Connaissances estimées et connaissances réelles sur l’expérimentation animale

Ce questionnaire est parti de l’idée d’évaluer ce qui justifie divers positionnements sur l’expérimentation animale, notamment de la part de personnes antispécistes. Il a été conçu en janvier 2020, testé et relu par des personnes du Projet Méduses pour ajuster et ajouter certaines questions (merci à elles), avant d’être lancé publiquement le 19 février. Entre le 19 février et le 24 mars 2020, 436 personnes ont répondu en ligne. Une partie des participations a donc eu lieu en période de pandémie, ce qui a pu influencer les réponses.

Sur cette page, vous trouverez l’analyse des résultats vis-à-vis des questions de connaissances :

Estimation initiale des connaissances

Une grande partie du questionnaire était dédiée à évaluer les connaissances des répondant·es concernant divers aspects de l’expérimentation animale. Avant toute question de connaissance, il était demandé aux répondant·es d’estimer leur niveau de connaissance sur le sujet grâce à une échelle à 8 crans. La répartition générale est plutôt prévisible, avec une distribution plus ou moins normale, les valeurs centrales étant surreprésentées. On constate également qu’en moyenne, les végés se jugeaient plus connaisseurs/euses que les non-végés [p < .0005]. Quant aux différents groupes d’opinion, on n’y trouve aucune différence significative.

Ces résultats ne sont pas inattendus si l’on considère que les végés s’intéressent légèrement plus que les non-végés à ce sujet au quotidien, entrainant la possibilité soit d’une meilleure connaissance du sujet, soit d’un effet de surconfiance. Cependant, du côté des groupes d’opinion, si l’interprétation concernant les végés était correcte, on aurait pu s’attendre à observer des estimations plus hautes chez les personnes tout à fait opposées.

Les cinq personnes pratiquant l’expérimentation animale ont toutes jugé leurs connaissances entre 6 et 8 sur l’échelle, ce qui s’explique assez bien, dans la mesure où leur pratique pouvait leur donner confiance en leurs propres connaissances sur le sujet. Seules six personnes ont jugé être « spécialistes du sujet » (8 sur l’échelle). Deux d’entre elles pratiquent l’expérimentation animale de manière régulière. Deux d’entre elles se disent antispécistes. Toutes les six étaient tout à fait opposées, plutôt opposées, ou mitigées/nuancées vis-à-vis de l’expérimentation animale.

Le fait qu’il n’y a pas ici de différence globale significative dans l’estimation des connaissances entre les différents groupes d’opinion, et le fait que tous les niveaux de connaissance sont mentionnés au sein de tous les groupes, rappellent qu’il est possible, sinon fréquent, de se positionner sur ce sujet tout en sachant ne pas en avoir une connaissance exhaustive.

Limites

Bien entendu, les questions de connaissance posées ici ne reflétaient pas la totalité du sujet, mais elles semblent encore assez peu spécialisées, et leurs réponses assez accessibles au public, pour que l’on puisse être en droit d’attendre que le public sache y répondre. En dehors de ces critères, il aurait été envisageable d’aborder différents sujets plus spécifiques, sur lesquels le public a très peu d’informations parce qu’ils sont trop spécialisés (par exemple les pratiques et les formations pour le suivi vétérinaire des animaux) ou parce qu’ils sont particulièrement opaques (par exemple le déroulement d’un comité d’éthique ou d’une inspection). Même dans la limite de nos critères, il aurait été possible de parler de la réglementation (normes minimales de détention, méthodes de mise à mort autorisées, fréquences des inspections, histoire de l’expérimentation animale et des mouvements d’opposition, etc.). Les observations qui viennent, mettant en regard le niveau de connaissance estimé par les répondant·es au début du questionnaire avec leur score global aux questions de connaissance, doivent être interprétées en toute conscience de cette limite.

Les connaissances réelles selon les groupes

Globalement, si l’on note les réponses incomplètes 0,5 et les réponses justes 1, et si l’on rapporte sur 1 l’ensemble des questions sur les espèces utilisées, sur les applications et sur les alternatives, on obtient un score général que l’on peut rapporter à un score sur 100 (ou à un pourcentage, comme sur les graphes proposés ici). Dans ces « boites à moustache », les traits au-dessus et en-dessous de la boite représentent les meilleurs et les moins bons 25% du groupe. La boite elle-même représente les 50% médians, la barre horizontale représentant la médiane – de chaque côté de la médiane se trouve la moitié de la population du groupe. Globalement, les scores sont bas, avec plus de la moitié de la population en-dessous de 38/100, et les trois quarts en-dessous de 48/100. Le score maximum est de 84/100.

