précède que, dès lors que les occultations des mentions permettant d’identifier les personnes physiques citées dans les rapports litigieux ainsi que les rédacteurs desdits rapports n’ont pas pour effet de faire perdre tout sens aux documents dont la communication est demandée, M. Marty est fondé à demander l’annulation des décisions implicites de rejet nées du silence gardé par le préfet Finistère sur sa demande de communication du dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département.
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
9. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (…) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ». Aux termes de l’article L. 911-3 du même code : « Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l’injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d’une astreinte qu’elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d’effet ».
10. Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l’exécution du présent jugement implique nécessairement que le préfet du Finistère communique à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des rédacteurs de ces rapports. Il y a, dès lors, lieu d’ordonner au préfet de procéder à ces diligences dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Il n’y a en revanche pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : La décision implicite par laquelle le préfet du Finistère a refusé de communiquer à M. Marty le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans ce département est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Finistère de communiquer à M. Marty, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, le dernier rapport d’inspection de chacun des établissements d’expérimentation animale situés dans le département du Finistère, avec occultation des mentions permettant l’identification des personnes physiques exerçant leur activité professionnelle au sein de ces établissements et des rédacteurs de ces rapports.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Nicolas Marty, au préfet du Finistère et à la commission d’accès aux documents administratifs.
Délibéré après l’audience du 3 février 2022, à laquelle siégeaient :
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 février 2022.