Ceci n’est pas un lobby. (Les “pros” de l’expérimentation animale)

Un lobby, une agence de comm, des tortionnaires ou des vétérinaires de bonne foi ? Qui sont ces gens qui pratiquent l’expérimentation animale et la défendent ? Ici, je vous propose un petit annuaire des associations, institutions et entreprises qui défendent ou promeuvent l’expérimentation animale et le principe des 3R en France.

Le site de la chaine, pour retrouver les vidéos, les fiches de synthèse, les crédits, et d’autres contenus : https://experimentation-animale.info

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Transcription

Salut tout le monde. La dernière fois, je vous ai parlé des « antis », cette fois-ci, ce sera les « pros ». Les « pros », ce sont les gens qui sont « pour » l’expérimentation animale, ou plus généralement les groupes professionnels qui défendent l’expérimentation animale. On va donc parler des associations, des groupes, mais aussi des institutions publiques qui font ça de nos jours en France. C’est parti.

 

Ici, on va trouver des associations, des réseaux, des institutions publiques et des entreprises privées, dont les rôles sont assez différents. On va donc distinguer les institutions qui gèrent la réglementation de l’expérimentation animale, les associations qui se chargent du lobbying et de la stratégie de communication pour défendre l’expérimentation animale ou la promouvoir au nom de leurs membres, les groupes qui organisent des colloques et qui produisent des rapports ou des ouvrages spécialisés, et les réseaux nationaux formés par des structures imposées par la réglementation.

Comme pour les antis, avant de commencer la liste, ça me parait utile de faire le lien avec les mises en place des différentes réglementations en France. Parce qu’ici, comme on va le voir, on peut inférer un lien entre ces dates et l’apparition des différents groupes « pros », en particulier en ce qui concerne les associations axées sur la communication.

Et on va donc commencer par se demander qui sont les associations, les institutions et les entreprises qui pratiquent, défendent ou promeuvent l’expérimentation animale en France aujourd’hui.

Émergence et structuration des groupes professionnels : Afstal et OPAL

La première association que je veux mentionner, c’est l’Afstal, association française des sciences et techniques de l’animal de laboratoire, c’est-à-dire des pratiques vétérinaires liées à l’expérimentation animale. C’est une association qui a été créée en 1972, qui publie la revue STAL, payante, et qui organise des colloques sur ces sujets. C’est l’une des trois associations françaises gérées par les personnes qui pratiquent l’expérimentation animale.

Ensuite, en 1983, il y a un truc particulier. En 1968, l’association OPAL avait été créée sous le nom Œuvre d’Assistance aux Animaux de Laboratoire, mais je n’ai trouvé pour l’instant aucune trace de l’activité entre 1968 et 1983. Parce qu’en 1981, les antivivisectionnistes suisses avaient tenté de faire passer un référendum pour réduire l’expérimentation animale et ça a fait peur en France, donc le président du syndicat national de l’industrie pharmaceutique a voulu reprendre l’OPAL, et en 1983 il a fait entrer dans le conseil d’administration, contre la volonté du président fondateur, les industriels de l’expérimentation animale. Ça, c’est quelque chose qui est décrit dans deux numéros du bulletin de l’OPAL qui parle de l’historique de l’association. Aujourd’hui, le nom complet de cette association, c’est « Recherche expérimentale et protection de l’animal de laboratoire », et c’est la deuxième des trois associations françaises gérées par les personnes qui pratiquent l’expérimentation animale. Dans son cas, elle est théoriquement orientée sur les méthodes alternatives, mais elle parle concrètement d’éthique et de technique, et de différents sujets. Notamment, en 2018, elle a publié un « guide théorique et pratique » intitulé « la démarche éthique dans la conception des projets ».

En fait, la peur générée en 1981 par les initiatives en Suisse était en partie justifiée, puisqu’en 1986, il y a eu la première directive européenne pour réglementer l’expérimentation animale. En France, cette directive a été appliquée à partir de 1988, avec plusieurs décrets impliquant le ministère de la recherche et le ministère de l’agriculture, en particulier. Jusqu’à aujourd’hui, le ministère de la recherche gère par exemple les autorisations de projets, et le ministère de l’agriculture gère les inspections des établissements. Et il y a aussi le ministère des armées, qui gère ses propres affaires – on aura l’occasion de revenir là-dessus dans d’autres vidéos.