Les végés ont obtenu de manière générale des scores meilleurs que les non-végés [p < .0001]. Cette différence est cependant assez peu marquée ici sur le graphique et dans la population complète (moyenne des végés : 40% ; moyenne des non-végés : 38%). Lorsque la population est matchée selon les critères démographiques et le niveau de soutien, la différence s’accentue, la moyenne des non-végés tombant à 33%. Au contraire, les personnes radicalement opposées (38%) ont obtenu des scores plus bas que les personnes ayant des avis nuancés (41-48%) [p < .0001]. Cependant, comme on le voit sur les boites à moustaches, les scores sont très variés, et restent bas, quel que soit le groupe.

Les répondant·es ont-iels bien évalué leur niveau de connaissance ? On observe qu’au fil des niveaux d’estimation 4 à 8, les quartiles et la médiane montent en continu. De plus, seules les personnes du groupe 8 (« je suis spécialiste du sujet ») ont une médiane supérieure à 50/100, et leur score minimum (23/100) est plus élevé que celui des autres groupes (4 à 16/100). Globalement, on peut affirmer que les personnes ayant jugé avoir un bon ou un très bon niveau de connaissances (niveaux 6 à 8) ont obtenus de meilleurs scores que les personnes ayant jugé avoir un niveau de connaissance réduit ou nul (niveaux 1 à 3) [p < 005].

Plusieurs personnes ont cependant mentionné, dans le champ libre de texte à la fin du questionnaire, s’être rendues compte qu’elles ne connaissaient pas bien le sujet, ou qu’elles le connaissaient moins bien qu’elles pensaient. L’effet Dunning-Krüger voudrait qu’alors que les personnes les moins compétentes se surestiment et que les personnes moyennement compétentes se surestiment moins, les personnes les plus compétentes iraient jusqu’à se sous-estimer. Ces estimations concernent les compétences par rapport aux autres, et non dans l’absolu, on ne pouvait donc pas forcément attendre cet effet ici, dans la mesure où la question sur l’estimation des connaissances demandait une estimation absolue. Ici, le score moyen des personnes les plus compétentes reste inférieur à la moyenne de leur estimation de leur niveau de connaissances, quel que soit le groupe, mais la différence est faible voire quasi-nulle chez les personnes les plus compétentes.

Les répondant·es se sont donc souvent surestimé·es, en particulier celles qui ont eu ici les scores généraux les plus bas.

Les connaissances réelles selon les questions

Cependant, selon les questions, la différence entre les groupes selon l’estimation des connaissances n’est pas stable. Les groupes d’estimation de connaissances n’étant pas équilibrés, j’ai choisi de les regrouper comme ci-dessus pour les analyses : les niveaux 1 à 3 deviennent le groupe des « novices », les niveaux 4 et 5 le groupe des « moyen·nes » et les niveaux 6 à 8 le groupe des « connaisseurs/euses » (en se souvenant qu’il s’agit là d’estimation par la personne elle-même de ses propres connaissances). Les graphiques représentent cependant les huit niveaux séparément, pour plus de précisions sur la répartition au sein d’un groupe dans cette population.

Les participant·es ont répondu globalement de la même manière à la question sur la fiabilité de l’expérimentation animale pour des applications chez l’être humain, à la question sur la possibilité de remplacer dès aujourd’hui toutes les expérimentations animales (mais les novices ont plus souvent affirmé ne pas connaitre la réponse à cette question [p < .05]) et aux questions sur la possibilité de tester des cosmétiques sur des animaux et de trouver en vente des cosmétiques ayant impliqué des tests sur les animaux dans l’Union Européenne.

Les connaisseurs/euses et les moyen·nes ont fait plus d’erreurs et donné plus de bonnes réponses que les novices concernant le nombre d’animaux utilisés chaque année [p < .01] ; ont eu de meilleurs scores que les novices en ce qui concerne les espèces utilisées [p < .005] ; ont mentionné légèrement plus de formes d’alternatives que les novices [p < .005] ; et ont plus souvent défini correctement les 3R [p < .05]. Les connaisseurs/euses ont également donné légèrement plus d’applications de l’expérimentation animale que les novices [p < .05] et ont défini correctement la recherche fondamentale plus souvent que les novices [p < .05]. Enfin, les moyen·nes ont plus souvent tenté une réponse et se sont plus souvent trompé·es que les novices à la question sur la possibilité de tester les ingrédients des cosmétiques dans l’Union Européenne [p < 005].

Il ressort de tout cela que les participant·es semblent avoir évalué leur niveau de connaissance de manière plus ou moins fiable : les personnes s’étant jugées les moins compétentes ont souvent obtenu de moins bons résultats à la plupart des questions que les personnes s’étant jugées moyennement ou tout à fait compétentes.