Les pratiques quotidiennes vis-à-vis de l’expérimentation animale

Ce questionnaire est parti de l’idée d’évaluer ce qui justifie divers positionnements sur l’expérimentation animale, notamment de la part de personnes antispécistes. Il a été conçu en janvier 2020, testé et relu par des personnes du Projet Méduses pour ajuster et ajouter certaines questions (merci à elles), avant d’être lancé publiquement le 19 février. Entre le 19 février et le 24 mars 2020, 436 personnes ont répondu en ligne. Une partie des participations a donc eu lieu en période de pandémie, ce qui a pu influencer les réponses.

Sur cette page, vous trouverez l’analyse des réponses aux questions cherchant à savoir si et pourquoi les gens achètent et/ou utilisent des produits testés sur les animaux.

Achat et utilisation des produits testés sur des animaux

Avant toutes les questions relatives à des connaissances, le questionnaire posait trois questions relatives aux pratiques des répondant·es : achetaient-iels des produits testés sur les animaux, utilisaient-iels des produits testés sur les animaux, et pourquoi. Aux deux premières questions, la réponse juste était à priori oui pour la totalité, ou la quasi-totalité, des répondant·es, dans la mesure où un très grand nombre de produits de consommation courante impliquent des tests sur les animaux (il suffit de se représenter que tous les plastiques, mais aussi les produits ménagers, les médicaments et autres produits affichant des prétentions thérapeutiques ou préventives, parfois même la nourriture, impliquent ou ont impliqués des tests sur les animaux).

Pourtant, une grosse proportion des végés (40%) et une part plus réduite des non-végés (15%) [p < .0001] ont affirmé ne pas acheter et ne pas utiliser de produits testés sur les animaux. Cette affirmation se retrouvait presque uniquement chez les personnes tout à fait ou plutôt opposées à l’expérimentation animale, bien que deux personnes favorables l’ait également faite. Une large proportion des répondant·es (37%) a dit ne pas savoir répondre à ces questions.

Que ce soit chez les végés, les non-végés, les personnes favorables, mitigées ou opposées, entre 25% et 45% des répondant·es ont affirmé acheter et utiliser des produits testés sur les animaux. Une petite quantité de personnes a répondu ne pas savoir si elle achetait, ou a affirmé ne pas acheter de tels produits, tout en disant les utiliser.

On pouvait s’en douter, même les végés et les personnes opposées à l’expérimentation animale utilisent des produits impliquant des tests sur les animaux, et le reconnaissent – c’était là l’intérêt de la question portant sur les raisons de ces pratiques, pour permettre de mieux comprendre le raisonnement qui les sous-tend.

Raisons invoquées

On remarque d’abord que chez les personnes favorables comme chez les personnes mitigées, celles qui ont dit acheter et utiliser des produits testés sur les animaux ont invoqué dans environ 40% des cas les médicaments (parlant du besoin de se soigner, des autorisations de mise sur le marché qui impliquent des tests sur animaux, de la recherche biomédicale, etc.). Chez les personnes de ces groupes disant ne pas savoir si elles achetaient de tels produits, le manque d’informations est ressorti comme une raison prégnante (plus de 20% des personnes mitigées, presque 60% des personnes favorables). Une bonne partie d’entre elles (30-40%) ont mentionné le fait qu’elles ne font pas particulièrement attention à cela lorsqu’elles achètent ou utilisent des produits. Quelques autres raisons ont été évoquées moins souvent, comme l’absence de choix (qui recoupe en partie le besoin de se soigner, mais peut aussi impliquer le besoin de matériel informatique, par exemple, dont certains composants peuvent avoir fait l’objet de tests sur les animaux), le fait que ce soit compliqué de faire autrement, ou plus simplement le fait de ne pas être contre ces pratiques.