Interprofession et lobbying : le Gircor

En l’occurrence, qui dit réglementation dit aussi coordination des entreprises et des institutions pour défendre leurs pratiques. En 1991, apparemment, le ministre de la recherche Hubert Curien trouvait qu’on manquait d’espaces de débats sur l’expérimentation animale, donc il a initié la création du Gircor, le Groupe Interprofessionnel de Réflexion et de Communication sur la Recherche, une association à but non lucratif dont l’objet était assez explicite à l’époque : « la promotion et la défense de la recherche biologique » (utilisant des animaux en l’occurrence), et « la promotion et la défense des intérêts de ses adhérents ».

Les adhérents en question, ça part du CNRS (institution publique dont un représentant préside le Gircor) et ça va jusqu’à Sanofi ou Charles River (des entreprises privées avec des intérêts financiers et pratiques dans l’expérimentation animale), en passant par d’autres institutions publiques comme Sorbonne-Université ou l’École nationale vétérinaire d’Alfort. En 1995, le Gircor a sorti un « Livre blanc sur l’expérimentation animale », pour défendre ces pratiques et pour critiquer les mouvements animalistes qui s’y opposaient (et un nouveau livre blanc est en train d’être produit, à priori). C’est aussi le Gircor qui a lancé le mot « recherche animale » pour remplacer « expérimentation animale », et qui a proposé cette année une appellation encore plus rassurante, dont on peut difficilement dire que ça n’est pas une stratégie de communication. Et c’est aussi eux qui ont utilisent régulièrement des arguments complètement fallacieux comme le nombre de prix Nobel qui ont utilisé des animaux ou les thérapies qui auraient été développées « grâce à » l’expérimentation animale (sans qu’on sache bien comment on évalue que ça n’aurait pas pu être fait autrement, ça ressemble vite à un raisonnement circulaire).

Aujourd’hui, l’objet statutaire du Gircor a changé, les intérêts des adhérents ne sont plus mentionnés, les méthodes alternatives le sont, mais il y a encore l’idée de défendre l’expérimentation animale avec le fait de, je cite, « diffuser auprès du public une information sur le bien-fondé et les conditions du recours aux animaux d’expérience dans le domaine de la recherche fondamentale, biomédicale et de la santé ». Concrètement, le Gircor dédie quelques milliers d’euros par an au lobbying européen, probablement une partie du reste du budget à la gestion de son site web recherche-animale.org, et je n’ai pas pu trouver d’information sur le reste de l’utilisation de son budget annuel, qui était de 230 000 € en 2019 – je le mentionne ici alors que je ne mentionnais pas les budgets des associations animalistes dans la vidéo précédente, parce que concrètement, les groupes animalistes dédient un budget vraiment faible à l’expérimentation animale – certaines n’ont pas de budget, d’autres y dédient quelques milliers d’euros par an, ou quelques dizaines de milliers d’euros par an pour les plus fortunés. Donc il y a clairement un déséquilibre dans les moyens financiers déployés.

Les réseaux nationaux

Là, vous pouvez retenir qu’avec l’Afstal, l’OPAL et le Gircor, vous avez les trois associations françaises gérées par les institutions et les entreprises impliquées dans l’expérimentation animale, donc avec une expertise spécifique, mais aussi avec des intérêts spécifiques, financiers et pratiques, ce qui veut dire que leur motivation à voir arriver la fin de l’expérimentation animale n’est pas bien grande, et que leur discours s’en ressent. Et aujourd’hui, ce sont ces trois associations qui pilotent le réseau national des structures chargées du bien-être animal, un réseau qui a été monté ces dernières années. Sur le site web, Afstal, OPAL et Gircor sont présentées comme « partenaires », mais l’Afstal est indiquée comme propriétaire du site. Une structure chargée du bien-être animal, ou SBEA, c’est un groupe de personnes au sein d’un établissement qui pratique l’expérimentation animale, et globalement, la réglementation prévoit que ces personnes se réunissent, discutent des manières d’améliorer la détention des animaux ou les procédures, et qu’elles fassent leur compte-rendu au vétérinaire désigné. Donc que ce soit l’Afstal et l’OPAL qui pilotent ça, ça ne parait pas tout à fait aberrant, puisque ce sont vraiment des structures internes pour des réflexions internes.

Ce qui est plus gênant, à mon avis, c’est que ce même site web géré par des associations qui ont des intérêts spécifiques, financiers et professionnels, dans l’expérimentation animale, c’est aussi le site web du réseau national des comités d’éthique, qui s’est lui aussi monté ces dernières années. Les comités d’éthique, ils ont beau être plus ou moins constitués en interne pour chaque établissement, ça reste des « autorités compétentes » à l’échelle nationale pour l’évaluation des projets avant que le ministère donne son autorisation. Et ils sont beaucoup mentionnés par les pros pour dire qu’on fait tout ce qu’on peut pour éviter l’expérimentation animale dès que c’est possible. Ce qui fait que pour ma part, même si l’idée d’un réseau national des comités d’éthique permet d’avoir une harmonisation à l’échelle nationale, qui pourrait être bien utile, je ne suis pas excessivement rassuré que ce réseau soient piloté par le Gircor, l’OPAL et l’Afstal, qui ne vont certainement pas aider à orienter l’évolution vers la fin de l’expérimentation animale, qui est censée être l’objectif final, d’après la réglementation européenne.

Encore un peu de lobbying…

Alors, justement, la dernière association de professionnels dont je voulais parler n’est pas française, mais européenne, et elle a été fondée quelques années après l’émission de la nouvelle directive européenne en 2010, celle qui est actuellement en vigueur en France depuis 2013. Avant ça, il y avait d’autres associations européennes, mais elles ont disparu pour laisser leur place à celle-ci. En 2014 c’est donc l’Association Européenne de recherche animale, EARA, qui a été créée, et qui fonctionne à l’échelle européenne un peu comme le Gircor a l’échelle française, mais en s’axant encore plus sur la communication et le lobbying, puisque le registre de transparence européen affiche que la quasi-totalité des 350 000 € de budget 2019-2020 ont été utilisés en lobbying européen. Notamment, en 2019, l’EARA a lancé le Manuel de Communication, destiné aux adhérents et aux établissements qui utilisent des animaux, dans l’idée de contrecarrer les actions et les campagnes de communication des associations opposées à l’expérimentation animale. Si vous voulez le consulter, c’est 375€ à l’achat, donc ce n’est pas évident, mais je l’ai, j’en ai parlé un peu récemment dans une conférence, et j’en reparlerai.

Les adhérents de l’EARA, c’est comme pour le Gircor, ce sont des institutions et des entreprises qui pratiquent l’expérimentation animale ou qui y ont des intérêts, et d’ailleurs il y a justement l’Afstal et le Gircor qui sont membres de l’EARA. J’appuie encore sur le lobbying parce que c’est leur activité principale, mais c’est quand même une association intéressante, dans le sens où elle va souvent parler de transparence et recommander sur ces points des pratiques qui se sont mieux répandues en-dehors de la France, comme le fait que les universités et les autres établissements qui utilisent des animaux affichent sur leur site web leurs statistiques d’utilisation annuelle. Du coup fin février 2021, on a eu droit à une « charte de transparence » sur l’expérimentation animale en France, qui recommande ces pratiques. À voir ce que ça donnera, mais pour l’instant, je ne trouve pas ça très probant – et c’est un euphémisme. J’aurai là aussi l’occasion d’en reparler.