Chez les personnes opposées à l’expérimentation, les raisons sont plus variées. Presque 80% de ces personnes qui ont déclaré ne pas acheter ni utiliser de produits testés sur les animaux ont basé cela sur une opposition de principe (antispécisme, refus de générer des souffrances aux animaux, etc.). Une plus petite proportion a mentionné l’idée que ces produits ne sont pas nécessaires, une personne a dit penser qu’ils sont dangereux, une autre a affirmé ne les acheter que « par mégarde », et d’autres ont mentionné l’alternative que constituent selon elles les produits faits maison.

Chez les personnes opposées ne sachant pas répondre ou reconnaissant acheter et utiliser des produits testés sur les animaux, la raison la plus fréquemment citée est le manque d’informations (23-60%). Les médicaments ne sont pas en reste (18-25%), bien qu’ils ne soient presque pas mentionnés par les personnes ne sachant pas répondre à ces questions (3%). L’absence de choix, la complexité pour faire autrement et le fait de ne pas y faire attention ont été invoqués ici comme chez les autres groupes. Deux personnes ont ajouté le fait que le boycott de ces produits n’aurait aucun impact. Une personne a dit en avoir acheté lorsqu’elle n’était pas sensible à ces questions et donc pas opposée à l’expérimentation animale.

On peut enfin remarquer des cas particuliers chez les personnes mitigées et favorables, qui ne sont pas représentées dans les graphiques parce qu’il peut s’agir de soucis de compréhension ou de situations qui nécessiteraient des détails pour être comprises. Deux personnes favorables ont dit ne pas utiliser de produits testés sur les animaux. L’une des deux a dit acheter ces produits mais ne pas les utiliser, et a invoqué comme raison les autorisations de mise sur le marché des médicaments, ce qui n’est pas très clair. L’autre, déclarée « tout à fait favorable », a dit ne pas acheter ni utiliser de produits testés sur les animaux, « par respect », ce qui semble contradictoire avec son positionnement. Par contraste, aucune personne mitigée n’a dit ne pas acheter ni utiliser – peut-être parce qu’elles se rendaient mieux compte qu’elles ne savaient pas si les produits qu’elles achètent sont testés ou non. Enfin, une personne favorable et une personne mitigée ont dit ne pas savoir si elles achetaient, mais savoir qu’elles utilisaient ces produits, parlant des médicaments, mais aussi, dans le cas de la personne favorable, du manque d’informations (qui est probablement là pour expliquer le fait qu’elle ne savait pas si les produits qu’elle achetait étaient testés ou non).

Réflexion

En somme, en plus du fait (fréquent) de ne pas faire attention ou de ne pas savoir si ce que l’on achète a été testé ou non sur des animaux (en particulier chez les personnes favorables et mitigées), deux grandes raisons expliquent l’achat et l’utilisation de produits animaux par les répondant·es (notamment les personnes opposées) : le besoin de médicaments et le manque d’informations. 

Cela est d’ailleurs apparu dans deux commentaires laissés en fin de questionnaire. Le premier mentionnait que « la mention ‘testé sur les animaux’ devrait être obligatoire sur tous les produits concernés afin que le consommateur agisse en conscience ». Cette question semble pouvoir être plus ou moins facilement résolue avec un peu de bonne volonté politique, et cela impliquerait d’ajouter cette mention sur énormément de produits d’usage courant – ce qui pourrait faire prendre conscience à la population de l’énorme dépendance que nous avons créée envers les tests sur les animaux depuis le milieu du 20e siècle, et depuis le début du 21e siècle avec la directive REACH qui, tout en mettant de plus en plus en avant les alternatives (ce qui inclut des tests sans animaux, mais aussi des tests ex vivo, sur tissus animaux), a imposé l’utilisation de nombreux animaux pour tester des substances largement utilisées et commercialisées.

Le deuxième commentaire mentionnait la dépendance de la personne envers un médicament spécifique dont elle savait très bien qu’il était testé sur les animaux : « pas d’alternative à ce niveau, on est coincé. La nécessité vitale pour moi de prendre ce traitement m’empêche d’être réellement en accord avec mes convictions ». Cette idée revient souvent, chez les détracteurs des mouvements anti-expérimentation animale, que les véganes et autres opposant·es devraient, pour être crédibles et cohérent·es, ne plus utiliser de médicaments et ne plus profiter des produits élaborés grâce à l’expérimentation animale. Luc Ferry a formulé cela à l’été 2020, disant que "Quant à leur santé, les végans [sic] entrent dans une série de contradictions insolubles, leur prétention à une vie ‘100% éthique’ étant tout simplement intenable. La quasi-totalité des médicaments qu’on trouve aujourd’hui dans le commerce ont en effet été testés sur des animaux. Or refuser de les utiliser pour se soigner est suicidaire, et s’agissant des enfants, un tel refus relève de la maltraitance et tombe sous le coup de la loi. (…)".

On peut en dire plusieurs choses. D’abord, si l’on refusait les médicaments sur cette base, dans une idée de cohérence totale, il nous faudrait aussi refuser tout ce qui utilise, comme ingrédient ou comme matériau, des produits testés sur les animaux – c’est-à-dire tous les produits utilisant des plastiques ou d’autres substances de synthèse, tous les aliments testés sur des animaux (par exemple pour justifier des prétentions santé), tous les végétaux dont la culture a impliqué l’utilisation de produits phytosanitaires (conventionnels ou bio), etc. D’une part, quand on voit à quel point le public a du mal à se renseigner sur la diversité des pratiques de l’expérimentation animale, on imagine difficilement comment mener cette tâche à bien sans utiliser d’ordinateurs ni d’Internet (les ondes ayant fait et faisant, elles aussi, l’objet de tests sur les animaux), sauf à mener une vie tout à fait autonome et indépendante, ce qui parait difficilement envisageable à l’échelle de la population. D’autre part, quant aux traitements, refuser de se soigner, voire se laisser mourir, ne sauvera aucun animal – en fait, s’il s’agit d’une personne qui milite pour les animaux, se laisser mourir reviendrait à priver le mouvement animaliste d’un·e militant·e.

De plus, ces traitements et ces médicaments n’ont pas été élaborés « grâce à » l’expérimentation animale, mais « en utilisant » l’expérimentation animale – il serait bien imprudent de spéculer sur la manière dont la science se serait développée depuis le début du 20e siècle sans l’expérimentation animale. Reste à savoir si les médicaments que l’on utilise, ayant déjà été développés notamment via des expériences sur les animaux, et ayant déjà reçu leur autorisation de mise sur le marché (ce qui a impliqué des tests sur les animaux), encouragent encore des tests sur les animaux. L’achat de médicaments finance l’organisme qui produit ces médicaments, et la loi impose aujourd’hui à ces organismes de passer par des tests sur les animaux. La solution n’est pas non plus de se tourner vers les « médecines » alternatives qui, en plus d’avoir la plupart du temps un niveau de preuve très bas concernant leur efficacité propre, ne sont pas forcément plus douces pour les animaux que les laboratoires pharmaceutiques en général : l’homéopathie utilise régulièrement dans le cadre de sa production des sécrétions et des organes d’animaux, certains partisans de la fasciathérapie ou du rolfing cherchent à en démontrer les principes en utilisant notamment des tissus animaux, et toutes les substances qui affirment explicitement avoir une efficacité dans le traitement de tel ou tel symptôme doivent être passées par les tests sur les animaux pour leur autorisation de mise sur le marché (on retrouve par exemple dans les résumés non-techniques français plusieurs mentions du développement de compléments alimentaires).

Bref, la consommation de produits testés sur les animaux est une question complexe, bien plus que celle de l’alimentation sans produit d’origine animale, qui est possible de plus en plus facilement en France grâce aux divers logos et aux obligations d’étiquetage dont on peut espérer qu’elles continueront de se développer. Si l’on en croit les personnes interrogées ici, pour peu qu’un étiquetage se développe et qu’un choix soit possible, pour peu que la population soit mieux informée sur ces questions, ce choix serait évident pour une grande partie de la population.