Les Centres 3R

Pour l’instant, retour en arrière, en 2007, la plateforme Francopa a été créée dans le cadre du développement des « centres 3R » en Europe, c’est-à-dire des centres dédiés à la mise en avant des méthodes permettant de ne pas utiliser d’animaux (avec des méthodes de Remplacement), d’utiliser moins d’animaux (c’est la Réduction) ou de les faire moins souffrir et de les stresser moins (c’est le Raffinement). Francopa, ce n’est pas une association à proprement parler, ni un groupe de défense de l’expérimentation animale, mais il s’agit quand même d’un groupe géré quasi exclusivement par les professionnels du secteur, ce qui ne permet pas vraiment une indépendance dans le positionnement. En plus, la différence avec les centres 3R des autres pays de l’UE, c’est qu’en France il n’y a aucun financement public pour Francopa, qui a un statut de Groupement d’Intérêt Scientifique qui ne facilite pas ça. Du coup, elle a dû largement limiter ses missions et reposer principalement sur le soutien de l’Ineris (l’institut national de l’environnement industriel et des risques) pour mettre en avant les alternatives à l’expérimentation animale. D’ailleurs, aujourd’hui, le site de Francopa a disparu, et les quelques rapports intéressants sur l’état des lieux des méthodes alternatives en France qu’elle avait produit sont maintenant sur le site de l’Ineris.

À côté de ça, récemment, la loi de programmation de la recherche pour 2021-2030 a promis la création d’un centre 3R, qui viendrait donc probablement remplacer Francopa. Sauf que depuis, on a appris que ce serait encore un Groupement d’Intérêt Scientifique, donc avec un statut un peu pourri, pas de financement fixe, et qu’il sera certainement lui aussi dirigé d’une manière ou d’une autre par les associations de professionnels de l’expérimentation animale – ce qui peut être logique pour le Raffinement, mais pour la Réduction c’est plus douteux, et pour le Remplacement, on en est loin. Bref, pour l’instant, je n’en sais pas grand-chose, mais ce serait sympathique qu’à un moment on puisse avoir un vrai centre national, financé à la hauteur de l’idée d’aller vers la fin de l’expérimentation animale, et géré par des personnes ayant réellement pour projet de mettre fin à ces pratiques.

Où regarder pour avoir des informations fiables ?

Voilà donc un peu un aperçu général des groupes « pros », professionnels et/ou promoteurs de l’expérimentation animale, en France aujourd’hui. Si je devais conseiller quelques-uns des groupes ici pour se renseigner de manière générale, je tendrai plutôt vers le ministère de la recherche (qui est obligé de publier certaines données et certains documents plutôt factuels dont je parlerai par ailleurs) et Francopa (donc, aujourd’hui, l’Ineris), pour avoir une perspective assez claire sur les alternatives en évitant un peu les discours poussifs sur la nécessité de l’expérimentation animale qu’on peut trouver chez les associations de professionnels.

Avec cette vidéo et la vidéo précédente sur les « antis », ça vous donne une bonne base pour explorer un peu les propos des différents groupes qui animent le débat ces dernières années, vous pourrez trouver les liens en description !

Je vous mets ici la fiche de synthèse de cette vidéo, comme d’habitude vous la retrouverez sur le site web, et je vous dis à la prochaine pour une nouvelle vidéo sur les images de l’expérimentation animale en France.

En attendant, si vous avez apprécié la vidéo, vous pouvez cliquer sur le pouce bleu, partager autour de vous et vous inscrire à la chaine, ça permet à tout ça de circuler, et on se retrouve dans les commentaires si vous avez des questions ou des remarques – ou, comme pour les groupes « antis », si vous connaissez d’autres groupes « pros » que je n’ai pas mentionnés ici, n’hésitez pas (je sais qu’il en existe beaucoup aux États-Unis, notamment, mais je n’en ai pas tellement connaissance en France pour l’instant, alors ce sera d’autant plus intéressant si vous en connaissez !). Et puis, comme d’habitude, si vous aimez mes contenus, vous pouvez me soutenir sur Tipeee, je vous mets le lien en description. Merci, et à la prochaine !

Liens et références

Les groupes mentionnés

Autres liens

Concernant les pratiques de lobbying, le registre de transparence européen peut être utile pour se faire une idée de l’argent dépensé par certains groupes dans ce sens, en fournissant des tranches de budget global et des tranches de budget dédié aux activités de lobbying :

 

Le référencement d’un groupe ici ne veut pas dire que je soutiens ni que je dénonce ses actions, ses arguments ou ses revendications, il s’agit simplement d’un annuaire pour faciliter l’accès à tous ces contenus de manière à pouvoir mieux analyser le débat.